29-03-2015 14:30 - Le président guinéen, le professeur dans une interview exclusive à l’hebdomadaire mauritanien Le Calame

Le président guinéen, le professeur dans une interview exclusive à l’hebdomadaire mauritanien Le Calame

Le Calame - "Nous avons fait mieux en quatre ans que nos prédécesseurs en quarante"

Le Calame : Vous vous préparez pour une élection présidentielle, en Octobre prochain, qui sera, espérons-le, plus apaisée que celle de 2010. Dans quel contexte va-t-elle se dérouler ? Pensez-vous que votre bilan, qualifié de positif par les observateurs, vous facilitera la tâche ?

Professeur Alpha Condé : La situation de la Guinée a complètement changé, à cause de la crise sanitaire provoquée par le virus Ebola. A mon arrivée à la tête de l’Etat en 2010, il fallait partir pratiquement de zéro. Il fallait se battre, pour être éligible à l’initiative PTTE. Avec ce résultat, obtenu au prix de grands sacrifices, nous avons rétabli les grands équilibres macro-économiques mais, au moment où nous pensions passer à la deuxième phase, de la macro-économie à la micro-économie, Ebola est arrivé. Nous avons passé toute l’année 2014 et une partie de 2015 à combattre le fléau.

L’élection présidentielle se déroulera donc dans un contexte où nos moyens financiers seront limités, à cause d’Ebola. Sans compter que nous avons, en face de nous, des gens qui prônent la violence, qui sont prêts à envoyer des enfants dans la rue, alors que le débat politique doit se dérouler, désormais, au sein du Parlement ou l’opposition compte un important nombre de députés. Nous espérons que la raison va finir par l’emporter et que la Guinée connaîtra une élection présidentielle apaisée, pas seulement parce qu’on a Ebola, mais parce que c’est dans l’intérêt de tout le monde. J’avoue que tel que les choses se présentent, nous souhaitons une concertation entre tout le monde. Avec Ebola, il aurait dû se former une union nationale, pour faire face à cette catastrophe, mais au lieu de ça, certains ont choisi de manifester. Pour notre part, nous ferons tout pour que l’élection se déroule dans les meilleures conditions. C’est notre objectif.

- Pensez-vous que le bilan qui est le vôtre à la tête de la Guinée vous permettra de passer cet écueil sans grandes difficultés ?

- Le bilan macroéconomique est une bonne chose ; mais, ce qui m’importe, c’est d’améliorer sensiblement les conditions de vie des populations guinéennes, fournir l’emploi aux jeunes et assurer le microcrédit aux femmes. Mais, malheureusement, nous n’avons pas pu atteindre cet objectif, même si nous avons fait mieux, en quatre ans, que nos prédécesseurs en quarante ans.

- La crise de 2010 a creusé un fossé, dit-on, entre les Peuls et votre communauté. Qu’avez-vous fait de concret, pour le combler, et quel message voulez-vous adresser à vos compatriotes peuls ?

- Il n’y a pas de fossé creusé entre nous. C’est une manipulation de certains cadres. J’ai eu à m’expliquer sur ce point. Mes meilleurs amis, ainsi que ma première femme [Mama Kani Diallo, fille du chef de canton de Kankalabé, ndlr] sont peuls. En plus, je n’aime pas rentrer dans ces considérations ethniques. Pour moi, un guinéen est un guinéen qu’il soit peul, malinké, soussou ou forestier. J’ai toujours dit que la Guinée est comme une voiture qui a quatre roues, représentant nos quatre régions naturelles. Si l’une des roues ne marche pas, le véhicule va s’arrêter. Sur le terrain, j’ai réalisé plus d’infrastructures au Fouta que personne n’en a jamais faites. Regardez ce que sont devenues les villes de cette région depuis mon arrivée, comme Mamou. Plus le mensonge est gros, plus il passe, dit-on. Malheureusement, mes adversaires n’ont pas de programme. S’ils en avaient un, ils l’auraient axé sur le rationnel et non sur la région ou l’ethnie. Je me bats pour réaliser un programme concret et non pour une ethnie ou une région.

- De plus en plus de mauritaniens investissent en Guinée, dans les banques, la pêche, les mines, l’industrie. Comment jugez-vous cette présence ?

- Nous avons toujours été des panafricanistes et nous accueillons tous nos frères africains. Nous sommes très heureux qu’il y ait des mauritaniens parmi nous. Nous souhaitons que des hommes d’affaires d’autres pays viennent investir chez nous. L’Afrique ne peut se développer que si ses propres fils y investissent.

- Y-a-t-il une spécificité guinéenne pour que nos hommes d’affaires soient ainsi attirés ?

- Il faut poser la question aux Mauritaniens. Moi, je me sens quelque part mauritanien. J’ai gardé beaucoup d’amis mauritaniens, depuis le temps où j’étais étudiant en France. Je suis lié à des hommes politiques mauritaniens avec lesquels j’ai une solidarité et un passé communs.

- On peut parler, dans ce cas, de modèle guinéen…

- Je ne sais pas si l’on peut parler de modèle. Nous, en tout cas, nous avons beaucoup favorisé l’investissement africain. En plus des Mauritaniens, il y a le sénégalais Yerim Sow qui est en train de construire l’hôtel Noom et des camerounais qui ont ouvert une banque ici.

- Vous êtes le premier président guinéen qui arrive au pouvoir par les urnes. Comment s’est opérée cette mutation ? Comment les Guinéens vivent-ils ce changement ?

- Malheureusement, les Guinéens ont perdu, en plus de vingt-cinq ans, le sens de l’autorité et de la discipline. Une certaine anarchie s’était installée. Il n’est pas toujours facile, pour les gens, de comprendre que quelque chose de positif s’est produit. La Guinée est victime de son passé mais, avec le temps, les observateurs commencent à se rendre compte que le pays vit une mutation et que le camp Boiro [célèbre camp militaire de Conakry où l’on emprisonnait les opposants, NDLR] la répression et les privations de liberté appartiennent au passé. Le pays a beaucoup évolué, en quatre ans, sur le plan des droits de l’Homme. Comme vous êtes là, vous pouvez vous rendre compte du nombre de radios libres et de journaux indépendants paraissant sans aucune restriction. Je me suis battu pour la démocratie pendant des années et je ferai tout pour qu’elle s’installe définitivement en Guinée mais démocratie ne veut pas dire anarchie. Chacun a le droit de manifester, comme le garantit la Constitution, mais pas celui de casser les voitures, les commerces ou de tirer sur les forces de l’ordre. Cela s’appelle un délit. L’objectif étant de pousser les forces de l’ordre à tirer pour qu’il y ait mort d’hommes et qu’on dise : « Regardez ce qui se passe en Guinée ! ». C’est difficile de développer la démocratie, dans un tel contexte, puisque tout le monde doit être démocrate. Comme je l’ai dit plus haut, le droit de manifester est inscrit dans la Constitution, mais l’Etat doit protéger les vies et les biens de ses citoyens, à n’importe quel prix. C’est sa vocation même. Quand vous faites de la casse ou vous tirez sur les forces de l’ordre, on ne peut parler de manifestation de la liberté mais de sa négation même.

- Est-ce qu’on peut dire à présent que la démocratie guinéenne est sur les rails et qu’un retour en arrière n’est plus possible ?

- Il y a encore des gens qui veulent qu’on revienne en arrière, des gens auxquels la démocratie n’offre pas de satisfaction, ils considèrent, par exemple, sur le plan financier, que nous avons « fermé les robinets » de la corruption. Avant, des gens étaient habitués à des situations de monopole et à des rentes. Certains préfèrent un régime où ils ont tous les droits quand les autres n’ont rien. Il est difficile de pousser la locomotive de la démocratie devant tant de blocages. Il faut du temps pour que la démocratie s’installe, vous savez.

- Pour en revenir à votre bilan économique, comment avez-vous réussi, en moins de quatre ans, à fixer la parité du franc guinéen par rapport aux devises, atteindre l’Initiative PPTE, effacer une dette de 3,5 milliards de dollars et rétablir les relations avec les institutions de Bretton Woods ?

- Personne ne croyait que la Guinée allait réussir à adhérer aux PPTE tant les conditionnalités étaient draconiennes. Notre économie devait passer de 12% de déficit à 2%. C’était un passage obligé mais cela ne nous pas empêché d’améliorer, ne serait-ce qu’un peu, les conditions de vie des populations. Quand on n’est pas éligible à l’initiative PPTE, on est un pays paria. C’est à partir du moment où nous avons décidé de consacrer toutes nos ressources aux besoins des populations qu’Ebola est venu. On ne sait toujours pas comment d’ailleurs est intervenue cette crise sanitaire. Ebola est arrivé au moment même où la Guinée allait décoller sur le plan économique.

- Ce fut donc un frein au décollage de votre pays…

- Un très grand frein, même. Voyez comment nous avons été isolés du Monde. Quand des pays ferment leurs frontières, on ne peut plus voyager. Heureusement que la France, le Maroc et la Belgique ont maintenu leurs dessertes de Conakry, sinon, qu’est-ce qu’on allait devenir ? Même les bateaux ne pouvaient plus venir. On a frôlé la catastrophe.

- Peut-on dire, maintenant, que la crise sanitaire Ebola est derrière nous ?

- Maintenant c’est dangereux. Puisqu’il n’y a plus de malade en Guinée forestière, les gens, à Conakry, commencent à se relâcher, à baisser les bras, en se disant que c’est fini. Or, comme l’a dit le secrétaire général des Nations Unies pour la polio, il est plus facile de passer de 100 à 10 cas que de passer de 10 à 0 cas. Il faut renforcer la vigilance, reprendre les bonnes habitudes pour qu’on arrive à éradiquer totalement la maladie. J’ai animé une conférence de presse, il y a quelques jours, pour répéter qu’il ne faut pas relâcher la vigilance et que le mal guette encore. Tout le monde pense qu’Ebola est fini mais, s’il y a des cas à Conakry, ça va être grave.

- Comment se portent les relations entre la Mauritanie et la Guinée ?

- Nos relations sont bonnes. Seulement, je ne savais pas qu’il y avait un visa entre nos deux pays. Dernièrement, nous avons décidé, le président mauritanien et moi, qu’il n’y en aurait plus. Le protocole sera signé sous peu. Nous nous sommes également entendus sur la commission sous-régionale des pêches. Dans le cadre de l’OMVS aussi, l’entente est parfaite.

Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh



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