21-07-2016 15:10 - Reportage : Un jour au secteur 21

Reportage : Un jour au secteur 21

Le Calame - Le mercredi 29 Juin 2016, les autorités décident de faire déguerpir une gazra, sise à quelques encablures de l’hôpital ophtalmologique Mohamed ould Bouamatou, habitée par plus de quatre cents familles de pauvres harratines.

Sur leur histoire, les avis sont mitigés. Selon certains déguerpis, ils seraient là depuis largement plus d’une décennie, alors que, pour d’autres, ces baraquements d’infortune ne seraient apparus qu’en 2006, date à laquelle des politiciens manipulateurs les y auraient installés, pour s’en servir dans la conquête de la municipalité du Ksar dont ils dépendent administrativement.

Au-delà de toutes ces considérations, l’emplacement appartiendrait à un riche homme d’affaires. Il détient des documents l’attestant et aurait, même, proposé de l’argent aux squatteurs, afin de lui « libérer » son patrimoine.

Terrible confrontation

Lorsque le hakem du Ksar se présente, mardi 28 Juin, pour donner ultimatum aux habitants, ceux-ci n’y voient qu’une de ces sempiternelles injonctions, sans lendemain, auxquelles ils sont habitués. Mais, explique Ma’tala, « nous avons tout de même pris nos dispositions, au cours d’une rapide réunion des hommes de la gazra ». Le lendemain, très tôt, la favela est encerclée par les forces de sécurité. Visiblement, les populations ne veulent rien entendre des instructions du hakem. D’où et quand part le dérapage ?

Mystère… Mais toujours est-il qu’il ne tarde guère et la bagarre s’engage. Elle dégénère très vite. Des bus sont incendiés. Des policiers atteints par des jets de pierre. Des manifestants grièvement blessés par les outrances policières. Plusieurs heures de face à face, entre deux groupes aux équipements disproportionnés. Renforts de la Garde et de la Gendarmerie. Extrême confusion. Panique, même. Les blessés se comptent, de part et d’autre, par dizaines.

Déguerpissement

Le lendemain, l’Etat mobilise de gros camions pour acheminer les quelque quatre cents familles vers le secteur 21 de Dubaï, un quartier à la sortie-est de Nouakchott, sur la route de… l’Espoir. Les populations sont déversées, comme poubelles, aux abords du goudron. Trente-six heures d’une longue attente avant qu’une commission administrative de recensement ne se présente pour enregistrer les familles. Nouvelle anicroche entre des membres de cette délégation et certains déguerpis que le dénuement, la belle étoile et la chaleur de cette fin du Ramadan ont rendu particulièrement agressifs.

Au cœur de la misère, le vide

Dubaï, version Mauritanie, c’est, aujourd’hui, un véritable camp de réfugiés qui n’a rien à envier à ceux de Mberra ou du Sud-Soudan. Entre les dunes, des amas de n’importe quoi sont rassemblés. Certains débrouillards essaient de confectionner un abri avec les restes de tout et de rien : capots de voitures abandonnées, épaves, fers rouillés, morceaux de bois ramassés au hasard, haillons, bouts de pneus déterrés des profondeurs d’une dune rebelle. Des centaines de tas informes s’étendent, à perte de vue, comme les effets abandonnés d’un terrible crash d’avion. Des enfants jouent, naïvement, entre ces ersatz de foyers. Contrairement à leurs parents, ils semblent bien apprécier le plein air et la libre circulation.

Vide total. Rien à boire ni à manger. Rien à faire. Pas de solution. Les senteurs lointaines du méchoui des étals du goudron, alignés du virage Dubaï vers Tarhil, via l’avenue Messoud, effleurent les narines des déguerpis. Une véritable provocation.

Selon Ma’tala, un père de famille qui ne décolère pas, « les charrettes ne peuvent pas parvenir ici, à cause des dunes, et s’arrêtent très loin, sur le goudron. Les femmes peinent à puiser l’eau dans un bidon de vingt litres qu’elles doivent transportent sur plus d‘un kilomètre. Sans l’action d’organisations de bienfaisance qui distribuent quelques repas, essentiellement des sandwichs et du pain, on mourrait certainement de faim. Depuis que les autorités nous ont largués ici, aucun responsable n’est venu s’enquérir de nos nouvelles. Sommes-nous morts ou vivants ? A ce jour, plus de cent familles n’ont pas encore obtenu de terrain. Abandonnées au rien ».

Au bout du monde

Pour se rendre au secteur 21 des déguerpis de la gazra Bouamatou, c’est un véritable parcours de combattant. En taxi, c’est au moins trois à quatre escales, selon l’axe emprunté, soit quatre à cinq cents ouguiyas, pour arriver, au bout d’une heure ou deux, selon la « compagnie » de votre vol, à ce qui ne paraît pas même un semblant de destination. Sur place, une petite baraque, une seule, tient lieu de commerce. « La » grande et unique « épicerie » du quartier : sucre, thé vert, biscuits, riz, huile, charbon, boîtes d’allumettes, miches de pain de la veille, tas de menthe en dégénérescence, bonbons.

Son tenancier, un homme de la gazra, explique que l’eau minérale ne se vend pas ici, faute d’électricité. Je profite quand même de sa gentillesse pour boire un verre de thé de passable qualité qu’un adolescent prépare au coin de l’exigu « super casher ». Aucune trace de cuisine. Rien à faire. Pour manger, il faut se taper un kilomètre jusqu’au goudron. Ici, le temps n’est pas à la graille mais au logis.

Démunis de tout, même de l’eau

Le jour, je le remarque, les hommes sont rares, au secteur 21. Seules les femmes s’affairent autour de quelques haillons, pour essayer « d’égayer » leurs habitations de fortune, en attendant des lendemains meilleurs. Soueïlma mint Mohamed El Abd y fait office de véritable Grande royale. Magistralement assise avec un groupe de femmes, elle me salue longuement. Comprenant que je suis journaliste, elle déverse toute sa colère sur les autorités qu’elle accuse de tout. Une véritable diatribe contre l’injustice et le sort réservé s’enflamme-t-elle, aux pauvres de ce pays. Personne n’échappe à son implacable réquisitoire. Premier accusé : le Président Aziz pour qui elle prétend avoir voté, « en 2009 comme en 2014 ».

Puis les ministres, les hakems et les hommes politiques. Même les journalistes, accusés de « manger leur commission » (expression populaire désignant celui qui ne transmet pas fidèlement sa commission). L’un des fils de Soueïlma fait partie des vingt-trois incarcérés à la prison de Dar Naïm, suite aux événements de la Gazra Bouamatou.

Soueïlma ajoute : « les populations de la Gazra n’ont été manipulées par personne. Personnellement, je ne connais ni Birame ni IRA. C’est de la pure injustice ! Mais je suis confiante : Dieu ne laissera pas ça comme ça ». A quelques mètres du groupe de femmes, un rassemblement de plusieurs dizaines de personnes. C’est autour de l’un de des deux fûts que les autorités ont placés là, pour la distribution de l’eau dans le quartier. « C’est loin de suffire », soupire Ahmed Salem. « Pour en avoir, c’est un véritable chemin de croix. La rupture de l’approvisionnement est quasi-permanente. Alors, il faut recourir aux charrettes qui sont, en plus d’être rares, très chères ».

Nouvelle devise nationale ?

Misère ambiante au secteur 21. Palpable, visible partout. Sur les visages des femmes et des enfants. Dans leurs regards désespérés. A travers leurs logis d’infortune. Impossible de la contourner. Elle est là. Présente. Têtue. Implacable. Rien à faire, pour ces milliers de citoyens lâchement expulsés, en plein Ramadan. Rien à faire, pour la vingtaine des leurs, sommairement jugés et jetés en prison, avec la perspective d’y rester pour de bon.

Rien à faire, pour ces enfants sans avenir, parachutés au loin, aussi loin que possible de l’école et du moindre centre de santé. Depuis ce funeste jour du jeudi 30 Juin 2016, les autorités ne parlent plus de ces centaines de familles qui n’ont qu’à s’adapter ou mourir. Serait-ce la nouvelle devise de ce pays dont le chef s’est fait élire en « président des pauvres » et au nom desquels il a, sciemment, torpillé la démocratie, en promettant, mensongèrement, de propager la justice ?

El Kory Sneïba

Envoyé spécial au secteur 21 des déguerpis de la Gazra Bouamatou



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Commentaires (6)

  • analagjar (H) 22/07/2016 11:36 X

    Non tout cela est inadmissible!!! Autant il est normal de déguerpir des squatters autant il est de la responsabilité de l'etat de les mettre dans un minimum de conditions de vie acceptables...et des fonds sont prévus pour cela....La Snde doit placer des reserves d'eau en résine approvisionnée de camions citernes en attendant l'eau courante...le ministre du commerce et la sonimex mettre en place des boutiques emel..le ministere de l education construire de salles de classe et le ministere de la santé un centre de soins primaires et la sntp une ligne de bus...Si des responsables ont detourné ces fonds ou ont failli à leur mission, ils doivent etre sanctionnés lourdement...

  • Le Maure (H) 22/07/2016 09:24 X

    Comment soit-il acceptable qu’on prive une personne de son terrain, imaginons que ce propriétaire est un Pull, Sonoke ou Woolof allons-nous voir tout cet enthousiasme des éléments de l’IRA et Flam pour prive ce home de son terrain. La réalité est qu’Aziz a créé IRA et amené Flam de l’exil pour harceler la communauté maure.

  • lass77 (H) 21/07/2016 17:15 X

    On se croit dans les territoires occupés palestiniens. C'est fou.

  • Zabassadeur (H) 21/07/2016 16:35 X

    Très bon travail de journaliste d’investigation, je suis sur que ton reportage fait foi, je suis déçue des autorités comme d’habitude c’est la même résonnance et le même traitement qu’on réserve aux pauvres, ceux qui ont fait ce travail payeront un jour d’eux même, leur famille ou parent. Etre Musulman en Mauritanie c’est faire le mal comme action contre des être humains, être musulman en Mauritanie c’est le présent devant les gens qui regardent et applaudissent, Mais ou Messouad ould Belkhaïr, ou est Saad, ou est SOS esclave, ou sont ils les nouveaux IRAHISTE du pouvoir, pourquoi ils ne viennent pas au secours de ses familles, ce qui est sur un jour d’autre souffriront parce que Dieu ne laissera jamais certains actes malsain sans réponse.

  • venimeux (H) 21/07/2016 15:44 X

    Ils sont sans âmes nos gouvernants, ils seront dans un feu ardant le jugement dernier. Ce n'est pas ça que notre sainte religion nous enseigne. Allahou Akbar

  • mohamed w.l (H) 21/07/2016 15:32 X

    400 familles comme tu dis sa fait au minimum 400*4=1600 personnes ensuite 400 famille pour loger dans un terrain il leur faut chaque famille une baraque ou tente de 9m2*400=3600 m2 sans compter les espace entre leur cuisine leur toilette s est impossible car les terains en question et de 2400 m2 ensuite dire qu ils y vivent depuis plus de 20ans un mensonges car les baraques on apparu dans la zone apres le poutche de 2006 au moins un peut de professionnalisme mon ami