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11-03-2014

17:35

Portrait de Sall Djibril, un commissaire de police poète : Comment peut-on conjuguer la vie d’un flic et celle d’un poète ?

Le Terroir - Posez la question à Djibril Zakaria Sall. Il vous répondra avec son sourire éternel, élégant et narquois : « la vie d’un policier est un accident, la vie d’un poète est un accident, tout est accident dans la vie.La poésie est un don de Dieu. » 

Ainsi avait il répondu à Léopold Sédar Senghor qui lui avait demandé, comment pourra t il concilier la vie d’un policier et celle d’un poète. Sall Djibril est l’un des bénéficiaires de ce don de Dieu. Né le 23 Avril 1939 Rosso, sa famille est originaire de Aeré Mbar dans la région du Brakna, ente Boghé et Kaédi.

Sall Djibril, fréquente d’abord l’école primaire à Rosso, Boghé, Atar et une partie au Sénégal, à Dakar. Il poursuit ses études secondaires au collège Xavier Coppolani que la première génération Mauritanienne connait très bien.

Précisons que Sall Djibril n’a pas passé son baccalauréat mais il en a le niveau. En 1960, il devient instituteur adjoint, stagiaire. Il est admis à l’école de la police et devient inspecteur en 1961. Il passe par l’école fédérale de police de Dakar puis l’école supérieure de Police de Saint Cyr, en France.

En 1965, Sall Djibril est promu Commissaire de Police. Avant de devenir Chef de Brigade Mobile de l’Est, le Commissaire Sall a exercé à Rosso, Zouératt, à Atar et à Nouakchott. C’est vers Octobre 1967 alors qu’il était à Rosso, que Djibril Sall a commencé à écrire de la poésie. Réveillé par l’inspiration, c’est la nuit qu’il rédigeait ses poèmes. « Ça coulait, coulait… ».

Comme il aime le dire lui-même et son entourage commence à s’inquiéter « le bonhomme est devenu dingue » disaient ses parents. Il décide alors d’envoyer ses poèmes à Senghor, le président poète du Sénégal. Celui-ci ne tardera pas à lui répondre tout en lui prodiguant un conseil précieux : « consacrez vous à la poésie Africaine pure qui est rythme et image et abandonnez la rime ».

Fort de cette recommandation, il continu à écrire et envoie de nouveau, des poèmes à Senghor, la critique fut positive cette fois : « ceux-ci sont nettement meilleurs que les premiers »avait il fait remarqué. Avec le soutien de l’ancien Président Mauritanien Moctar ould Daddah (paix à son âme), il publia son premier recueil en 1970 et deux ans après, ce recueil obtint un prix littéraire à Lyon en France (le concours de l’Ile des poètes).

Depuis lors, les vers résonnaient dans la raison de Sall Djibril et dans ses bureaux. « Traversé de part en part par des choses indicibles…Dans la grisaille de mon existence…j’ai choisi l’errance. Ecriture muette, demeure nominale…j’ai pris mes cliques et mes claques de matière verbale Pour décrire sans bruit la beauté gestuelle».

En 1976 et 1977, il publia (Soweto) et (cimetière rectiligne) toujours soutenu par le Président Daddah. Sall fut alors détaché avec Tène Youssouf Guèye au Ministère de la culture pour préparer le Festival Mondial des Arts Nègres qui eut lieu en 1977 à Lagos au Nigéria.

Ce sera le premier intermède de Djibril Sall dans sa carrière policière. Bien avant la libération de Nelson Mandela, Djibril Sall a écrit (Soweto sera libre) ; poète visionnaire, il voulait apporter son soutien à ses frères sud africains dont les libertés étaient bafouées par un régime ségrégationniste.

« Eternel Enfer !....Où la nuit je rumine …l’Amertume du jour Eternel Enfer !...Où l’estomac digère …le vide du ventre vide Eternel Enfer !...où l’enfant affamé hait le sein vide de sa mère Que ne suis-je né ailleurs…Où le soleil brille pour tout le monde Pourquoi naître s’il faut souffrir ?.... » (in Soweto).

Ce poème a été traduit en anglais lors de son passage à Washington par la revue Black World et a été primé en 1976 lors d’un concours littéraire organisé à Wagadougou auquel Madame Delarizière alors directrice du Centre Culturel Français de Nouakchott avait envoyé ses textes. La poésie de Sall Djibril met en scène des prototypes et des hommes de mauvaise foi. Des fonctionnaires véreux qui utilisent des méthodes peu orthodoxes pour mériter les honneurs de leurs supérieurs.

Ainsi, la publication de son poème (Coup de Piston) provoquera son deuxième déboire : « la fonction est parsemée d’embuches ….Pour vite atteindre l’apogée, il faut dépendre de quelqu’un…Pas de n’importe qui, un gros bonnet…Cirer ses chaussures, moucher ses enfants (….). Ce n’est qu’après maintes bassesses que le coup de piston arrive » (« coup de piston »in Les Yeux Nus). Convoqué par le ministre de l’intérieur de l’époque, on lui interdit de publier désormais en Mauritanie. Ses poèmes seront dorénavant publiés au Sénégal ou en France.

La poésie de Sall Djibril est profondément humaniste avec un ton tantôt sarcastique tantôt véhément, il décrit la grandeur de l’homme mais aussi ses tares. La censure est difficile à vivre mais le plus dure, c’est sa mise à la retraite forcée en 1999, les autorités prétextant de ne pas avoir besoin de lui et pourtant il était l’un des commissaires les plus gradés et les plus formés de la Mauritanie.

Cependant, il profitera du jumelage de son village avec la commune de Saint Benoit de Sault pour publier un nouveau recueil (sillon d’espoir). C’est aujourd’hui une grande fierté pour lui de voir ses textes dans les manuels scolaires et surtout les professeurs l’invitent dans leurs classes. Vous le trouverez à Aeré M’Bar dans son jardin où il prit soin de réimplanter toutes les espèces de la localité en voie de disparition.

Dembélé Oumar




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