13-06-2021 19:30 - Enquête. Au Mali, la France piégée dans une guerre sans fin

Enquête. Au Mali, la France piégée dans une guerre sans fin

Courrier International - Emmanuel Macron a annoncé jeudi 10 juin la fin de l’opération Barkhane. À un an de l’élection présidentielle, le président français n’a plus rien à gagner au Sahel, où l’offensive lancée contre les djihadistes s’est transformé en bourbier sans fin.

Les attaques sont plus nombreuses qu’en 2013, la violence s’est étendue, et les troupes françaises sont de moins en moins bien vues. La guerre est-elle de fait perdue ? s’interroge Der Spiegel dans une vaste enquête.

Ils s’étaient retrouvés pour faire la fête. Une centaine de personnes s’étaient rassemblées en janvier à l’orée du village de Bounti, au Mali, en Afrique de l’Ouest, pour célébrer des noces. Beaucoup étaient assises sur des nattes à l’ombre des arbres et buvaient du thé. Le banquet allait être servi lorsque des avions de chasse français ont surgi dans le ciel, raconte un des invités, Madabbel Diallo, berger de 71 ans.

Aussitôt après, Madabbel a entendu une explosion, puis une seconde. Tout ce dont il se souvient ensuite, c’est de s’être retrouvé étendu sur le sol, grièvement blessé, les jambes en sang. Certains invités avaient les membres en charpie. Un homme était éviscéré. Des gens, accourus du village, ont amené Madabbel à la clinique de la ville la plus proche.

Quelques jours plus tard, il est encore sous le choc tandis qu’il raconte l’attaque au téléphone. À la clinique, il partage sa chambre avec son cousin, Mamoudou Diallo, blessé lui aussi pendant la frappe. Trois de ses neveux ont trouvé la mort. “Les gens ramassaient les bras, les jambes et les têtes arrachés, ils les jetaient dans un trou et les enterraient”, confie-t-il.

En tout, la frappe de l’armée française sur Bounti a fait 22 morts. Paris affirme que les victimes sont exclusivement des terroristes islamistes, que la France combat au Mali.

Or, Madabbel et Mamoudou Diallo ainsi que six autres témoins oculaires de la frappe, interviewés séparément par le Spiegel, contredisent cette version. “Ce n’étaient pas des djihadistes, dénonce Madabbel Diallo. Personne n’avait d’arme, même pas un couteau.” Aliou Barry, un fermier, se plaint :

Nous étions en train de célébrer un mariage. Ils sont venus en avion puis nous ont bombardés.”

Les enquêteurs de la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA) sont du même avis. C’est vrai, trois personnes dont l’appartenance au groupe djihadiste Katiba Serma a pu être établie se trouvaient parmi les morts, peut-on lire dans le rapport d’enquête, mais toutes les autres victimes étaient des civils [la Katiba Serma, qui opère dans le centre du Mali, a prêté allégeance à l’une des organisations les plus puissantes du Sahel, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, dirigé par Iyad ag Ghali].

François Lecointre, le chef d’état-major français, parle de “manipulation”. Si l’armée partageait l’enregistrement vidéo des drones, cela dédouanerait peut-être ses soldats. Mais elle refuse de le faire, en invoquant le secret militaire.

La frappe de Bounti braque les projecteurs sur un conflit qui se déroule pour l’essentiel à l’abri des regards. Voilà plus de huit ans que la France mène une intervention militaire au Mali. Ce qui n’était en janvier 2013 qu’une opération de faible envergure contre des insurgés djihadistes (qui sévissaient surtout dans le nord du Mali) a fini par devenir une des plus longues guerres de l’histoire récente de l’Hexagone.

Un conflit ingagnable

Plus de 5 000 hommes ont été déployés par Paris dans le cadre de l’opération Barkhane, au Mali et dans les pays voisins, soit un tiers des troupes de l’armée française à l’étranger, ce qui n’a pas empêché les djihadistes d’essaimer dans une grande partie du Sahel, au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Emmanuel Macron a demandé à plusieurs reprises à des pays tiers, dont l’Allemagne, de renforcer leur implication dans la traque des djihadistes.

Paris dit vouloir mettre un coup d’arrêt à l’offensive islamiste au Mali. Mais c’est une manière, aussi, d’endiguer l’émigration clandestine vers l’Europe. Le gouvernement ne livre aucun détail sur l’opération. Même ses alliés de l’OTAN ne reçoivent les informations qu’au compte-gouttes.

Le Spiegel et le site d’information The New Humanitarian ont mené l’enquête sur Barkhane pendant des mois. Des journalistes se sont rendus au Mali à plusieurs reprises, accompagnant les soldats en opération, rencontrant des témoins, épluchant documents internes et données officielles. Leur enquête montre que, dans certains cas, les militaires français et leurs alliés maliens ont enfreint le droit international.

Le Mali est à la France ce que l’Afghanistan est aux États-Unis 

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Source : Der Spiegel Hambourg



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