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31-03-2014

22:46

Les mauritanies au Salon du livre de Paris 2014

Kassataya - Les lampions se sont éteints sur le Salon du livre de Paris 2014 qui s’est tenu à Paris Porte de Versailles du 21 au 24 mars. Les organisateurs ont choisi cette année de mettre à l’honneur l’Argentine.

La Mauritanie était représentée au salon par la librairie 15/21 dont la délégation était composée de son Directeur Général M. Sellami Ahmed El Meki, M. Manuel Bengoéchéa du Bureau du livre (Institut Français), M. Amadou Racine Ba et M. Amadou Demba Batous les deux venus présenter leurs derniers ouvrages.

Le premier, Problématique de l’Education en Afrique. Ecole et politiques de Langues en Mauritanie a pour auteur l’ancien ministre de la transition M. Amadou R. Ba.

Dans sa préface, l’ancien président M. Mohamed Khouna Ould Haidalla (1981-1984) souligne « l’importance du développement des langues nationales… [qui] permet non seulement de consolider l’unité et la cohésion nationales mais aussi de mieux maitriser les matières enseignées et de favoriser le métissage culturel ».

Dans le contexte mauritanien marqué par une cohabitation plus ou moins harmonieuse de plusieurs nationalités, la remarque reste d’actualité. Partant, l’ancien chef de l’Etat invite les intellectuels et les techniciens de l’Education à mener une réflexion sur le rapport entre le développement et les langues nationales. Mais par quel bout prendre la question quand chaque communauté lutte pour ne pas sombrer ? M. Ould Haidalla esquisse une solution.

« Comme l’arabe, langue majoritaire en Mauritanie, le pulaar, le soninké et le wolof doivent être utilisés dans le système éducatif. Le français, l’anglais ou l’espagnol assureront aux enfants une ouverture conséquente sur le monde extérieur. Cette vision est dictée par des raisons évidentes de nécessités économiques, politiques et d’unité nationale mais aussi de proximité géopolitique et géostratégique avec les pays limitrophes de la Mauritanie et ceux de l’Europe et de l’Amérique ».

Cette question de la cohabitation revient dans l’ouvrage de M. Amadou Demba Ba, L’obsession d’un retour. C’est en effet depuis le Maroc où il était allé étudier en 1986 que l’auteur apprend la déportation de sa famille comme celle de dizaines de milliers de noirs mauritaniens vers le Sénégal durant les années de braise sous la dictature de Ould Taya (1984-2005).

La vie d’étudiant de M. Ba bascule quand il reçoit en juin 1989 une lettre d’un membre de la famille lui annonçant la mauvaise nouvelle : la déportation, la spoliation et le dénuement total dans lequel vivait désormais la famille dépossédée de tout. Alors, faut-il rentrer ? Où ?

En Mauritanie où il n’y a plus aucun membre de la famille et où les tensions communautaires sont au plus haut ? Au Sénégal pour vivre dans un pays étranger et dans un camp de réfugié ? Fallait-il rester pour finir les études ? Les questions se bousculent dans la tête de l’étudiant.

Dans un pays où les communautés semblent se côtoyer en s’ignorant, surgissent de loin en loin quelques signes qui redonnent de l’espoir. Comme ce bel ouvrage du Dr Mohamed El Mahjoub Ould Mohamed el Mokhtar ould Boye, La Résistance anti-coloniale des Soninkés du Guidimakha.

Dans sa préface, l’ambassadeur M. Mohamed Saïd Ould Hamody présente le livre comme « un matériel [qui] concerne le féroce et intolérant « biocide » culturel, en 1908, … dont les français se sont rendus coupables à l’encontre du savoir traditionnel mando-arabo-musulman des soninkés du Guidimakha mauritanien ; un autodafé dont l’ampleur, quand il fut connu, par hasard sept décades après le crime, a servi de déclic à tous : aux descendants des victimes et à ceux, comme Mohamed Mahjoub et moi-même et nos semblables qui avions ignoré la richesse des patrimoines, spécifiques ou partagés, de nos « autres » compatriotes ».

L’auteur lui-même, M. Mohamed El Mahjoub Ould Mohamed el Mokhtar ould Boye confesse avoir découvert que « nous ne connaissions que le minimum de la lutte de nos pères et nos grands’pères et de leur résistance à l’invasion étrangère, en particulier dans le domaine culturel et précisément la lutte des habitants soninkés du Guidimakha. »

Et subitement, l’océan qui semblait séparer les communautés nationales s’évapore au contact des premières découvertes fondées sur autre chose que la force des préjugés.

Dès lors, l’auteur se rend à l’évidence : les étudiants pulaars et soninkés fréquentés dans les écoles coraniques n’étaient pas des cas isolés, des sortes d’exceptions mais « le produit de nations et civilisations africaines islamiques anciennes et importantes ».

Il ne restait plus à ce chantre de l’unité nationale qu’à inciter la jeunesse mauritanienne, « née de mère arabe ou poular ou soninkée ou wolof à donner priorité totale, main dans la main, au renforcement de l’identité mauritanienne (commune) … chacun utilisant son prolongement (culturel et humain) septentrional ou méridien ».

Au lecteur de se laisser conduire dans l’histoire multiple de la Mauritanie, avec un auteur qui caresse l’espoir « d’ajouter un nouveau pan au tissu national mauritanien, en fournissant au lecteur des informations archivées en des pages de l’histoire du pays et, en particulier, de contrées que les gens [Mais qui donc ?] ont voulu ignorer pour des raisons objectives et pour d’autres qui le sont bien moins… ».

Voilà qui a le mérite d’être clair et qui donne envi de lire. Ce travail de rapprochement des cultures et de quête de l’autre auquel se livre la librairie 15/21 se retrouve dans le recueil de poèmes et de notules que vient de publier notre consœur Mme Mariem Mint Derwich.

Mille et un je est le reflet d’une auteure qui vit bien ses multiples appartenances : ses Mauritanités (Sud et Nord), ses « ici » et ses « ailleurs » qui en font une femme singulière, difficile à mettre dans une case.

Et c’est cette spécificité acquise au gré de multiples rencontres qui suinte de ce premier ouvrage dans une société mauritanienne où le point de vue féminin n’est pas souvent audible.

Parce que « dans la touffeur de notre société, dans une société frileuse où la parole est dévidée comme un chapelet, les mots/maux des femmes mauritaniennes sont comme les perles des brodeuses : nacrées. Tout le monde parle mais qui entend ? Qui entend les paroles de femmes ? » Pour finir, la Mauritanie était aussi (d’une certaine façon) au Salon du livre de Paris, à travers M. Karim Miské venu présenter son premier polar Arab Jazz (Grand prix de la littérature policière 2012, édité chez Viviane Hamy).

Mais attention, prévient l’auteur rencontré par Kassataya, il n’y est pas question de musique. Le lecteur y trouvera par contre d’improbables associations, avec une intrigue nouée autour d’une juive ashkénaze explosive, un policier Breton et d’un arabe devant se disculper du meurtre de son amie et voisine.

Un polar bien accueilli par la critique à l’image de cet extrait du magazine Lire : « Ahmed doit se disculper du meurtre de sa voisine. Une enquête originale dans le XIXe arrondissement de Paris

Arab Jazz est un hommage à James Ellroy (White Jazz) mais ne se perd pas dans les références aux maîtres. Karim Miské, excellent documentariste pour la télévision, sait chercher l’information, décrire un univers, créer une ambiance et mettre en scène un premier roman noir sur la manipulation des pouvoirs – qu’ils soient politiques ou religieux – avec une jolie dose de sensualité, ce qui ne gâte rien.» (Christine Ferniot – Lire, juin 2012).

Abdoulaye Diagana pour Kassataya




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