17-11-2017 22:30 - « Les gardiens nous frappaient tous les jours » : 136 Sénégalais de retour de l’enfer libyen

« Les gardiens nous frappaient tous les jours » : 136 Sénégalais de retour de l’enfer libyen

Jeune Afrique - Sur la route pour l'Europe, des milliers de Sénégalais se retrouvent captifs du chaos libyen. Les autorités tentent de rapatrier les volontaires au retour. Une centaine d'entre eux sont arrivés mardi soir à l'aéroport Léopold-Sédar-Senghor.

Assis en face du hangar des pèlerins, où transitent habituellement les fidèles sénégalais pour le Hadj, Patrice attend patiemment l’arrivée d’un vol charter en provenance de Tripoli, qui doit atterrir d’un instant à l’autre. Les 136 migrants à bord font le voyage de retour au pays, après avoir échoué à rejoindre l’Europe. « Cinq de mes cousins sont à l’intérieur, précise Patrice, d’une voix éraillée. C’est pour cela que je suis venu ce soir. »

Une semaine plus tôt, il avait fait le même trajet de Tripoli – Dakar en charter. L’épilogue de son « aventure », comme il l’appelle, qui avait débuté dix mois plus tôt par la traversée du Sénégal, du Burkina Faso, et du Niger, jusqu’à son arrivée en Libye.

S’ensuit alors un long cauchemar éveillé, où il se retrouve à la merci de passeurs et d’autorités sans scrupules. Sa femme, installée en France avec son enfant, lui envoie régulièrement de l’argent pour le faire libérer de ses ravisseurs. Mais comme des milliers d'autres migrants, son rêve d’Europe trébuche sur les rives de la Méditerranée.

2 000 retours depuis 2012

Depuis le début de l’année, au moins 2 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif de retour mis en place en 2012 par les autorités sénégalaises, avec le soutien de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Leur objectif : sauver les nationaux de l’enfer libyen ou nigérien.

« D’année en année, leur nombre est croissant, affirme Jo-Lind Roberts-Sene, responsable du bureau de l’OIM au Sénégal. Nous avons des contacts dans les prisons libyennes, qui nous permettent d’identifier les ressortissants sénégalais volontaires au retour. »

Visages faméliques, regards hagards, démarches parfois chancelantes… Les 136 migrants apparaissent un à un sous les lumières blafardes du hangar, où les attendent une dizaine d’agents des différentes administrations pour entamer les démarches.

« Ils vont également être interrogés par des policiers, afin de vérifier qu’ils sont bien de nationalité sénégalaise, explique Mariame Cissé, cheffe du bureau de coordination de la Direction des Sénégalais de l’extérieur. C’est une manière aussi de s’assurer qu’il n’y a pas de tentative d’infiltration de la part de groupes terroristes. »

Des formalités auxquelles échapperont momentanément trois d’entre eux. Malades et épuisés, ils sont pris en charge dans une ambulance, qui doit les conduire à l’hôpital.

« Les gens meurent rapidement en Libye »

À l’extérieur de la salle, un homme âgé explique être le père de l’un des migrants. « Il est parti sans ma permission, affirme-t-il en wolof. J’ai appris son départ peu de temps après son arrestation par les Libyens. » Rongé par l’inquiétude – « les gens qui partent en Libye meurent rapidement » – le vieil homme fait feu de tout bois auprès des autorités sénégalaises. Les courriers s’accumulent, jusqu’à ce que le consulat en Libye parvienne à l’identifier et à le rapatrier. « Grâce à Dieu, mon enfant est de retour », se réjouit-il.

Les témoignages des migrants racontent tous la même histoire : celle du drame de l’immigration en Libye. Barbe hirsute et voix nouée par l’émotion, Jean-Pierre raconte qu’un passeur sénégalais leur avait promis de les emmener en bateau jusqu’en Europe.

« C’était un piège, dit-il. Il nous a vendus aux autorités libyennes, et on a tous fini en prison. » En l’occurrence, un immense hangar dans les faubourgs de Tripoli, où s’entassent des milliers de malheureux dans des conditions misérables.

« Nous ne mangions qu’une fois par jour, précise-t-il. Il y avait de la merde et de la pisse partout. Les gardiens nous frappaient tous les jours et les petits étaient la proie des pédophiles. Les gens mourraient. »

Un cauchemar qui durera trois mois, jusqu’à la visite un jour du consul sénégalais en Libye dans la prison. « Il a pris des informations et nous a ramené », résume-t-il.

Une aide psychologique

Assis en tailleur dans le hangar, les migrants écoutent poliment le discours du colonel Boubacar Touré, qui les informe de l’aide de l’État pour se réinsérer au Sénégal. L’un des représentants du groupe l’interpelle : « Je suis déjà parti une fois en Libye. Lors de mon retour, l’État nous avait déjà promis des projets professionnels. On n’a jamais rien vu ».

Le colonel reste de marbre, avant de confesser quelques instants plus tard : « Il y avait sûrement des promesses pleines de bonne volonté, qui n’étaient pas forcément encore structurées à l’époque. Aujourd’hui, c’est différent, grâce à l’appui des organisations internationales et la création de bureaux régionaux chargés du suivi de ces projets. Nous permettons aussi l’accès à une aide psychologique, pour aider les migrants à surmonter leurs traumatismes. »

Après un peu d’attente, Patrice, le migrant qui avait pris le vol de retour une semaine plus tôt, est autorisé à rejoindre l’un de ses « cousins ». Originaire de la région de Fatick, le jeune homme de 23 ans avait fui l’absence de perspectives au Sénégal.

« Après mon baccalauréat, je ne trouvais pas de travail, explique-t-il. Je voulais partir en Allemagne pour poursuivre mes études et, bien sûr, gagner beaucoup d’argent. » Comme tous les autres migrants, il dispose d’un petit pécule offert par l’État de 95 000 francs CFA pour démarrer sa nouvelle vie. « Il faut qu’ils n’aient plus besoin d’aller à l’extérieur, résume le colonel Boubacar Touré. C’est pourquoi nous les aidons. »

Par Olivier Liffran - à Dakar



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Source : Jeune Afrique
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