11-02-2016 18:00 - Mauritanie : les désarrois du président Aziz

 Mauritanie : les désarrois du président Aziz

Jeune Afrique - Décès de son fils préféré, impossible dialogue avec l'opposition, effondrement des recettes minières… Face à l'adversité, Mohamed Ould Abdelaziz garde le silence. En ce début de 2016, un « vent de sable » d’ordre à la fois politique, économique et personnel empêche Mohamed Ould Abdelaziz d’y voir clair et de déployer ses projets d’avenir.

Le décès à l’âge de 24 ans de son fils préféré, Ahmedou, l’impossible dialogue avec son opposition, la brève mais spectaculaire évasion d’un terroriste condamné à mort et l’effondrement des recettes minières contrecarrent la dynamique que le président avait impulsée. Dans ce régime ultrapersonnalisé, son long silence semble trahir un réel désarroi.

L’accident de la route qui a coûté la vie, le 22 décembre, à Ahmedou Ould Abdelaziz et à deux journalistes a révélé que le fils cadet du président occupait une place de choix dans la stratégie de ce dernier. Il est mort au cours d’une tournée de distribution de produits de première nécessité dans le cadre de sa fondation, Rahma.

Comme son père, il pratiquait cette activité caritative pour tenter de gommer les dégâts d’une pauvreté toujours sévère. Si l’on en croit une rumeur invérifiable, il disposait à cet effet d’un budget de quelque 8 milliards d’ouguiyas (21,5 millions d’euros), soit davantage que le budget de Tadamoun (« solidarité »), l’organisme officiel de lutte contre la pauvreté et contre les séquelles de l’esclavage que préside l’ancien ministre Hamdy Ould Mahjoub.

Ainsi se ferme l’une des possibilités pour le président de se succéder à lui-même à travers l’élection de son fils sans violer la Constitution, qui l’empêche de briguer un troisième mandat en 2019. Fichue Constitution qu’il aimerait bien remanier, comme les présidents rwandais ou congolais ! Comme Paul Kagamé, il estime n’avoir « pas fini le job ».

La France n’applaudit-elle pas l’efficacité de sa lutte contre le terrorisme malgré quelques ratés et n’est-elle pas ravie de sa contribution à la COP21 ? Pourquoi se montrerait-elle plus sourcilleuse à son égard qu’à l’égard du Congolais Sassou Nguesso ? La Mauritanie n’est pas le Burkina Faso, et l’on voit mal la rue s’opposer à une révision constitutionnelle. Mais le président a promis qu’il ne toucherait pas à la loi fondamentale.

Son plan pour affaiblir l’opposition

Alors, comment faire pour la respecter tout en la contournant ? Le chef de l’État semble hésiter entre deux solutions : annihiler l’opposition ou la séduire. Il a tenté la première en confiant à son Premier ministre, Yahya Ould Hademine, le soin de « noyer » les opposants dans une grande réunion avec la société civile, le 7 septembre 2015.

Objectif manqué, car les grands partis d’opposition, rassemblés notamment dans le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) ou la Coalition pour une alternance pacifique (CAP), ont refusé d’y prendre part.

Il a alors demandé à son précédent Premier ministre, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, d’explorer la seconde solution et de renouer avec l’opposition par le truchement du FNDU, fidèle en cela au proverbe hassaniya : « Ménage tes montures avec équité, car tu ne sais pas laquelle tu utiliseras. » Hademine ou Laghdaf ?

Peut-être est-ce à la faveur de la dignité avec laquelle le président a vécu son deuil, et qui a forcé le respect, que cette ouverture a fait bouger les lignes. Une fracture est en effet apparue au sein du Forum entre douze des seize partis qui le composent, et qui sont favorables à la relance du dialogue, et le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), d’Ahmed Ould Daddah, qui assimile le dialogue à une compromission.

En réalité, on relève trois positions au FNDU. Il y a celle, conciliante, de son président, Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni, personnalité indépendante, qui déclare : « C’est nous qui avons demandé le dialogue, qui est inscrit dans les objectifs du Forum, mais la balle est dans le camp du pouvoir, car c’est à lui de donner des gages de sa bonne volonté.

L’opposition a tout à gagner à la réussite du dialogue pour préparer une alternance pacifiée en 2019. »
À ceux qui l’accusent de se rallier au président, il rétorque que son passé d’opposant prouve qu’il n’a de leçon à recevoir de personne.

Au RFD, on refuse de facto tout dialogue, mais sans le reconnaître. « Nous ne croyons pas à la sincérité du clan Aziz, explique Limam Ahmed Ould Mohamedou, secrétaire permanent du parti.

Il n’a jamais respecté ses promesses. Nous sommes étonnés que certains au FNDU acceptent de se rendre à la table de Laghdaf. Tant que nous n’aurons pas une réponse écrite aux demandes du Front, nous ne bougerons pas, même si nous devions rester seuls. »
Au sein même du RFD, cette intransigeance n’est pas toujours comprise, et la famille Ould Moine est entrée en dissidence.

Troisième position, médiane, celle de Mahfoudh Ould Bettah, président de la Convergence démocratique nationale (CDN) et du pôle politique du FNDU : « La position de notre président n’a pas eu l’aval des partis qui composent le Front, mais on n’en fera pas un problème.

Le chef de l’État n’a pas fait le moindre geste en notre direction, et nous attendons toujours que le pouvoir réponde par écrit à notre plateforme »,
à savoir l’ouverture des médias publics à l’opposition, la dissolution de la garde présidentielle prétorienne (le Basep), la garantie qu’Abdelaziz ne se représentera pas en 2019, etc.

Le grand bénéficiaire de ce blocage est le parti islamiste Tawassoul, proche de la tunisienne Ennahdha. Il fait partie du FNDU et demande, lui aussi, une réponse écrite du pouvoir.

« Je ne comprends pas pourquoi le pouvoir bloque sur une question aussi formelle, commente Mohamed Jemil Mansour, son président. Nous sommes très prudents, car nous ne voulons pas embarquer l’opposition dans une voie qui ne sert pas la démocratie.

En fait, je crois que le pouvoir n’a pas encore tranché pour 2019 entre la modification de la Constitution et le choix d’un dauphin qui, dans notre système tribal, pourrait échapper à son maître. »


Mais Tawassoul n’a pas boycotté les législatives de 2013 comme les autres membres du FNDU, se trouve être le seul parti d’opposition représenté au Parlement, et jouit à ce titre de prérogatives et de budgets. Avec un pied dedans, un pied dehors, il a tout intérêt à ce que le blocage persiste.

L’effondrement des recettes minières

Côté économie, les nuages s’amoncellent. Certes, le Premier ministre affiche un optimisme raisonné, puisque la croissance a atteint 3,1 % l’an dernier, et même 4,2 % si l’on exclut les industries extractives.

Le déficit budgétaire est contenu à 3 % du PIB et les réserves en devises sont remontées à cinq mois d’importations. Les récoltes ont été favorisées par une bonne pluviométrie. Quant à l’ouguiya, la monnaie nationale, il n’a glissé que de 9 % en 2015.

Reste que le cours du minerai de fer, qui finance presque un tiers du budget de l’État, s’est effondré. Que la Société nationale industrielle et minière (Snim), qui exploite les gisements, a dû arrêter la construction de la tour de bureau dont la carcasse inachevée trône au cœur de Nouakchott. Que des manifestations dénoncent la cherté de la vie et des carburants bien que l’indice des prix n’indique que 1 % d’inflation.

Le gouvernement marche sur des œufs. Pour l’instant, il n’est pas budgétairement en péril, car il n’a pas répercuté sur le prix à la pompe la baisse du cours du pétrole, ce qui lui permettrait d’économiser quelque 120 milliards d’ouguiyas en année pleine par la suppression des subventions. Le pétrole pas cher permet à la Somelec (électricité) de ne pas demander de subventions à l’État pour la première fois depuis plus de vingt ans.

Si l’endettement de la Mauritanie est gérable, il va cependant falloir tailler dans les effectifs de plusieurs sociétés publiques. La Snim devra faire des choix et réduire la voilure. Les subventions aux produits agricoles diminueront.

Le pays supportera-t-il sans broncher ces sacrifices ? Le pouvoir parviendra-t-il, par diverses formes de charité, à porter secours aux plus démunis ? Si la crise n’excède pas un an, les experts estiment que la Mauritanie s’en tirera seule. Sinon…

Autant dire que, face à ces dangers, le président Aziz serait mal avisé de penser que 2019 est loin et qu’il peut se permettre d’attendre l’implosion de l’opposition et la remontée du prix du fer.

AQMI en échec

Le 31 décembre 2015, Cheikh Ould Saleck, membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), condamné à mort pour avoir tenté, en 2011, d’assassiner le président, s’évadait de la prison de Nouakchott déguisé en femme voilée. Cet échec de l’organisation carcérale faisait craindre un retour aux années 2000, quand Aqmi se jouait des forces de l’ordre.

La rapidité avec laquelle il a été repris en Guinée, le 19 janvier, rassure : l’antiterrorisme mauritanien est toujours le plus efficace de la région. Car, depuis 2011, Aqmi n’a pu mener aucune action en Mauritanie. Ses bases ont été plusieurs fois attaquées par les forces spéciales aux cris d’« Allah akbar ! »

Celles-ci ont été jusqu’à se déguiser en jihadistes pour tromper l’adversaire. Les oulémas se sont rendus dans les zones déshéritées et dans les prisons pour y enseigner que le vrai Coran est miséricordieux. « Mais ne faisons pas les fiers, dit le colonel El Boukhary, ancien directeur de la communication de l’état-major.

Nos confréries font barrage au fondamentalisme, mais elles peuvent être noyautées. Nos écoles coraniques peuvent devenir des foyers de fanatisme si on ne prend garde à qui les dirige, avec quel argent et pour quel enseignement. Ne baissons pas la garde idéologique. »




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Source : Jeune Afrique
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Commentaires (11)

  • falasha (H) 14/02/2016 17:28 X

    Merci Baladjigui, rien n'a ajouter, c'est notre sous développement mental qui est à l'origine du dégât que nous subissons en ce moment, tant que chaque Mauritanien ne se sentira pas comment élément principale du développement de son pays nous irons nul part. eN suite il faut que nos Mairie s'occupent de la ville de Nouakchott qui est la capitale la plus sale. Je regrette, mais il n'y a pas une autre façon de le dire.

  • Baladjigui (H) 13/02/2016 01:51 X

    Soyons clairs : Le Président Ould Abdel Aziz, ni personne d’autre, ne pourra régler les problèmes du pays tant que nous ne changerons pas nos comportements. Comment pouvons-nous agir comme nous le faisons depuis des décennies et prétendre à un quelconque développement ? Pendant qu’on accuse Ould Abdel Aziz de tous les maux, qu’apportons-nous de bien vertueux à notre pays : nous nous refusons à travailler correctement, préférons le clan, la famille, le copinage à la compétence et la rigueur, profitons de la moindre occasion pour nous servir même si nous n’avons pas droit, abandonnons salles de classe, postes de santé et autres lieux de travail pour vaquer à nos besoins personnels, refusons les queues là où elles doivent être faites, brûlons les feux rouges, et j’en passe… Réveillons-nous car la voie suivie nous conduit à une impasse ; c’est comme courir sur un toit, cela ne mène pas très loin !

  • mohamed hanefi (H) 12/02/2016 10:38 X

    @zelimkhan2. Précisez svp. Je n'ai pas vu ou j'ai été hypocrite ou menteur. Je ne suis pas caché derrière un pseudo et comme vous le revendiquez, et à votre tête mon ennemi intime Gorgovich, qui toujours les méninges bandées, est prompt à me critiquer je profite de cette liberté d'expression que vous criez et revendiquez sur les toits. Penses-tu que personne ne remarque cette "croisade fébrile" que vous menez sur le net pour empêcher quiconque ne verse pas dans vos idées de parler? C'est ça l'hypocrisie manifeste, doublée de la lâcheté de ne pouvoir découvrir son visage. Ceci même quand on vit à des milliers de kilomètres de la Mauritanie, mais qu'on s'acharne à la bruler. Mon frère. Je ne suis ni menteur, ni hypocrite et je n'ai aucune raison de l'être. Mais et avec mon respect pour ceux qui semblent atteint d'une certaine allergie à mes références à la religion, je te dis que la référence à Dieu est le seul recours pour les peuples perdu comme le notre. Et je te rappelle, puisque je te connais et je sais que tu es issu d'une famille très musulmane, que Dieu a dit "Discute avec eux de la manière douce et paisible." Et si un jour vous avez envie de prendre les armes, faites donc. Ce ne sont pas mes discours, "vedqhou", comme disait l'un de vous, qui vous en empêchent.

  • lumiere (H) 12/02/2016 08:24 X

    Notre AbdulAziz est un INCAPABLE

  • zelimkhan2 (H) 12/02/2016 07:58 X

    @ Hanefi, vos textes font toujours référence aux valeurs prônées par l'islam. Je vous en rappelle deux qui sont fondamentales: un musulman ne ment pas et ne doit pas être hypocrite. Merci

  • Ibiliss (H) 12/02/2016 01:01 X

    Oh, qui vois-je là? Notre Demi-dieu dont les écoles manquent de profs, dont la population est accrochée à la queue du diable, dont les communautés noires ne cessent nuit et jour de maudire, dont le pays est devenu carrefour de la poudre... Assurément, c'est un élu de choix!... Dieu donne, reprend, à sa guise! Dieu est tout, absolument! Certes! Mais que Dieu me garde d'oublier qu'Il m'a aussi doté d'un cerveau!

  • El Houssein (H) 11/02/2016 23:59 X

    Hanefi est sage dans c commentaire. Vous avez la vérité et apporté un bon conseil à qui veut l'entendre. Il est vraiment temps de regarder en haut et à coté ni autour. C'est une perte de temps et la recette financoère est de la fausse monnaie.

  • elhousseinou (H) 11/02/2016 19:20 X

    AZIZ savait que c'est difficile, c"est pourquoi il s'est engagé et les mauritaniens lui ont bien rendu Il n'a jamais renoncé, il sait affronter les difficultés et les surmonter Ne vous inquiétez pas, son rôle sera assuré avec dévouement sans faille

  • Gorkovitch (H) 11/02/2016 18:57 X

    @hanefi! Quel giottisme, notre professeur est tombé si bas. NOUS du Peuple nous n'accepterons pas le fatalisme dans lequel tu veux NOUS entrainer. L'écart entre les différentes communautés s'agrandit de jour en jour à une vitesse exponentielle. Les denrées de premières nécessités de même. La situation au Pays est une bombe à retardement. LA LUTTE CONTINUE!

  • mohamed hanefi (H) 11/02/2016 18:45 X

    Le président Mohamed ould Abd al Aziz a fait un pacte avec Allah. Il a promis de rétablir la justice entre les mauritaniens, d'améliorer la situation des pauvres et d'éradiquer le fléau de la gabegie, qui a ruiné ce peuple. Dieu lui a donné le pouvoir et l'y a maintenu contre vents et marées. Allah, le Juste a tenu Son pacte. Le président Aziz, lui seul (après Dieu, bien sur), peut savoir s'il a changé la situation dangereuse du pays, ou si rien n'a changé, sauf le changement dans le non changement. Si Ahmedou a été choisi comme martyr sur le sentier du bien par son Créateur, c'est une chance pour Ahmedou, pas une perte. Le président Aziz peut avoir tous les jeunes mauritaniens noirs et blancs comme fils, si le pacte avec Allah est respecté. Il sera aimé et vénéré à travers les générations de ce pays. La seule condition est de regarder en Haut et pas autour. Les recettes minières, les dollars, l'opposition, les menaces extérieures et tout ce qui gravite autour de ces soucis d'ici bas est entre les mains du Gouverneur de l'univers. Il les donne à qui Il veut et les arrache à qui Il veut. Le temps presse et les jours s'en vont sans retour.

  • mohamed 123 (H) 11/02/2016 18:05 X

    Aziz doit degager ces meilleur pour lui...