23-10-2014 01:30 - Eclairage : La contrainte par corps est une survivance de l’esclavage

Eclairage : La contrainte par corps est une survivance de l’esclavage

mohamedvalldidi - Ces derniers jours, des voix se sont élevées pour demander la suppression de la contrainte par corps. Bien que le sujet ait un intérêt pratique sur le plan social et économique, le débat n’était pas à la mesure du fait, et était surtout guidé par la défense des intérêts personnels.

C’est pourquoi sans parti pris et en toute objectivité je vais essayer de jeter un éclairage sur cette question. Historiquement, cette procédure est apparue chez les romains : pressés par la faim, les pauvres s’adressèrent aux riches pour suppléer à l’insuffisance de leurs ressources.

Les riches n’hésitèrent pas car ils avaient compris que le pouvoir des grands est souvent dans la misère des petits. Ils prêtèrent donc. Mais comme le numéraire était fort rare, ils ne voulurent se dessaisir sans faire leurs conditions, il leur fallu des garanties, et comme les pauvres n’en avaient d’autres à leur offrir que leurs personnes ce fut donc la personne de leur débiteurs que les riches exigèrent pour gage.

En d’autres termes dans ce système celui qui recevait à titre de prêt affectait son corps au paiement de la dette qu’il contractait. Ainsi en cas de non paiement le débiteur, bien que non esclave, tombait sous le régime du bon plaisir de son créancier qui lui fait subir les rigueurs de l’esclavage. On voit donc que la contrainte par corps a un caractère primitif, car le gage du créancier est constitué par l’intégrité physique de la personne du débiteur et non les biens de celui-ci.

En France, la contrainte par corps a été supprimé en 1867et ne s’applique aujourd’hui que pour le recouvrement des amendes, frais de justice et paiement au profit du Trésor contre les débiteurs solvables mais récalcitrants. Elle fut supprimée définitivement en matière civile et commerciale.

D’ailleurs le code de procédure pénale français l’a supprimée en 1958 en matière criminelle quant aux dommages-intérêts accordés à la partie civile. Comme moyen de recouvrement forcé des dettes la contrainte par corps a été remplacée par la loi de 2004 sous le nom de contrainte judiciaire pour tenir compte de l’évolution de la criminalité. Cette loi a rétréci considérablement le champ d’application de la contrainte par corps.

Au Maroc, en Tunisie au Sénégal pour ne citer que ces pays voisins la contrainte par corps n’est applicable qu’en pénal. L’Egypte s’est distinguée par l’application de cette procédure en matière de statut personnel.

Elle a été supprimée dans les obligations contractuelles pour respecter les droits de l’homme et pour se conformer aux pactes internationaux.

En Mauritanie, la procédure de la contrainte par corps est organisée par l’article 421 et suivants du code de procédure civile, commerciale et administrative qui dispose qu’elle est applicable en matière civile et commerciale pour l’exécution de tout jugement ou arrêt définitif. Elle peut être exercée contre le débiteur principal ou le donneur d’aval.

Il ne peut y échapper que les individus non majeurs et les personnes ayant commencé leur 70ème année. La durée de la contrainte est fonction du montant de la dette. Par exemple si la dette atteint ou dépasse 1 000 000 ouguiya la durée de la contrainte par corps est plafonnée à 2 ans. Mais elle ne peut être exercée qu’après échec de toutes les voies normales d’exécution du jugement.

Le jugement ou l’arrêt qui la prononce doit être basé sur la mauvaise foi ou la négligence du débiteur qui ne peut obtenir son élargissement que par accord du créancier ou paiement de la dette dont il est redevable. Il faut rappeler que l’exécution de la contrainte par corps n’éteint pas la dette dont le débiteur reste toujours redevable.

La contrainte par corps est exercée pour l’exécution d’office de tous les arrêts et jugements en matière criminelle, correctionnelle et de simple police portant condamnation au profit de l’Etat à des amendes, restitution, dommages-intérêts et dépens(article 663 du code de procédure pénale mauritanien). Toutefois elle ne peut être appliquée en matière d’infraction politique. Les particuliers qui ont obtenus des dommages-intérêts pour réparation des crimes et délits peuvent demander l’application de la contrainte par corps (article 665 code de procédure pénale).

Le champ d’application de la contrainte par corps en Mauritanie s’étend pour embrasser désormais les créances bancaires. En effet la loi de 2010 sur le recouvrement des créances bancaires a instauré cette procédure à l’encontre des débiteurs et leurs complices au sein de la banque alors que la loi de 1993 sur le recouvrement des créances bancaires s’est limitée en cas de non paiement d’une créance accompagnée de la mauvaise foi du débiteur à une poursuite pénale pour abus de confiance.

On voit donc que la contrainte par corps dans notre législation embrasse un champ d’application très large contrairement à d’autres pays.

En conclusion, il est vrai que l’application de la contrainte par corps assure un contrôle social, une régulation commerciale et une incitation au respect des dettes, mais aggrave aussi l’incapacité du débiteur à s’acquitter et peut freiner l’esprit d’entreprise. Il est vrai aussi que son efficacité est discutable, mais est-il juste de laisser le créancier sans protection contre le débiteur malhonnête qui cache son argent ?

La Tunisie sans apporter une solution à ce débat qui reste ouvert a introduit dans son code de procédure pénale une ébauche de solution en laissant la faculté au débiteur de payer sur ses biens (s’il en a) ou par voie de contrainte par corps ou par voie du travail d’intérêt général.

Je pense que le maintien de la contrainte par corps dans notre législation en matière civile et commerciale est tombé en désuétude par rapport aux autres législations qui l’ont abandonné et par rapport aux pactes internationaux que la Mauritanie a ratifiés et qui interdisent une telle pratique.

En matière pénale la soumission du condamné au travail d’intérêt général me paraît plus approprié que l’application de la contrainte par corps.

Maître Didi Ould Mohamed Cheikh
Avocat



"Libre Expression" est une rubrique où nos lecteurs peuvent s'exprimer en toute liberté dans le respect de la CHARTE affichée.

Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.


Commentaires : 0
Lus : 1313

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (0)