Cridem

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13-10-2013

21:55

Débat : poème « Essevin » d’Ahmedou Ould Abdel Ghadre ‘lu’ par Mohamed-Saïd ould Hamody -II-

Je ne relancerai pas pour autant le débat byzantin sur l’optimisme ou le pessimisme de l’auteur. Ahmedou a terminé sa mission. Il a transmis, conforme ou altéré, cela n’a pas d’importance, le message que lui suggère ou dicte ses environnements et, notamment, la mémoire collective de tout le corps social !

Son effort additif d’explication ne peut ni m’intéresser, encore moins, me convaincre. L’œuvre artistique en général et les poèmes dans le cas d’espèce n’appartiennent plus à leur auteur dès lors que s’achève leur élaboration. Ahmedou n’a pu entrevoir que ce qu’il a cru sentir, voir ou entendre, ce que sa muse Polymnie lui a suggéré d’exprimer.

Et sa voyante ne décodait que les symboles qu’elle choisit de faire parler. Le poème achevé appartient à Ahmedou, mais aussi à Isselmou 22), à Nagi (23), à mon gourou Mohamed Haïbetna, bref à nous tous.

C’est bien pourquoi l’explication restrictive de la sécheresse par Ahmedou est trop arbitraire à mon gré, et je prends le large exhibant mes propres explications et supputations !

On dit du bédouin que c’est une plante parfaitement climax avec une faculté étonnante d’adaptation aux conditions naturelles ambiantes les plus extrêmes. C’est dire qu’une sécheresse capable de faire fuir un peuple nomade endurci et dans des conditions, reconnaissons- le, si peu honorables sur un bateau ou plutôt un radeau de fortune n’est logiquement pas, ou pas uniquement, celle de l’environnement écologique…

Pour qu’un peuple à la longue histoire toute tissée d’épreuves et que mère nature n’a déjà pas gâté , puisse perdre ainsi son sang froid, il est permis de supposer que cette mortelle sécheresse, évoquée par le poème, s’est étendue comme cancer à beaucoup , sinon à tous les autres aspects de sa vie, à ses centres nerveux et organes vitaux !

Ce stade terminal que les médecins dans leur pudique, et néanmoins terriblement effrayant, jargon appellent « métastase » a, sans doute, déjà touché après les moyens de subsistance les esprits et les âmes ainsi que la structure sociopolitique dans son ensemble.

Cette convergence de malédictions a des raisons multiples et cessons de lui trouver un motif unique ! En agissant ainsi nous commettrons une dangereuse simplification de nature à fausser l’analyse, puis le diagnostic, et par voie de conséquence le traitement. Et puisque « sécheresse » est le mot magique, partons de ce concept et penchons nous sur certaines de ses manifestations, les plus saillantes, les plus lisibles…

Je préfère, pour ma part, me limiter à l’observation des effets dévastateurs de cette calamité sur nos structures sociales et mentales…Et à ce titre, il est incontestable que la dégradation continue, en un cercle anormalement prolongé de l’environnement tue à petits feux l’essence de la vie qui est TERRE à l’origine, TERRE dans son évolution et développement et TERRE en sa phase finale.

Or comme le dit le Saint Coran en ses inimitables formules : »l’eau ranime la terre morte, inerte, qui remue alors et recommence à vivre… » La raréfaction des pluies vient accentuer et précipiter la disparition d’une vie végétale que l’homme détruit, par ailleurs, en son entreprise insensée et masochiste d’auto- destruction.

Ainsi l’action conjuguée du vandalisme humain et l’absence prolongée de précipitions pluviales déclenche un processus inexorable : la flore s’affaiblit, puis disparaît progressivement. Suit alors avec la disparition des pâturages, puis des terres de culture, un déséquilibre écologique irréparable et la mort de la terre.

Pourtant il y’à une trentaine d’années, notre pays assurait en grande partie nos besoins alimentaires : blé, orge, dattes, légumes, et plantes fourragères au nord, mil, haricots au sur & bétail à l’extrême nord et à l’est. Aujourd’hui nous sommes réduits, pour obtenir ces produits essentiels auxquels il faut ajouter nos nouvelles « exigences » nées de nouveaux appétits, d’imposer un fardeau à notre économie faisant le plus souvent l’appoint avec la charité internationale.

Et le vrai paradoxe réside dans cette redoutable pression sur nos maigres richesses ployant sous le poids d’une diminution notable de nos possibilités de production et de l’émergence de besoins nouveaux, utiles ou inutiles, indispensables ou accessoires mais, en tout cas, fort onéreux ! Notre volonté, individuelle ou collective, n’y est pour rien : les lois économiques sont souvent objectivement inflexibles.

Elles ne répondent pas, tant s’en faut, à notre desiderata. Aussi l’appauvrissement réel s’aggrave et l’endettement du pays grossit chaque jour, dissipant les illusions, bousculant les habitudes et brisant bien au-delà des ressorts de notre économie sous développée (et non « en développement » comme le veut la nouvelle terminologie de complaisance en vue de ménager nos susceptibilités !!!) la réelle victime de la sécheresse, celle qui nous intéresse le plus ici : les structures sociales mauritaniennes…

Reconnaissons que la tâche de destruction de la sécheresse était particulièrement aisée. Le « corps social » souffrant de graves faiblesses internes a subi bien avant la calamité naturelle l’érosion des périodes coloniale et post- coloniale.

Et au risque de faire avaler bien de longueurs à ceux qui tenteront de me lire, je vais m’amuser à étaler des bribes de la sociologie de » l’ensemble chinguittien » (24). Beaucoup les connaissent. Mais elles méritent toujours, à mon avis, d’être rappelées !

Cette société maure reposait au départ sur une dyarchie Hasasne-Tolba (25)minoritaire et ambigüe. Elle avait toutefois une apparence de solidité par l’alliance (et /ou complicité) ainsi réalisée entre l’épée et la plume. Au dessous de cette tête hybride la structure sociale pyramidale était étrangère, greffée mais rejetée par l’ordre établi qui se suffisait de sa tête pensante.

Guerriers, ses gens d’armes, et marabouts, ses mandarins, scribes et clercs, régentaient une société toute à leur dévolution par la grâce d’Allah ou par la force du muscle ; la peur des armes et les prodiges supposés de la sainteté étaient les seuls gardiens de l’ordre, le prétexte ou la raison de la servile soumission.

Tout était réglé d’avance, tout était immuable, inerte, éternel ! Le code « moral » semblable à celui de toutes les chevaleries, de toutes les sociétés courtoises, de toutes les « aristocraties » exaltait le courage physique, l’adresse, l’endurance, presque jamais la pitié par contre…

Un Emir de l’Adrar, poète apprécié, philosophe à l’humour féroce, penseur profond quoique méconnu ou injustement caricaturé n’est assurément pas « le nuage qui annonce l’hivernage».

Démocrate avant le mot, nanti d’une étonnante vison prémonitoire, railleur de la force éphémère, il n’a jamais été reconnu comme un homme d’une dimension originale et exceptionnelle. Une société foncièrement brutale ne pouvait accepter, ni comprendre un Emir dire avec lucidité et vrai courage : « Oh Allah détruis ma gloire ! » ( traduction libre de « darjetna » 26), car il n’est jamais bon d’être trop en avance sur son époque…

Pourtant l’histoire de notre peuple n’a pas été effective, n’a pas progressé grâce aux seules épopées des dynasties aristocratiques de la plume et de l’épée. Elles furent belles aussi et bien déterminantes les contributions des banales « dynasties » celle de la houe, de la « sabra », de l’enclume et de l’adersse.

(27) Mais où étaient-elles ces « dynasties » de manants dans l’escalier social à la fin du splendide isolement de leur société, c’est-à-dire à l’aube de la pénétration étrangère et du bouleversement durable de l’échelle traditionnelle de leurs « valeurs » traditionnelles ? Par exemple les griots et les artisans, essaimés dans toutes les tribus et leurs fractions, limités quantitativement jouissaient d’une situation ambiguë…

Les griots, gardiens de tous les secrets, présents dans tous les actes de paix et de guerre, dotés de langues prolixes, contribuaient grandement à la destruction des pouvoirs et à l’établissement ou au rétablissement d’autres.. Instruits souvent, raffinés toujours, ils avaient même quelques fois l’illusion de la respectabilité !

Ainsi si par je ne sais quel miracle on parvenait à faire parler cette terre, nous aurions, sans l’ombre d’un doute, la surprise d’apprendre combien d’intrigues ont été nouées sous la tente du griot et combien de cabales ont et montées par lui !

Ceci dit, n’oublions pas que les poèmes et « chawr« (28) qui ont traversé le temps (tronqués ou fidèles) en les mémoires jusqu’à nous sont les seules vraies références pour juger une histoire générale où le vrai et la légende se mêlent inextricablement et où le truquage et autres manipulations intéressées du poète-griot mélange toutes les cartes !

Le forgeron, notre artisan et notre « manufacturier » ne pouvait prétendre à la même place , ni de son vivant, ni après sa mort, ni pour sa descendance !Souvent lettré, nanti d’une solide culture, poète inspiré à la verve reconnu et seul technicien d’une société d’ oisifs qui avait besoin de sa dextérité et de son imagination créative, on le chargeait de tous les pêchés d’Israël.

On lui trouvait, en plus, une origine juive réelle ou imaginaire, que sa profonde connaissance des sciences et pratiques religieuses et même sa grande piété de musulman n’arrivaient pas, paradoxalement, à faire pardonner ou seulement oublier…

Cet homme, dans tous les sens du terme, ne pouvait même pas aspirer à devenir témoin en une société où ce rôle, qui légalise tout rapport contractuel entre gens, était un attribut de la qualité d’homme à part entière ! Pire, il semblerait, suivant un injuste adage en hassaniya (29)

Que « même savant le forgeron n’était rien! » (lakhayre fi el Haddad lew kanne alimenn)(30).

Peu de choses à dire des « Aznaga« (31) ces tributaires de troisième ordre, assimilables, toutes proportions gardées, aux intouchables de l’hindouisme ? aux serfs d’Europe Occidentale et aux moujiks de la Russie impériale …Ils avaient contre eux leur authenticité et leur assimilation immémoriales avec la terre et son histoire.

Taillables et corvéables à merci, leur lot était les tâches difficiles et ingrates, dites « sales » et notamment le gardiennage des bêtes et la gestion de leur lait et dérivés, viandes, laines et peaux et, aussi, l’agriculture derrière les retenues d’eau et dans les oasis. Et ils comptaient, par assimilation, d’autres groupes vivant en isolats : chasseurs « Nmadi » (32)et pêcheurs « Imraguen« (33). Mais ces deux groupes ont la chance de disposer de leur propre vie en une existence insignifiante et sauvage, certes, mais libre.

Pourtant toutes ces castes, mis à part les « Imraguen » au timbre négroïde marqué, ressemblaient, pour leur type physique, aux classes dominantes et pouvaient, d’une façon ou d’une autre, en se confondant avec quelquefois ou s’y « perdre » en s’y fondant pour toujours, en faisant soigneusement disparaître toute trace des origines « infamantes »

Cette alchimie génétique n’était, bien sûr, que rarement possible au groupement maure des « soudane « (34) qui se ferait trahir par ses caractéristiques criantes par les séquelles de la « malédiction HAM »(35) et l’encre noire de son « Lewh« (36) ou ardoise en bois des élèves des écoles coraniques.

Ce groupement des « Soudane » avait par cette marque l’avantage d’une relative unité dans sa diversité infinie. Il représentait une masse numérique dépassant toutes les autres composantes de la société maure prises séparément. Et ils ont tant donné à leur ensemble ethnique ou socio- culturel dont ils étaient pourtant les souffre- douleur et les employés à tout faire en tant qu’esclaves et même quelquefois en étant des « haratine« (37) prétendus simples libres clients !

Certes cet apport n’a pas été fait dans les « mahadrah « (38) prestigieuses et rarement sur les champs de bataille glorieux…Ils ont, pour la plupart, écrit leur « épopée » dispensé sueur et énergie, sacrifié jeunesse et santé dans les ksours (39)et les campements et, aussi, dans les Adebayes(40) de la Chemama, (41) de l’Assaba(41) et les Hodhs(42) ou dans les grara(43) du nord :Yagref(44),Agdess (45) Demane,(46) Lemdenna,(47) Tamourt En-Naaj (48), Ederoum (49)etc.

A suivre….

Mohamed Said Homody




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