30-07-2016 00:00 - Migrations : La Mauritanie, (bon) pandore de l’UE

Migrations : La Mauritanie, (bon) pandore de l’UE

Le Calame - La Mauritanie est restée, des décennies durant, à la fois zone de destination et de transit, pour les migrants ouest-africains à l’aventure hors de leur pays. Atteinte, de plein fouet, par ce déferlement de « clandestins » débarqués, de pirogues de pêche, sur les côtes des Canaries, l’Union Européenne (UE) décide de mettre en place, en Avril 2006, un dispositif de surveillance : Frontex, chargée d’enrayer les départs en pirogue et les naufrages en mer (1).

Frappée par une crise sans précédent, Nouadhibou se meurt. Après les fastes périodes qui permirent, à Port-Etienne, d’être le point d’attraction de nombre de mauritaniens et d’étrangers, le grand pôle du Nord se retrouve plongé dans une situation économique inextricable. L’Eldorado a laissé place aux mirages et à la misère.

Nouadhibou, ex-plaque tournante

Prise d’assaut par des centaines de migrants subsahariens en quête de mieux-être, Nouadhibou s’est insérée dans le dispositif Frontex, avec le transfèrement des migrants candidats au centre de rétention, bientôt rebaptisé « Guantanamito ».

Nouadhibou est vraiment l’illustration de la transformation de la Mauritanie en pays d’accueil : il y a une décennie à peine, c’était un passage privilégié vers l’Europe. Aujourd’hui, c’est un point de chute économique. La Mauritanie a beaucoup fait pour lutter, avec l’aide de l’Espagne, contre la migration clandestine vers le Nord.

Les chiffres ne sont plus les mêmes. Quoi qu’il en soit, c’est bien le projet Frontex qui a permis d’anéantir le phénomène et de démanteler les filières.

« Les autorités mauritaniennes ont entrepris d’énormes efforts en vue de réguler et contrôler les frontières du pays », explique madame Anke Strauss, chef de mission de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) en Mauritanie. « Nous constatons que le flux des migrants irréguliers en partance pour les Iles Canaries est interrompu, depuis plusieurs années. Le pays est passé d’un statut de transit de migrants, à celui de destination et il est donc maintenant nécessaire de bien gérer cette nouvelle donne ».

Persistance des tentatives de rallier l’Europe par la mer

Cependant, malgré les contrôles drastiques et tout l’arsenal juridico-policier mis en place, les tentatives de rallier l’Europe par la mer persistent. Voici ce qu’en juge le docteur Ousmane Wague, maitre de conférences en sociologie, coordinateur du département philo-sociologie et intervenant dans le master « Migrations et Territoire », à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (Université de Nouakchott) : « L'immigration clandestine, via la Mauritanie, persiste, en certaines de ses filières, même si elle a tendance à se réorienter, depuis quelque temps, plutôt vers des pays comme l'Algérie, la Tunisie et, tout particulièrement, la Libye, très déstabilisée ».

Il est grand temps, en effet. Mais dans quel sens ? Car Frontex est aussi générateur de drames, comme le déplore El Hadj Amadou M’Bow, secrétaire général de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH). Selon lui, le nombre de décès en mer a considérablement augmenté, ces dernières années.

En 2016, déjà trois mille personnes sont mortes au large des côtes libyennes et italiennes. Un mauritanien du Guidimakha fait d‘ailleurs partie du décompte macabre. « C’est », explique M’Bow, « la réduction drastique des possibilités de départ à partir des côtes mauritaniennes qui a entraîné le repli des aventuriers vers la Libye ou l’Egypte. Où les routes migratoires sont beaucoup plus dangereuses... »
Et Ibou Badiane, secrétaire général de la Fédération des Associations de Migrants d'Afrique de l'Ouest en Mauritanie (FAMAM) de renchérir : « L’instauration, par Frontex, de centres de rétention de migrants n’a évidemment pas empêché d’organiser des voyages clandestins.

Par exemple, la mise en place, à Nouadhibou, du « Guantanamito » a poussé les émigrants à éviter la ville, en prenant la voie terrestre partant du Niger vers la Libye ou l’Algérie, avec des conséquences désastreuses, lors de la traversée de la Méditerranée. Pire, cette mesure prétendument sécuritaire de Frontex est, en fait, une restriction de la liberté de circulation».

L’AMDH est engagée, avec dix-huit autres associations de la Société civile européenne et africaine, dans une campagne internationale dénommée « Frontexit », pour faire annuler le dispositif européen. Lancé en 2013, Frontexit vise à informer et dénoncer les violations des droits humains auxquelles donnent lieu l’agenda de Frontex.

A Nouadhibou, le boom économique engendré par les opportunités océanes a très nettement cédé la place, en cette année 2016, à un net ralentissement des activités économiques : après les déboires de la pêche artisanale, c’est la traversée qui relève, désormais, de l’aléatoire.

« Personne ne peut plus passer par la mer, pour remonter, vers les Canaries, à partir de Nouadhibou », tranche Abdoulaye N’Diaye de la Fédération de la pêche artisanale (section Nouadhibou). Depuis le pic de 2013, les achats de pirogue sont en constante diminution. Tous les secteurs d’activités (location de chambres ou maisons, restauration, etc.) sont en chute libre. Par contre, les rafles se sont multipliées ».

Mamadou Thiam

En collaboration avec l’Institut Panos Afrique de l’Ouest

Notes

(1) Choplin Armelle et « Migrations et recompositions spatiales en Mauritanie » ; Lombard Jérôme, « Nouadhibou du monde, ville de transit... et après ? », Afrique contemporaine

(2) Armelle Choplin, « Quand la mer se ferme : Du transit au post-transit migratoire en Mauritanie »

Université Paris-Est Marne-la-Vallée



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