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29-10-2013

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Débat : poème « Essevin » D’Ahmedou Ould Abdel -VI

Deuxième partie

Avant, parallèlement et après ce démembrement social continu à travers plusieurs phases historiques différentes, un phénomène subséquent à toutes les sécheresses (l’écologique ; la sociale, l’économique et l’intellectuelle) avait fait ses ravages en une longue et terrible entreprise de destruction.

Il s’agit de l’exode rural, qui n’est pourtant pas nouveau, soit dit en passant, en notre contrée.

Dans l’ancien temps, les migrations ont crée nos gros villages, puis de véritables transferts de populations retracent les itinéraires des tribus et des ethnies de notre espace national réduit et à travers leur immense aire d’expansion dépassant largement, vers toutes les directions, nos frontières politiques internationalement reconnues.

La dégradation dramatique des conditions de vie, déjà notablement modestes, en milieu rural, en plus des bouleversements de la période coloniale et des illusions de » l’indépendance », ont donné à ce phénomène épisodique, passager, la dimension d’un mal social chronique.

Une formule maoïste décrit l’encerclement des villes par les campagnes en faisant le parallèle avec la confrontation du nord et du sud de la planète (en les comparant aux affrontements internes entre classes en la Chine pré et post révolutionnaires).

Mais dans notre cas spécifique, cet exode a bien évolué. En effet nous assistons plutôt à une véritable invasion, à une prise d’assaut au pas cadencé des villes et singulièrement la capitale par le monde rural. Le spectacle de l’exode de ce monde rural déboussolé est désolant.

Des villages entiers sont vidés et des champs, hier splendides, sont remis en jachère parce que rien n’a été prévu pour la fixation de ces populations qui ont vu leurs moyens d’existence réduits à zéro. Alors on empaquette tous les objets, vieille mère, vieux père, tante sans progéniture et grande mère comprises et on va grossir « les damnés de la terre » de la capitale régionale, première étape d’adaptation avant l’exil définitif à Nouakchott

Déjà les habitants de la capitale régionale par familles entières ont déserté leur terre natale , sous prétexte d’une parcelle de terrain ou dans l’espoir de l’avoir ou pour la scolarisation d’une fille etc. Et ils vont aggraver la misère et la prolétarisation sur les dunes du Teveli (70).

Les futures « masses » des meetings du PPM sont ainsi parties à la rencontre du progrès, ou plutôt de sa caricature, puisque ce progrès s’entête à refuser de les visiter. Désormais notre capitale offrira l’exemple type d’un exode rural exacerbé avec la multiplication explosive et imprévue de sa population par cent en vingt ans ! « Elle aura permit au moins de détribaliser le nouvel ensemble… » me dit un ami et cousin qui voulait se consoler avec n’importe quoi !

Je ne lui ai pas souligne, par compassion, combien cette prétendue « détribalisation » n’est que de façade et traînant, en prime, une amère réalité : elle s’est limitée à détruire le côté positif de la tribu. L’atomisation des individus à Nouakchott les a, en effet, « libérés » du code moral de la tribu et des obligations de retenue qu’il impose.

De cette »houchma (71) qui émerveillait tant Mme Odette du Puigaudeau (72) dans les années trente il y’à une cinquantaine d’années. Ces « libérés » peuvent ainsi s’adonner, en toute liberté et dans l’anonymat, à tous leurs plus bas instincts (larcins, alcoolisme, prostitution etc.)

Quoi qu’il en soit, le cycle-pieuvre tentaculaire à multiple têtes de la sécheresse est bouclé. Bouclé pour l’environnement écologique dégradé avec le spectacle poignant de forêts entières calcinées, de dunes conquérantes que rien ne semble, à priori, pouvoir arrêter dans leur spectaculaire avancée ; du cheptel décimé et avec lui le Fleuve, lui-même, menacé d’ensablement après l’enterrement de tant de magnifiques oasis et terrains de culture.

Et la conséquence traumatisante de cette catastrophe est le spectacle de populations, hier laborieuses, exposées aujourd’hui à l’errance intérieure, la famine et les maladies. Bouclé pour le délabrement continu depuis plus d’un siècle des épreuves subis par le corps social qui, perdant successivement, sa peau originale, mais aussi l’artificielle, hâtivement confectionné par le colonisateur, n’a jamais pu, malgré ses pitoyables efforts, acquérir une nouvelle de remplacement.

Bouclé aussi pour les mentalités et attitudes sociales qui ont suivi le même processus tant elles constituaient pour notre société le fondement idéologique et la pratique consacrée.

Alors cette vague d’agressions psychiques et physiques a enfanté une situation ex nihilo :

-ainsi le patriotisme est devenu une tare qu’il faut soigneusement voiler parce qu’il associe à un sot s’adonnant à des pratiques solitaires répréhensibles…

- ainsi la compétence, la probité et l’indépendance chez le fonctionnaire deviennent non des qualités recherchées, respectées et récompensées, mais des défauts honteux qui exposent le « contrevenant » aux foudres d’une armée de taupes jalouses qui détestent les menaces de voir dévoilé leur inavouable travail de l’ombre…

-ainsi la réussite dans les affaires, si même elle vous « recrute » une foule intéressée d’ »amis », expose l’habile entrepreneur aux réactions envieuses de bataillons de « socialistes » pour qui la gestion privée des affaires est assimilable au pillage, à l’incivilité etc. »

Et cette dégradation morale s’est étendue au point de provoquer l’éclatement de la cellule familiale, c’est-à-dire la dernière frontière avant la grande débandade. Or on a tendance à ne voir que les « attitudes scandaleuses des femmes … « , leur « exubérance » et « la grande liberté qu’elles prendraient avec leur vertu… » Mais on oublie seulement que les hommes, les premiers, ont initié, par leur opportunisme et leur obséquiosité ces attitudes scandaleuses.

Et ainsi ce sont eux, les hommes, qui ont permis que désormais « …ce qui hier encore faisait mourir de honte, aujourd’hui ne fait même plus rougir la face… » Est-il étonnant, dès lors, que le rassemblement incongru, infertile et incontrôlable du huitième de notre population nationale sur une étroite bande de Tevali, à quelques kilomètres du littoral atlantique, et dans un tel état de bouleversement, mental, physiologique, sociologique et psychologique ait exercé une terrible pression sur la conscience et le subconscient du poète endormi ?

Peut être que notre conscience collective désemparée mais continuant de diriger la plume douée d’Ahmedou a conduit doucement, doucement son rêve vers l solution de facilité, là à sa disposition : l’embarcation à l’avenir incertain… Mais à propos quel genre de mauritaniens le poète a, consciemment ou pas, sélectionné pour l’embarquement hasardeux sur son bateau?

Et que représentent ces » hommes de bonne condition » qui mangent tranquillement et en silence leur « rackel « ? Et ces vielles femmes qui rêvent d’un pèlerinage aux lieux Saints en emportant avec elles un Coran, pour se protéger des génies du mal, et un tube de rouge à lèvres , de chez Dior peut-être, pour conserver un illusoire, impossible d’ailleurs, coquetterie ?

Par un malin plaisir du sort ou par coïncidence, le bateau semble avoir oublié d’avoir des personnes actives à bord ! Ceux qui sont indispensables ou tout simplement utiles à la bonne marche de la société, de la vie !

Sauf si par un choix lucide, ou par intuition, le poète a préféré amasser les parasites de notre société sur le bateau du désespoir, permettant ainsi enfin au pays réel, le pays profond, de respirer et offrant la possibilité à ceux qui savent travailler et peiner le soin de reconstruire en toute quiétude…

ou si l’enfant-peuple, produit de la manipulation génétique de la nouvelle » élite » a avec inconscience ou bonne conscience ou sans conscience du tout, embarqué sous sa forme de multitude encombrant et déséquilibrant le pont du vaisseau de l’exode !

Dans ce cas là aucun doute qu’il a coupé imprudemment les amarres libérant un bateau ivre et le poussant à naviguer par haute et houleuse mer au milieu des requins…L’équipage, ignorant, » qu’il est parti en voyage » décrit par le poète , faisant fi de toute prudence et faisant preuve de tant d’immaturité est certainement cet enfant-peuple confiné dans une éternelle adolescence…

A suivre….

Teveli (70) : région septentrionale del a Wilaya du Trarza qui englobait Nouakchott.

« Houchma » (71) : mot d’arabe voulant dire « Honte ». Et c’est un élément cardinal du code de pudeur chez les Maures : respect de toute personne plus âgé, peu de relations avec les beaux pères, le non usage, en un public diversifié par l’âge, des mots ayant trait à la sexualité etc.

Odette Du Puigaudeau (72) ; Ecrivain française venue en Mauritanie au début des années 1930 à bord d’un chalutier breton ( elle-même fille de Ferdinad du Puigeaudeau, artiste breton. Elle publiera 7 volumes et des dizaines d’articles consacrés au pays.


Mohamed said Homody



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