02-03-2013 15:41 - Interview de M. Echrafest.

Interview de M. Echrafest.

Démographe et titulaire d’un Ph. D en développement régional, M. Echrafest spécialisé dans l’accompagnement des organisations et des collectivités territoriales dans le renforcement des capacités d’évaluation et d’opérationnalisation des politiques et programmes.

Reconnu pour sa rigueur, il a œuvré auprès de nombreuses organisations comme le Centre de recherche-action CRARR à Montréal avant de rejoindre l’Université du Québec à Rimouski, ensuite la Ville de Québec comme Conseiller et démographe. À ce titre, il s’occupait des volets employabilité et insertion des jeunes et migrants au sein de la municipalité.

La Ville de Québec est connue pour avoir un des plus faibles taux de chômage en Amérique du Nord, nous avons donc voulu l’interroger sur leur recette à l’occasion de la semaine de l’emploi de Nouakchott.

Vos propos en novembre sur le débat entourant la santé du président avaient suscité beaucoup de commentaires de nos lecteurs dont une partie avait perdu de vos traces. Beaucoup se souviennent de vous comme leader étudiant dans des grèves menées au lycée de Boghé en 1992 ensuite, à l’université de Nouakchott. À l’occasion de la semaine de l’emploi, nous voulions donc avoir votre opinion sur le chômage en Mauritanie, vous qui avez une expérience dans la lutte contre le chômage et l’insertion des jeunes au Canada.

Le taux de chômage qui touche plus du tiers des jeunes mauritaniens est en effet préoccupant et paradoxal dans un pays si riche en ressources et complètement en chantier. Je suis sûr que les politiciens et professionnels en charge de cette question font déjà ce qu’ils peuvent. Mais malheureusement les belles intentions politiques et les beaux programmes sur papier ne suffisent pas.

Le chômage est aujourd’hui un problème mondial car la croissance peut se faire sans recours à une main-d’œuvre humaine; les activités économiques les plus performantes recourent à la robotisation, ceci sans parler de la nouvelle philosophie de management public qui promeut la rationalisation des ressources et décourage le recrutement. Or un principe aussi vieux que le monde demeure toujours vrai : point de dignité sans travail.

Vous qui avez géré ailleurs des programmes de création d’emploi en faveur des jeunes, que devrons-nous faire? À votre avis, d’où viennent les difficultés que nous avons en matière d’emploi des jeunes?

D’abord, ce qu’il faut comprendre, c’est que le chômage chez les jeunes renvoi dans le cas d’un pays comme la Mauritanieà deux problématiques : celle de la création d’emploi et une autre qui concerne la transition entre la formation et le marché de l’emploi, et une question sous-jacente qui est l’adéquation entre le marché de l’éducation et celui du travail.

Ma thèse porte d’ailleurs un peu là-dessus (http://www.uqar.ca/uqar-info/luqar-favorise-la-socialisation-des-immigrants/). Plusieurs jeunes mauritaniens sortent de l’université avec beaucoup de savoir théorique mais sans savoir-faire pratique à faire valoir alors que tous les emplois demandent une première expérience professionnelle et des compétences spécifiques.

Ne parlons même pas de la discordance entre les formations offertes et les besoins du marché. Pour faire face à cette problématique, j’avais par exemple aidé la municipalité de Québec à mettre en place un programme d’emploi qualifiéafin d’aider les jeunes à avoir cette première expérience d’emploi tant demandée par les entreprises ainsi que le savoir-faire pratique nécessaire pour garder un emploi. Ce programme avait été un franc succès puisque plus de huit jeunes sur dix finissaient par être embauchés chez l’employeur les ayant accueillis lors du stage de six mois (http://ccfcquebec.wordpress.com/2010/01/29/colloque-integration-main-d-oeuvre-immigrante/).

Évidemment, il y a aussi toutes les questions d’employabilité à considérer, c’est-à-dire les techniques de recherche d’emploi, de rédaction des cv, de préparation des entrevues d’embauche et de valorisation du parcours académique ou professionnel. Il est nécessaire de mettre en place et de former des organismes qui vont aider les jeunes sur ce plan car plusieurs sont au désarroi lorsqu’ils sortent de la formation. Il faut aussi des programmes spécifiques pour les clientèles les plus en difficulté d’insertion.

À Québec, c’était les immigrants et les jeunes diplômés et nous avions pu développer un plan d’action spécifique en direction de ces clientèles qui a recueilli rapidement l’adhésion des employeurs : (voir le lien suivant pour la couverture médiatique de cet évènement : http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/200908/18/01-893693-immigration-quebec-charme-davantage.php).

Le problème n’est pas seulement l’accès aux emplois existant mais l’économie mauritanienne ne crée pas d’emplois. Comment créer ces emplois avant même d’aider les jeunes à les occuper?

Le manque d’emplois est en effet la cause principale du chômage chez les jeunes en Mauritanie comme dans plusieurs autres pays d’Afrique. C’est aujourd’huid’ailleursun casse-tête mondial pour de grandes économies comme les États-Unis, le Japon, la France, sans parler de pays comme l’Espagne, l’Italie, la Grèce, etc.

Pour le cas de la Mauritanie, par contre, ce n’est pas une fatalité et les choses peuvent être inversées. En effet, quand onregarde de près, on voit que nous exportons plusieurs ressources comme le pétrole, le fer, le poisson, l’or, etc. Après avoir voyagé au Centre de l’économie mondiale, ces matières nous reviennent sous forme de produits finis à des prix inaccessibles.

Si nous voulons donc créer des emplois et en même temps réduire notre déficit commercial, il est primordial de penser à des industries de deuxième et troisième transformation pour que les produits que nous exportons aujourd’hui à l’état de matière première soient transformés sur place. Là où on créait cinq ou six emplois pour extraire et exporter de la matière première, nous allons en créer quinze à vingt et qui sont payés dix fois mieux.

Ce secteur communément appelé le secteur secondaire est celui qui concentre dans le monde entier les emplois les mieux rémunérés. Sa prépondérance en Occident explique d’ailleurs pourquoi les travailleurs y sont payés beaucoupmieux que ceux du Tiers-Monde. Et pour ceux qui veulent lire davantage, toutes les théories de l’échange inégal et de la dépendance développées par les Samir Amin, Gunder et autres économistes renvoient à cela et demeurent très actuelles à ce sujet.

Mais nous n’avons pas de main-d’œuvre pour transformer ces produits sur place, il faut alors recourir à des étrangers si on doit procéder à la transformation des produits sur place…

On n’a pas besoin de recourir à la main-d’œuvre étrangère. Dans un plan intégré de développement, de maîtrise de la gestion des ressources et de création d’emplois, nous devons forcément réformer le système d’éducation pour donner une plus grande place à la formation des techniciens intermédiaires qui vont servir dans le secteur secondaire. C’est je crois d’ailleurs un des objectifs des états généraux de l’éducation menés récemment.

En ce moment, nous formons ou nous faisons former, surtout des techniciens de première main pour extraire les ressources et des ingénieurs de haut rang pour la conception. La main-d’œuvre intermédiaire, celle qui serait capable d’assurer une deuxième ou troisième transformation des matières premières n’existe pas. Cela devrait être une priorité nationale, si nous voulons contrôler nos ressources et assurer plus d’emplois de qualité en Mauritanie à nos jeunes. Croyez-moi si nous arrivons à maîtriser ce secteur de l’économie, nos jeunes ne sentiront plus le besoin d’émigrer en occident.

C’est difficile quand même de croire que cela pourrait arrêter le rêve occidental des jeunes mauritaniens et africains. Si non d’autres pays l’auraient fait certainement.

Il suffit d’analyser les causes de ces flux migratoires. Les différences de revenus et de salaires qui attirent nos jeunes viennent essentiellement de ce que ces pays occidentaux sont pour la plupart concentrés sur la transformation des matières premières que nous leur envoyons généreusement. Au lieu de mettre toutes nos énergies et nos moyens à exporter plus de matière première, nous pouvons très bien décider d’induire une deuxième et troisième transformation.

Nous allons ainsi éviter de brader nos ressources, nous créerons de meilleurs emplois sur place pour nos jeunes et encore mieux, nous lançons ainsi les véritables bases d’une industrialisation et d’un savoir-faire déterminant pour le décollage économique. Le seul problème c’est que ces politiques demandent une vision à moyen et long terme et nos politiques sont basées essentiellement sur le court terme.

Voyez-vous-même aux États-Unis, ils se sont rendu compte que l’abandon de ce secteur pour la Chine est en train de faire d’eux une économie du tiers-monde. Ils sont en train d’y revenir avec force. Notre avantage à nous, c’est que les ressources dont il est question de transformer sont produites sur place.

Vous semblez bien noter un exercice comme les états généraux de l’éducation. Pensez-vous que ce genre d’exercice peut vraiment résoudre le problème de l’éducation et de la formation? Ne pensez-vous pas que c’est simplement un exercice de relations publiques de la part du gouvernement?

Je pense que tout exercice visant à réfléchir ou à améliorer notre système d’éducation est le bienvenu. Je ne peux pas par contre me prononcer sur les prétendus visées politiques de cet événement auquel je n’ai pas assisté. Mais notre système d’éducation est dans un état vraiment piteux et c’est urgent d’y voir. J’ai étudié à l’université de Nouakchott et je ne peux pas vous dire à quel point l’environnement s’est dégradé même d’un point de vue physique. C’est terrible pour un pays car l’éducation demeure le garant de l’avenir.

Les solutions pour lutter contre le chômage que vous proposez reposent le problème sur le secteur public. Dans les pays occidentaux dont vous parlez, le secteur privé est pourtant le moteur de l’emploi. Que faire pour qu’on ait des entreprises fortes et demandeuses de main-d’œuvre?

L’accès au crédit est important. De nos jours, le chômage se règle en grande partie par l’auto-emploi, l’entrepreneuriat. Il est difficile de pouvoir entreprendre et commercialiser son idée, si on n’a pas accès aux financements.En levant l’épargne, on aide en même temps ceux qui ont de l’argent et qui ont envie d’investir à le faire de manière fort utile. Aujourd’hui tout mauritanien ayant un peu d’épargne ne pense qu’à investir dans l’immobilier, réduit à sa dimension la plus simple: acheter un terrain et le revendre au double. Imaginez, si ces gens pouvaient investir dans des entreprises à capital-risque, faire fructifier leur argent et soutenir les jeunes en démarrage.

Il faut aussi mettre en place des stratégies de valorisation de l’entrepreneuriat dès le bas-âge, dès l’école primaire pour que les jeunes apprennent très tôt à créer et à se prendre en charge. Pour la petite histoire, un de mes premiers partenariats de travail avec les élus et leaders politiques d’Afrique avait été en 2008 ou 2009 alors que je pilotais à Québec une initiative visant à former des élus municipaux de plusieurs pays à la promotion de l’entrepreneuriat jeunesse dans leurs collectivités (voir lien suivant pour cet évènement :http://www.infodimanche.com/index.asp?s=detail_actualite&id=131446) .

N’est-ce pas ironique que vous formez les élus et leaders politiques alors que c’est eux le premier problème pour l’entrepreneuriat avec leurs politiques de blocage et de favoritisme, etc.

C’est un programme de coopération donc nous ne choisissions pas forcément nos interlocuteurs. Ensuite, à votre place je serai plus modéré que ça. Pour avoir travaillé très proche de cabinets politiques, je dirais que les responsabilités sont partagées entre les politiciens et les technocrates. Ces derniers ont tendance à penser que les élus sont des obstacles avec leur volontarisme souvent brouillon, voircourtermiste.

Les élus de leur côté pensent que les technocrates avec leur lenteur et leurs procédures interminables font partie du problème. Mais il y a moyen de dépasser ces clivages, en reconnaissant au politicien sa légitimité car c’est à lui que le peuple a confié un mandat. D’un autre côté, il faut que le technicien dispose de toute la latitude nécessaire pour transformer les objectifs et la vision politique en projets et programmes clairs et réalistes, de s’assurer de l’existence d’un système d’imputabilité dans sa mise en œuvre afin de garantir la transparence.


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