Cridem

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19-02-2014

17:00

À Aïchetou Mint Ahmedou L’écriture : « … je m’y oublie et j’adore ça »

Temps Forts - Il est vrai que la beauté d’un texte ne constitue pas sa seule ressource ni le seul critère pour l’évaluer. Mais elle augmente le désir de lire jusqu’au dénouement de l’intrigue (si intrigue il y’a !) pour mieux saisir les différentes significations des idées qu’un écrivain véhicule dans son récit ou sa poésie.

Cette beauté esthétique de la langue écrite donne aux intuitions de l’écrivain toute leur teneur, leur rythme et le caractère intemporel qu’ils tentent de figurer en défigurant un événement ou un fait.

Ce que j’ai lu de Aïchetou force mon respect et mon admiration pour sa plume si alerte et si vivante. Elle défie la vie ! C’est elle-même qui l’écrit dans l’un de ses sublimes poèmes que je souhaite toucher de mes doigts, c’est-à-dire qu’elle doit arrêter d’écrire sur facebook (Pourquoi ? je suis adepte du papier, enfin le toucher) et sortir des books lus partout sur le territoire national et hors de nos petites et étroites frontières culturelles.

Elle écrit ceci pour défier toute la vie passée, celle qu’elle vit(nous vivons ?) et celle à-venir : « Ô temps passe ton chemin, passe… ».

Je n’ai jamais lu un vers aussi osé et qui demande au temps de s’en aller. Ouste ! Il aurait dû se terminer avec un point d’exclamation, mais Aïchetou détient le code subtil –comme si elle subtilisait à la langue française sa capacité de camouflage- du langage de l’écriture. Elle nous donne, sur un ëvëchaay, les trois points de suspension afin que nous puissions mieux respirer (nafs)…

Elle nous suspend à notre vie que nous devons vivre en endurant, dur et dur ses écueils jusqu’à notre fatale horizontalité. Mais elle nous donne le temps de toutenotre respiration (istiraaha comme une incitation à la réflexion entre le choix de vivre ou de périr ?) refusant la stupéfaction qui aurait advenu si jamais elle avait fermé (gavlë) ce vers par un point d’exclamation.

Aïchetou maîtrise cette langue dans laquelle elle a choisi d’écrire au détriment de sa langue maternelle l’arabe. Je n’ai jamais encore écrit dans ma langue maternelle le pulaar. Me tente, ici, le défi de traduire, un jour, l’une des œuvres d’Aïchetou en pulaar pour que ses compatriotes qui lisent dans cette langue puissent profiter de sa générosité. Elle est généreuse sinon elle n’allait jamais écrire ces vers qui coule de la source éternelle de son cœur meurtri, mais encore et toujours solide et tendre (?). Elle chante et écrit sans kewraar tout autour de la khayma :

« Laisse ta peine sur tes traces… » (Pulaar approximatif je m’en excuse : opu mettemaa e tepemaa...)

Le temps la cueillera en douceur… (aduna ma wiltine piinde yuurmeende...)

Pour t’en faire cadeau, mon cœur… » (Mi totumaa no juumri, berndam...)

Ah ce mon « cœur… » ! Il faut lire avec douceur voire avec une profonde inspiration qui devrait vous persuader que vous vivez au-dessus des futilités de la vie contre lesquelles vous devez combattre avec votre seul courage et la vitalité de votre force intérieure. Il faut surmonter les pièges de ce démon interne qui bouche l’horizon de notre vie. Nous devons la vivre pleinement en nous trouvant une activité qui cadre avec ce que la nature a imprimé en nous.

Aïchetou vit dans le paradis sublime de la révélation dans son sens d’inspiration ;celle qui procure à l’âme toute sa tranquillité. Elle aime la vie et la joie de vivre hors des contraintes et des pesanteurs qui larendent souvent si insipide.

Aïchettou est une artiste dans le sens le plus profond du terme. Je crois qu’elle aime l’art dans son versant subversif, mais aussi mélodieux. La révolte lui parle dans son oreille.

Elle lui dicte ces mots qu’elle étale comme un linge blanc, limpide et clair pour tout être bénéficiant encore de tous ses sens. N’oubliant pas la faiblesse de l’homme, Aïchettou poursuit son écriture qui coule, comme une larme, vers son embouchure. Cette larme inédite et irrecommençable car elle est née de la rencontre entre les souvenirs enfouis et leurpropre processus de dévoilement par le biais d’une autre langue que celle qui porte sa propre chair. Elle nous fait pleurer ainsi :

« Là où tu cacheras ta peur… (Do cuudoydaa kulol...)

Te suivra cette douleur… » (Mette tawtoymaa...)

La douleur de vivre ? La vie/douleur, mais aussi lieu de tout espoir (Lire son poème « Si la vie est un rêve… Je le sais et pourtant… »). La fréquence des points de suspension, dans ce poème qui me sert d’entrée, veulent-ils dire qu’Aïchetou a suspendu quelque chose dans sa vie ou nous demande-t-elle de suspendre des choses dans notre propre vie ? Cette question me taraude depuis que j’ai lu ce poème intitulé « Humeur 5 » comme s’il avait atteint le cinquième et dernier degré de sa chaleur !

Elle écrit/décrit la vie dans son charme et sa démesure. Elle puise au plus profond d’elle-même l’essence de ce qu’elle souhaite partager avec ses lecteurs. Elle dit elle-même : « On ne peut pas écrire au sujet de ce qu’on ne connait pas ». C’est clair comme une eau de roche.

La force de son engagement, dans l’écriture ; et elle le dit avec un sentiment si profond qu’on ressent le bonheur qui la traverse quand elle est dans la solitude féconde de l’écriture. Enfin disons Éc-rire. Jouons avec les mots de cette langue qui fait partie des grands maux de notre Mauritanie.

Donc Éc-rire : elle se met à rire intérieurement des vilenies de la vie qu’elle écho-graphie - je veux dire qu’elle interroge intelligemment les échos de la société- avec ses mots choisis au cœur du verbe Exister pour décrire ou mieux décriturer - fiction réelle en fait, car les vrais écrivains n’écrivent jamais de la fiction. Ils décriturent. C’est-à-dire qu’ils parlent d’eux-mêmes au pluriel avec les multiples astuces que leur offrent les techniques du langage.

Voilà ses mots, parlant de son roman La couleur du vent : « Àl’origine, je l’ai écrit pour moi-même, par amour de l’écriturequi est pour moi un plaisir sans pareil. Je m’y retrouve, je m’y submerge, je m’y épanouis, je m’y oublie et j’adore ça ». La sentence est là : « je m’y oublie ».

Ce je n’est pas le JE nombriliste, égoïste sinon elle n’allait jamais accepter « sous la pression de quelques amis » de publier ce qu’elle publie. Ce je est, un JE acteur, maître de son destin, fin observateur de la société dans laquelle il a grandi et qui le fait écrire ce qu’il n’aurait jamais osé décrire s’il ne la connaissait pas. Aïchetoudit qu’elle « mêle fiction et réalité ».

La réalité est la vie quotidienne de ses semblables et sa propre vie mêlées ensemble et devenues inextricables. Elles se fossilisent dans son écriture. Et donc,la fiction pour moi, ici, signifie la philosophie et le langage qu’elle utilise pour penser la société. Parce qu’un écrivain pense la société plus que tout autre spécialiste.

Le je, ici, est finalement le JE historien du temps présent et obligé de témoigner de son présent et de se déposer/« s’oublier » dans ses propres écrits. Aïchetou est une écrivaine alors, un témoin, une actrice de la vie sociale et en même temps son observatrice critique. Quelle sublime posture !

Les écrivains sont dans la solitude féconde du retrait. C’est juste une question de position. Ils ont une distance intelligente et consciente qu’ils maintiennent entre eux et la société. Mais ils ne sont jamais en dehors de celle-ci. Ce n’est pas possible sinon Aïchetou n’allait jamais écrire, ces petites belles nouvelles, sur des personnages ordinaires et leurs activités quotidiennes ou écrire sur la diva de la chanson engagée mauritanienne Malouma Mint Elmeydah.

Voilà pourquoi j’ai créé, en toute liberté, ce néologisme pour mieux comprendre un auteur que je n’ai lu que virtuellement, mais intensément. Il nous faut des books et non des facebook-lecteurs. Où sont le ministère de la culture, la direction du livre ( ?), le million de poètes mauritaniens, l’Unesco et les milliardaires qui dorment sur des coussins bourrés d’ouguiyas…

Je reviens aux trois points de suspension pour respirer, car à beau écrire à ces gens tu n’auras aucune aide possible pour te faire publier. Il faut encourager davantage les publications locales, mais en veillant, le plus strictement possible à la forme finale du texte même si la qualité du papier ou le design peuvent faire défaut en attendant l’arrivée de la performance.

Les écrivains mauritaniens et surtout les femmes mauritaniennes qui écrivent ont besoin d’être connus et vulgarisés. Le monde appartient aux femmes et la Mauritanie ne va pas y échapper. Aïchettou écrit : « le temps passe, passe, et trépasse… »,comme si elle parlait du temps de la tradition et surtout de nos errances mémorielles qui doit dire adieu, car son époque est dépassée. Une autre se dessine, se redessine surtout dans le milieu urbain dont nous devons assumer les travers et les vertus émancipatrices des chaines de l’obscurantisme.

Donc Aïchetou ne décrit pas seulement son univers intérieur, mais celui qui est à l’origine de cette angoisse existentielle que l’écriture fait découvrir. Aïchetou se décrit elle-même comme une grande timide en public, alors qu’elle aime ce public auquel elle ne peut communiquer, paradoxalement, que dans cette langue. Ce n’est point un dilemme identitaire.

C’est un choix réfléchi, car elle s’épanouit dans cette langue et cet amour fusionnel ne signifie point renier cette chair interne qu’est la langue maternelle. Quelle beauté et hauteur ma chère Aïchetou en assumant ce choix qui dépasse toute possibilité d’explication et toute tentative de condamnation de la part de qui que ce soit. L’écrivain n’explique pas et ne s’explique pas.

Il donne son bébé dans le berceau qu’il a lui-même conçu sinon il risque fort de trahir sa propre mémoire et surtout le temps sur lequel il porte un regard critique. Car comme l’écrit, l’un des plus grands sémioticiens français Roland Barthes,dans son petit livre Critique et vérité, « l’écrivain ne peut se définir en termes de rôle ou de valeur, mais seulement par une certaine conscience de parole ».

Cette « conscience de la parole », dont parle Barthes, est trop présente chez Aïchetou. En effet, je crois savoir que l’écriture est pour elle une façon de prolonger à l’infini la joie de vivre voire l’étonnement permanent de survivre même dans un monde d’amertumes, de bouleversements, de refus de changements jusqu’à l’étouffement de la créativité.

MaisAïchetou fait partie de cette humanité sans laquelle les trois fleurs qu’elle surveille dans sa féconde solitude, ne seraient pas éclatantes et si parfumées (ses œuvres, enfin ses trois filles ?, un petit sourire volontiers taquin de ma part).

Son roman La couleur du vent (que je n’ai pas encore lu) est étonnant par son titre. Le vent ne peut avoir de couleur possible et celui qu’elle colorie vient de la Mauritanie. C’est peut-être l’arc-en-ciel que nous aimons à regarder de loin sans pouvoir l’atteindre. Aïchetou nous l’offre par ce titre.

Que ce vent souffle infiniment et insuffle sa sève intelligente dans les artères de tous les échelons de notre société. Finalement,Aïchettou est cet écrivain qui décrit une partie de nos maux avec ses propres mots. Eh bien c’est naturel ! Et moi je ne suis qu’un lecteur qui interprète les symboles que renvoient, pour moi, ses mots.

C’est aussi naturel ! Ils ne peuvent que me parler car je suis moi-même produit de l’école bilingue mauritanienne au temps où elle était encore plus performante qu’aujourd’hui. Nous sommes des angoissés au milieu de langues riches qui n’attendent que leur revalorisation.

Mais La couleur du vent viendra disperser ces angoisses contenues dans ces vers d’Aïchetou que tout mauritanien peut chanter :

« Mon âme, qu’est-ce qui te tracasse ?

(Wonkam ko jumbit-ma ?) Toutes ces pensées qui t’enlacent ? (Dii miijoojo kamyudemaa ?)

Tous ces soucis qui t’agacent ? »
(Dee mette kaljinoojema ?)

Toutes ces angoisses touchent à tous les Mauritaniens, car ils ont à la tête du pays quelqu’un qui s’est solennellement déclaré, sans notre avis, qu’il est notre président et que nous sommes tous, et tant que nous sommes, des pauvres.

Jamais dans le monde ni jamais dans l’histoire de l’humanité je n’ai entendu quelqu’un se déclarer « président des pauvres » en parlant de son peuple ! Voilà pourquoi notre chère écrivaine écrit ces vers et ses fresques sociales) pour dire qu’elle partage les mêmes souffrances qu’un peuple qu’on indexe de manière si outrageante. Je n’aime pas le terme engagement, mais à défaut d’un autre, je dis qu’Aïchetou est une Engagée dans la décriture.

Voilà que, presque tout a été tenté pour dire une chose : mon admiration pour cette plume qui plonge tout son corps -en laissant son ancre se déposer au fond de la société !- dans la lie de l’encrier de la société. Pour finir chantons avec Aïchetou cet hymne pour rendre hommage à notre unité ontologique, car tous ses écrits que j’ai lus me semblent sourdre de cet « être comme étant » qu’elle est :

« Laisse ta peine sur tes traces… (Laissons nos peines sur nos traces…)

Le temps la cueillera en douceur… (Le temps les cueillera en douceur…)

Pour t’en faire cadeau, mon cœur… (Pour nous en faire cadeau, à notre cœur…)


Abdarahmane Ngaidé

UCAD/IEA de Nantes, le 18/02/2014




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