15-01-2016 21:00 - Aleg la cosmopolite

Aleg la cosmopolite

Le Calame - Plus de cent ans après sa fondation, la ville d’Aleg nargue toujours le temps et ses aléas, du haut des dizaines de mètres de sa célèbre colline où les colons français construisirent, vers 1900, un fort militaire. Celui-ci surplombe encore toutes les constructions de la vieille cité.

Dans sa route vers Tidjikdja, Xavier Coppoloni aurait passé un jour ou deux dans le nouveau fief établi par la puissance colonisatrice française. Sur la date exacte de la fondation de Lekdeya (montagnette) ou Goueibina pour les taquins – deux autres noms d’Aleg – chacun y va de sa version personnelle.

Les campements dont sont issus plusieurs des premiers habitants de la ville datent de très longtemps. Le lac dont la ville tire le nom et la plaine dont elle tire la vie constituent des éléments naturels essentiels incontestables pour justifier amplement de l’aura de la cité, dans un environnement agropastoral emblématique de toute la wilaya du Brakna dont Aleg deviendra la capitale.

Jusqu’aux années 1980, la ville est restée paisiblement calfeutrée sur ses trois principaux quartiers : Médina, Jedida, deux excroissances de sa plus ancienne favela : Liberté ou Derissa qui en est le noyau et où vinrent se regrouper les tout premiers esclaves rebelles qui quittaient leurs maîtres des campements environnants, les employés coloniaux indigènes, les commerçants venus, surtout, du Tagant voisin ou de l’Adrar, et quelques autres « coupés de chaussures », débarquant d’on ne sait où, en aventuriers ou errants.

Ainsi, de la bâtisse de la brigade de gendarmerie à la célèbre grand-rue, en passant par les locaux de l’élevage et du dispensaire, c’est tout un cosmopolitisme de populations venues de partout.

Certains noms peuvent même faire croire, aux visiteurs, qu’ils sont quelque part au Mali, en Guinée ou au Sénégal : Birama Dembélé, Tiécoura Moussa N’Diaye, Demba Faye, Meïmad Diallo (déformation de Mamadou Diallo), Mersou (déformation d’Oumar Sow), Louis Diallo, Boubacar Sarr, Mohamed Lemine Diallo, Cheikh Sarr, Amad Djibi (déformation d’Amadou Djibi), Mbey Diangou (déformation de M’Baye Ndiong), M’baye Guèye, Maga Traoré et autres Bakari Traoré, Mor Cissé, Mama Cissé, Kati Kamara, Ethmane Diop, Demba Ama, parmi beaucoup d’autres, sont d’illustres Alégois dont les maisons se situent en plein cœur de l’inénarrable quartier Liberté.

Des chauffeurs et cuisiniers coloniaux, boulangers, postiers et autres puisatiers, partisans ou goumiers redevenus gardes ou gendarmes dont certains venaient du Sénégal, du Mali, de la Guinée et, parfois, même de la Haute Volta (actuel Burkina Faso).

Tous ces noms sont assortis, systématiquement, d’un Ehel untel, complètement adapté aux us et coutumes d’une communauté qui n’a plus aucun secret pour eux. Aleg la rebelle est un véritable melting-pot : Les familles Lopez, Pedro et autres sont des ressortissants à part entière de cette vieille « guérite » militaire qui vit naître la Mauritanie, un certain 5 Mai 1958, lors de l’historique congrès d’Aleg.

Après cent cinquante ans d’existence, Lekdeya reste encore un gros village. Plusieurs de ses gouvernants, notamment le hakem de la ville, et la maison de son gouverneur restent toujours haut perchés sur la montagnette, comme pour bien voir les gens de la ville vaquer à leurs occupations dans le vieux marché au pied de la colline ou, là-bas, dans la plaine agricole de Lekleïla, à quelques centaines de mètres du vieux fort, vers le petit village de Teyba.

Quelques bâtiments construits au cours de la colonisation narguent encore le temps et ses infortunes. Il y a, d’abord, la Sangu’a : une vingtaine de très anciennes petites maisons où logeaient les gardes coloniaux et leurs familles, demeures, aujourd’hui, de quelques éléments de la Garde nationale.

Il y a, ensuite, la brigade de gendarmerie et le poste d’élevage, toujours d’aplomb, sans rien envier aux nouvelles constructions officielles qui les entourent. Il y a, enfin, l’école 1 d’Aleg, superbement construite dans les années 1930 et qui a vu défiler des générations et des générations de brillants élèves formés par de plus encore brillants et célèbres instituteurs.

Ce n’est certainement pas un hasard que cette école est la seule du pays à pouvoir se vanter d’avoir « sorti » un président de la République, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, et trois administrateurs directeurs généraux de la SNIM, Ismaïl ould Amar, Baba Ould Ahmed Youra et Mohamed Abdallahi ould Oudaa.

Autrefois célèbre pour ses moustiques, Aleg l’est aujourd’hui plus par son croustillant méchoui dont raffolent les voyageurs de toutes provenances qui ne manquent jamais de s’en délecter, à la moindre occasion. C’est aussi dans cette ville que se trouve la tombe de feu Mohamed Ould M’sseïka, résistant pour les uns et bandit de grand chemin pour les autres.

Comme par hasard, la tombe de cet homme qui fit tant parler de lui se situe à quelques encablures de la nouvelle prison, comme pour rappeler l’anecdote selon laquelle, averti, par les prisonniers, alors qu’il venait d’être incarcéré à Aleg, de la dangerosité des moustiques de Lekdeya, Ould M’sseïka répondit par une formule qui devint, par la suite, un adage : « Dites-le à celui qui passe l’hivernage à Aleg ». Les gens racontent que Mohamed ne passa, de fait, pas même une nuit en prison.

Après un siècle et demi d’existence, Aleg avance. Lentement. Juste onze écoles fondamentales, un lycée et un collège. Un hôpital régional et un dispensaire. Une école d’ingénieurs et une petite industrie de tuyauterie, made in SNIM. Une 7ème région militaire et une zone-centre de gendarmerie.

Et, tenez-vous bien, la plus grande prison du pays. Pour plus de cent cinquante ans de vie, ce n’est pas beaucoup. Aleg la rebelle devra donc attendre l’avènement d’un providentiel second président. Qui restera, cette fois, un peu plus longtemps, espérons-le, pour faire, de sa ville, une des plus en vue du pays.

Sneïba El Kory



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Commentaires (1)

  • Ibiliss (H) 16/01/2016 02:35 X

    Au regard de son physique de rail et de sa mine d'enterrement, si j'étais Aleg, j'aurais assurément honte de mon âge!