24-05-2015 21:00 - Maurichronique : Epitre de ça me dit...

Maurichronique : Epitre de ça me dit...

Maurichronique - Tu sais, j’ai appelé, enfin, j’ai essayé d’appeler, ça ne sortait pas. Une fois, puis deux, ensuite trois, encore et encore, et à chaque fois on me disait que je ne pouvais plus te parler. Tu sais, ça par contre, tu ne le sais pas, j’en suis sûr, la parole aujourd’hui se vend.

Pour parler, il faut payer pour que ta parole soit transmise. Sinon, elle ne te quitte pas, ta parole. Les nouveaux facteurs sont intraitables. Leurs timbres sont hors de portée. Et leur portée se limite à peine à quelques millimètres de parole.

J’ai décidé donc de parler à l’ancienne. T’écrire une lettre chaque semaine, disons, je crois que c’est raisonnable. Je te ferai une sorte de salmigondis de ce qui se passe, ce qui se dit et de ce que, bien sûr, ça me dit. Quand, tu liras quelque part une missive précédée de l’intitulé "ça me dit", c’est que c’est de moi. Retiens bien, il faut bien que tu retiennes le titre. C’est un croisement phonique du nom de la journée de l’épitre – samedi- et l’expression figée construite autour de la déclinaison moyenâgeuse du vocable "dit".

Ah, oui, cher ami, moyenâgeuse, puisque nous sommes toujours dans le même village où tu nous as quittés. Le chef du village est mort, un autre s’est imposé, comme tu sais, exactement, tel son prédécesseur, il s’était proclamé chef. Il était là, au bon ou au mauvais moment, le mieux outillé de tous, en matière d’artilleries.

C’est un épisode classique, je te l’épargne, y reviendrai un jour, c’est promis, et je passe à l’instant présent.

L’instant présent est celui des taches. Je me limiterai, pour le moment, sur la tache d’huile. C’est te dire que je laisse de côté toutes les autres taches, non physiques, profondément et foncièrement morales qui meublent le quotidien de notre village.

C’est un jour récent. Hier ou avant-hier, je ne sais plus, l’océan a parlé. Tu te souviens bien de ses rots vespéraux, ses berceuses qui chassaient au loin les braises caniculaires qui tannaient nos peaux. Et ces espoirs qu’il faisait naître, par ses ariettes marines, en nous. Non, l’océan, cette fois-ci, a éructé ses vomissures. Des taches noires, venues d’on ne sait où, ravagent le littoral, exterminant, au passage, espèces marines et richesses halieutiques. Le chef du village a dépêché ses hérauts. Je les ai vus jurer de la bonne santé des taches, de celle du poisson qu’elles ont rendu visqueux, comme ils ont toujours juré de la sainteté morale de bien d’autres taches non physiques du chef du village.

Laisse-tomber me disait ma géomancienne, que j’ai consultée sur la question et sur bien d’autres. Elle a passé la main à sa fille. Toujours, dans la même pièce enfumée d’encens de toutes les races, où, toi et moi, y étions des nuits et des nuits durant pour comprendre. L’héritière a changé les rideaux et les couvertures des matelas, dont l’éponge est devenue encore plus ramollise comme des lames passives.

En dessinant de ses petites mains des signes sur le sable importé et porté dans un grand plat, yeux fixant le reflet de sa main fermée en poigne placée au-delà de la petite chandelle qui donnait un peu de lumière à la salle, elle lança, : "Par le ciel, par le ventre de la mer, de toutes les mers et tous océans, des fleuves et des plus insignifiants des cours d’eau, par la terre, les dunes et les sables mouvants, que j’ai interrogés, un à un, une à une, qui disent tous et toutes de la même parole que les taches d’huile ne sont que de nous." 

Et de poursuivre, en déployant sa poigne : "Qu’elles viennent, les taches, d’un bateau quelque part, qu’elles soient du fioul, ou n’importe quel liquide, elles sont attirées, appelées par une terre désormais havre de paix, une contrée d’exil paisible pour toutes les taches de l’univers. C’est le mensonge du chef qui rassure et qui offre un accueil des plus rassérénés aux taches. C’est un lit de confort. Un nid pour sûr pour toutes les salissures de la planète."

C’est peu de ce que notre géomancienne m’a dit l’autre soir. Sur le mensonge du chef, je te dirai encore et encore. J’aurais du commencer par celui-là, peut-être, le mensonge du chef. J’y ai pensé, pourtant. Mais, j’étais, au moment de t’aligner ces mots, assailli et embarrassé par quel mensonge entamerais-je mon épitre. Ils sont sectoriels, les mensonges, ici. Autant de secteur, autant de mensonge. L’éducation : Son mensonge s’illustre par son année. Celui de la lutte contre la gabegie s’invente par sa méthodologie et meurt par celle-ci.

Le mensonge se crée sous toutes les formes. On le produit, pour l’occasion. On le programme. Et ça, je ne pense pas que tu dois le connaître. Promettre un mensonge. Tu as connu, toi, l’époque, des promesses, de belles promesses. On ne promettait jamais des mensonges, sinon on allait les appeler menaces ou autre vocable plus péjoratif. Aujourd’hui, le mensonge est inscrit comme option, un choix de premier ordre, dans la politique du chef du village. C’est ça la nouveauté chez le chef actuel. J’y reviendrai, cher ami. La prochaine fois. Dans un ça me dit ou un autre ça me dit.

Ç…



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Commentaires (2)

  • hathlele (H) 24/05/2015 22:41 X

    Enfin une belle plume! Merci, Essebte, pardon Saturady ou Samedi. Je dirai plutôt "ça me dit".On attend ...la suite. Sidi Ould Bobba Zouerate

  • OULDOUMOU (H) 24/05/2015 21:38 X

    Respect pour l auteur de ce texte : Un délice, un moment de pur bonheur......encore merci et merci....