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09-05-2013

05:39

Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines : Mettre fin à « malchance structurelle »

« Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même » c’est le titre d’un document rendu public jeudi 2 mai 2013 par des cadres Hratine (descendant d’esclaves.) La particularité de ce document ; Ses signataire viennent de toutes les sensibilités politiques de la Mauritanie.

Le document part du constat suivant : « les Haratines, esclaves ou abid et anciens esclaves ou leurs descendants – composante principale et de plus en plus significative du peuple mauritanien - sont confrontés, davantage que n’importe quelle autre catégorie socio-ethnique, à l’injustice au quotidien, au manque de perspectives et de débouchés, sans compter les pratiques récurrentes de l’état mauritanien moderne, pour les maintenir dans la condition servile de citoyens de seconde zone. Ses signataires viennent de toutes les sensibilités politiques de la Mauritanie.

Et pour les signataires « Briser le cercle vicieux de cette condescendance teintée de dédain, ayant conduit à une mise à l’écart programmée, ne peut se concevoir que par une refondation de la république sur la base d’un réel partage du pouvoir et des ressources du pays entre l’ensemble de ses fils. » Pour les signataires « les haratines représentent plus ou moins 50% de la population du pays ; ils continuent pourtant d’être, et de loin, la communauté la plus défavorisée politiquement, économiquement, culturellement et socialement. »

Responsabilité

Qui est responsables de l’arriération des Hratines ? Réponse des signataires : « L’inégalité de naissance, normée par des us et coutumes surannées, s’est transformée en une inégalité des chances ou malchance structurelle par le truchement des régimes politiques successifs dont la plupart se sont évertués, insidieusement, à transposer et à reproduire la logique pyramidale de la tribu en lieu et place de la rationalité démocratique supposée de l’Etat moderne. »

Conséquence

Conséquence de « l’accumulation des frustrations des Hratines » : « la différenciation galopante dans le tissu social de ce qui était connu, jadis, sous le label de « Maures », en deux entités de plus en plus distinctes (Bidhanes d’un côté et Haratines de l’autre) » Et « cette différenciation est à inscrire dans la logique de cette bombe à retardement qu’on appelle injustice et dont l’histoire nous enseigne qu’elle explose toujours à l’improviste et sans crier gare. »

Etat des lieux

L’objet du manifeste est « de faire un état des lieux de cette situation plus d’un demi-siècle après l’indépendance et d’oser des propositions pratiques pour corriger ce qui doit l’être dans les délais les plus rapides possibles sur la base des principes fondamentaux des droits de l’homme et du citoyen en vue de préserver la paix civile par le moyen unique de la justice. »

Les auteurs du manifeste se disent « pleinement conscients de l’existence d’autres injustices qui frappent d’autres communautés et segments de notre peuple, notamment les pauvres, quelle que soit leur origine, les castes considérées « inférieures »- particulièrement la « caste des forgerons »-, certaines franges des communautés négro-mauritaniennes, les femmes…etc. »

Et le règlement définitif de la « question Haratine » n’est conçu par les signataires « que dans le cadre d’un effort global sur la voie de l’égalité, de la rationalité, de la fin de l’impunité et de l’abrogation des privilèges tribaux qui ne profitent qu’à une infime minorité, aux dépens des intérêts de la collectivité nationale et même tribale. »

Les Chiffres

Pour l’état des lieux, le manifeste fait parler les chiffre : « Plus de 80% des 1 400 000 personnes les plus pauvres en Mauritanie sont issus de la communauté Haratine ; Plus de 85 % des 1500 000 analphabètes en Mauritanie en sont également issus ; Près de 90 % des petits paysans sans terre du fait de la tenure traditionnelle du sol ou de l’exploitation féodalo-esclavagiste, se recrutent au sein de ce groupe ;

Moins de 10 % des 30 000 hectares attribuées légalement et aménagés dans la vallée du fleuve ont profité aux petits paysans locaux, le reste à quelques dizaines de fonctionnaires, commerçants et hommes d’affaire souvent natifs des Wilayas non agricoles ;La parcelle d’un paysan local est en moyenne de 0,25 à 0,5 hectare co ntre une moyenne de 200 hectares pour la parcelle d’un fonctionnaire ou homme d’affaires agriculteur d’occasion ;

Moins de 10% des 2 à3 milliards d’UM de prêts accordés annuellement par le Crédit agricole pour financer la campagne éponyme, profitent aux milliers de cultivateurs locaux (à majorité Haratines) contre plus de 90% pour les dizaines d’entrepreneurs de l’agro-business (ou prétendus tels), ressortissants de milieux et de zones sans vocation agricole dans leur grande majorité ;

Moins de 0,1% des villas et habitations de haut standing des quartiers chics de Nouakchott appartiennent à des Haratines ; Moins de dix diplômés de cette communauté sur 200 ont profité du programme spécial d’insertion pour les diplômés chômeurs dans le secteur agricole au niveau de la plaine de M’Pourié à Rosso ;

Plus de 90 % des dockers, domestiques, travailleurs manuels exerçant des métiers pénibles et mal rémunérés sont des Haratines ; Plus de 80% des élèves de cette communauté n’achèvent pas le cycle primaire et moins de 5 % poursuivent jusqu’au bout du cycle secondaire ; Moins de 2 % des étudiants des grandes Ecoles nationales (ENAMJ, Ecole des Mines, Faculté de médecine, EMIA…etc) et étrangères sont issus de cette communauté ;

Moins de 2% des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs du secteur public et parapublic sont Haratines ; Moins d’une dizaine de parlementaires Haratines sur 151 élus au niveau des deux chambres du parlement ; Moins de 15 maires Haratines sur 216 et moins de 12 % de conseillers m unicipaux à l’échelle national ;2 Ministres Haratines en moyenne sur les 30 dernières années sur plus de 40 ministres et assimilés ; 20 ministres sur 600 de 1957 à 2012 ;Un seul Faghih agrée sur plusieurs centaines …

Les propositions

Que propose le manifeste pour « corriger les injustices, déséquilibres et écarts relevés ? » Pour les signataires « L’approche de « discrimination positive » à laquelle de nombreuses voix ont déjà appelé, s’impose en urgence.

Parmi les 30 propositions concrètes ont peut citer :

- Engager, dans les meilleurs délais, une large concertation nationale pour la mise en place d’un véritable contrat social, fondé sur l’appartenance commune à une Nation Unifiée et garantissant la liberté et l’égalité réelles entre tous les citoyens ;

- Créer des zones d’éducation préférentielle dans les espaces d’extrême pauvreté (adwabas) avec tous les avantages liés à ce statut en termes d’enseignement, d’infrastructures, de moyens budgétaires appropriés, d’encadrement et de suivi pédagogique, d’évaluation et de motivation des enseignants, des élèves et de leurs parents, d’accès prioritaire et préférentiel aux bourses dans l’enseignement professionnel et supérieur, de création d’internats et de cantines scolaires…etc.

- Réaliser une véritable réforme agraire de grande envergure menée suivant les principes connus : redistribution équitable, individualisée et définitive des terres selon le principe de préemption pour le travailleur du sol (la terre appartient à ceux qui la travaillent), sécurisation juridique de la propriété par des clauses de sauvegarde contre la spéculation, modernisation de l’outil de production, accroissement de l’investissement productif, mise en place de mécanismes garantissant une commercialisation rentable de la production..etc.

Comme il convient d’intégrer pleinement la dimension des droits de l’homme dans les programmes visant à s’attaquer aux causes profondes de l’esclavage et de la pauvreté. Dans ce sens, les conclusions et recommandations des différents rapports du conseil des droits de l’homme de l’assemblée générale des nations unies - plus particulièrement le dernier rapport de la rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage en Mauritanie, Mme Gulnara Shahinian, en date du 24 Août 2010 – peuvent constituer une précieuse contribution à l’éradication des formes modernes d’asservissement des hommes et de réduction de la pauvreté.

6 - Mettre en application effective la Loi criminalisant l’esclavage et les pratiques induites par la révision ou le renforcement de certaines dispositions afin de permettre aux organisations de la société civile d’ester en justice en lieu et place des victimes de l’esclavage qui doivent être considérées comme personnes indigentes par causes de l’esclavage et de l’ignorance. Il convient aussi de créer une Structure Publique chargée de ce dossier et de toutes les politiques publiques pour l’égalité réelle, tout en axant ses efforts sur le repérage, l’affranchissement et la réadaptation des personnes réduites à l’esclavage.

- La création d’un Fonds pour financer toutes les actions liées à ce projet, une revue annuelle de l’état de mise en œuvre de la Loi avec un débat public sur ce rapport et une publication largement médiatisée. Une telle action à trois niveaux devrait viser à établir enfin la vérité sur la réalité de l’esclavage, définir un cadre d’action pour en éradiquer les pratiques et survivances, initier une politique répressive sans complaisance et accroître la lutte contre l’impunité par la conduite de procédures d’instruction et de jugement exemplaires, d’arrestation et de punition des contrevenants

- Revoir les règles de partage du pouvoir pour attribuer un quota stable de 40 % au minimum (de manière tacite ou solennelle) à la communauté haratine au niveau des Institutions constitutionnelles, du Gouvernement, des Administrations et Etablissement publics et des postes de hauts fonctionnaires de l’Etat (Cabinets Présidentiel et ministériel, Administration centrale et territoriale, Diplomatie, Projets de développement, Grands corps de l’Etat..etc) ;

- Instituer une règle imposant que les deux postes supérieurs du pouvoir exécutif (Président de la République et Premier Ministre) ne soient plus occupés par deux personnalités de la même communauté ; la mesure permettrait de mieux favoriser le partage du pouvoir.

Khalilou Diagana


 


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