Cridem

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08-04-2014

14:48

Pourquoi donner naissance vire au drame pour beaucoup de mauritaniennes ?

Le Quotidien de Nouakchott - «La sage femme qui était là est mutée et elle n’a pas été remplacée. En ce début d’année 2014, deux femmes sont mortes en donnant la vie, cela en l’espace d’une semaine : l’une est décédée dés suite d’un accouchement où elle a perdu beaucoup de sang, et l’autre est morte lors de son évacuation à Kaédi.» (Source Diallo Amadou, Cridem).

C’est le témoignage d’une femme au cours d’une manifestation contre la dégradation des conditions sanitaires à Maghama, une ville située à un peu plus de 400 kilomètres de Nouakchott. En Mauritanie, le taux de mortalité maternelle est passé de 686 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2007 à environ 626 pour 100 000 actuellement. Une baisse significative mais loin de l’objectif fixé par l’OMD 5.

Pourquoi donner naissance (événement heureux) vire au drame pour beaucoup de mauritaniennes ? Qu’est-ce qui est fait pour réduire la mortalité maternelle ? Les causes de ce fléau sont nombreuses et variées, certaines sont imputables à l’état de notre système de santé et donc médicales, obstétricales, d’autres sont plus socio-économiques et culturel.

Selon Dr Mohamed Cheikh, Gynécologue au centre hospitalier mère et enfant, l’on peut dégager les trois principales causes : « les hémorragies, les complications de l’hypertension artériel et les infections. »

Hémorragies

Pour le Dr Kane, gynécologue obstétricien, les hémorragies sont la première cause des décès maternelle en Mauritanie, à hauteur de 40% environ. « L’hémorragie post partum (après accouchement) est la plus dangereuse, dans les 6 heures qui suivent, la femme doit être transfusée dans le cas échéant le décès est inévitable. Le sang ne se fabrique pas, il se donne et c’est un être humain qui donne son sang. Aucun médicament ne peut la sortir d’affaire si on ne la transfuse pas.» Malheureusement, ajoute Dr Kane, « en Mauritanie, le don de sang volontaire est très faible et les besoins en sang trop peu couvert.. »

Hypertension Artérielle

Une autre cause de mortalité maternelle : « La pré-éclampsie, complication de la grossesse provoquée par l’hypertension artérielle qui se manifeste, pendant ou après l’accouchement. Elle peut provoquer infarctus, attaques cérébrales. « Nous voyons que la plupart de nos structures sanitaires surtout de l’intérieur sont dépourvues de services de réanimations et de médecins réanimateurs. Ce qui peut expliquer le taux élevé de mortalité du à cette pathologie » a ajouté Dr Mohamed Cheikh. En d’autres termes, si par malheur une femme est victime d’hypertension artérielle dans un petit centre de santé qui manque de tout, elle est condamnée.

Infections

Médecin sans frontière estime que dans le monde, les infections sont responsables de la plupart des décès qui surviennent vers la fin du post-partum, environ 76.000 femmes meurent suite aux infections soit 15% annuellement. En ce qui concerne la Mauritanie, le fait que certaines femmes accouchent bon gré malgré à domicile, avec des accoucheuses traditionnelles contribue sensiblement à la hausse du taux de mortalité maternelle. « Jusqu’à présent l’on continue de voir en Mauritanie des accoucheuses traditionnels et auxiliaires dans des hôpitaux.... Imaginez alors les conditions dans lesquels se déroulent les accouchements et complications éventuels par infection » affirme Dr Mohamed cheikh.

Quant à la gynécologue et directrice du Centre Hospitalier Mère et Enfant de Nouakchott, Dr Ba Aissata Yaya, elle résume les 3 principales causes de la mortalité maternelle avec les trois retards. Le 1er trouve sa source dans la famille (communauté, société) il s’agit du retard de la prise de décision de consulter les services de santé. Le 2ème se situe au niveau de l’Etat, il s’agit du retard pour arriver à une structure de santé, du fait du manque d’infrastructures et le 3ème et dernier se situe au niveau du personnel médical, il s’agit du retard pour recevoir un traitement adéquat.

Insuffisance et Répartition inégale du personnel qualifié

D’autre part, le manque criant de personnel médical qualifié (médecin, sages-femmes, gynécologues...) et leur répartition assez inéquitable sont en cause. Il est évident aux yeux de tous que le peu de spécialistes qualifiés est concentré dans quelques une des grandes villes du pays (Nouakchott, Nouadhibou…) au détriment des structures de santé régionales et communales.

Difficulté d’accès aux structures sanitaires

Au-delà des causes obstétricales, il y’a celles socio-économiques et culturelles qui entravent l’accès aux structures sanitaires en mesure de prendre en charge la femme enceinte, ainsi que les conditions qui lui permettent d’accéder aux soins à temps. L’on peut les subdiviser en deux.

Il est à rappeler que la Mauritanie est un vaste pays de 1.030.700 km², que la majorité de sa population vit en milieu rurale et que les femmes représentent plus de la moitié de cette population. Ces zones rurales ou les petites villes manquent le plus souvent d’infrastructures (routes, moyens de transport et hôpitaux dignes de ce nom), on peut dire sans exagération que les femmes enceintes issues de ces zones sont les plus exposées à la mortalité maternelle. A titre d’exemple, il est quasiment impossible pour une femme enceinte d’une localité enclavée de faire les 4 visites prénatales conseillées, surtout en période de pluie.

Contraintes économiques

Plus de 40% de mauritanien vit sous un seuil minium de pauvreté. Cette pauvreté est encore plus marquée en milieu rural. Les coûts du transport, des soins et médicaments prescrits sont souvent hors de portée des femmes enceintes. Déperdition Scolaire et Mariage précoce

Parmi les causes de la mortalité maternelle, il y a aussi le non scolarisation ou le déficit de scolarisation des filles. L’on ne cesse dire que tout pays qui aspire au développement doit miser sur l’éducation, notamment sur la scolarisation des jeunes filles.

De nets progrès ont été certes observés ces dernières décennies en Mauritanie, mais la déperdition scolaire persiste. Selon beaucoup de spécialistes, le niveau d’éducation est un facteur essentiel de la santé d’une femme.

Ce que nous confirme le Dr Kane Amadou racine gynécologue obstétricien, « L’un des facteurs de risques de femmes qui décèdent, c’est l’ignorance, la femmes qui a un niveau socio-économique bas, qui a quitté l’école pour cause de mariage précoce, à 15, 16 ou 17 ans, c’est une grossesse à risque. Elle est très peu réceptives aux messages de sensibilisation, plus le niveau d’étude est élevé plus elle est sensible. C’est pourquoi quand on regarde le profil des femmes qui décèdent suite à une grossesse ou accouchement, l’on voit qu’elles ont généralement un niveau d’alphabétisation assez bas. Donc c’est une cause indirecte de mortalité maternelle, car c’est synonyme de mariage précoce ».

La cellule d’accélération des OMD santé Et le forfait obstétrical

Avec l’appui du système des Nations Unies, notamment du FNUAP, les autorités mauritaniennes agissent pour réduire la mortalité maternelle.

Selon Dr Mohamed Cheikh : «Pour réellement réduire cette mortalité maternelle très élevée en Mauritanie, il y’a quatre axes qui sont : Fournir les soins obstétricaux d’urgence dans toutes les structures, là où il y’a des accouchements, que ça soit dans un département, commune, moughataa ou wilaya.

Assurer des accouchements dans de bonnes conditions, par une sage-femme ou par un infirmier formé en soins obstétricaux d’urgence. Assurer des CPN (Consultations Prénatales) centrées et faire la promotion de la planification familiale.

A l’instar d’autres pays du monde, la Mauritanie a entrepris des démarches et a pris des mesures pour lutter contre la mortalité maternelle. C’est dans ce cadre qu’a été crée La CESCA (cellule Sectorielle de coordination pour l’Accélération des OMD/santé) pour atteindre les 3 objectifs (OMD 4, OMD 5, OMD 6) d’ici 2015 et parmi lesquels la mortalité maternelle.

‘La Cellule est basée au ministère de la santé et est dirigée par une coordinatrice Pr Aissata Ball. La cellule, selon sa coordinatrice « a pour objectif de coordonner la mise en œuvre du plan pour l’accélération de l’atteinte des OMD-santé. » Pour la mortalité maternelle, L’objectif est d’arriver à 232 décès pour 100 000 naissances vivantes.

Renforcement des capacités du personnel de santé et distribution de matériels sont, entre autres, les actions concrètes de la CESCA. Une cellule qui a pour partenaires technique le FNUAP, L’OMS, PNUD, UNICEF. Cinq régions ont été identifiées par la CESCA. Il s’agit du Hodh El Gharbi, du Gogol, du Guidimagha, de l’Adrar et du Tagant

Autres mesures prises pour réduire la mortalité maternelle en Mauritanie : le forfait obstétrical. C’est un projet mis en place à Nouakchott pour lutter contre la mortalité maternelle. Le forfait vise à faciliter aux économiquement vulnérables l’accès financier aux soins et suivis liés a la grossesse à moindre coût.

Avec 5500 Um, elles peuvent avoir droit à quatre consultations prénatales (En début de grossesse, autour du 5eme mois, autour du 7eme mois et vers la fin de la grossesse), droit à l’accouchement (césarienne ou normale), les visites post natales avec leurs nouveaux nés et les échographies.

Le forfait a commencé au centre de Santé de Sebkha de Nouakchott avec d’abord une modernisation des infrastructures et la formation du personnel de santé. Il est en cour d’extension dans toutes les régions de la Mauritanie.

« Le forfait a effectivement permis de prendre en charge un très grand nombre. Donc il a participé à la réduction de la mortalité maternelle, c’est une évidence » constate le Dr Raymond Najar, médecin gynécologue, conseiller à l’hôpital Mère et Enfant de Nouakchott.

Mais il faut, selon lui, « développer les moyens de contraception, développer la prévention, multiplier l’apport des différents départements ministériels, l’apport des cellules comme la CESCA,… » Pour le Dr Raymond Najar, « les causes sont toutes imbriquées ainsi que les solutions, ce n’est pas parce qu’on décrète qu’il faut lutter contre la mortalité maternelle qu’elle va disparaître. Il faut donc une attaque multilatérale, attaquer toutes les causes en même temps…. Il n’en reste pas aussi que c’est un problème de mentalité. »

Mariem Sy et Amadou Sy (stagiaires)

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Article écrit suite au séminaire de formation pour journalistes organisé, le 30 et 31 Mars dernier par le Ministère de la Communication en partenariat avec le FNUAP. Ayant comme thème : Population et Développement. Séminaire auquel nous avions pris part.

Qu’est ce que la mortalité maternelle ? La mortalité maternelle se définit par "le décès d’une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu’en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu’elle a motivés, mais ni accidentelle, ni fortuite".

Source OMS

OMD 5: améliorer la santé maternelle Cible5.A. Réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle Cible 5.B. Rendre l’accès à la médecine procréative universel d’ici à 2025 Environ 287 000 femmes sont mortes en 2010 pendant leur grossesse ou au cours de l’accouchement, soit une diminution de 47% par rapport à 1990. La plupart d’entre elles décèdent parce qu’elles n’ont pas eu accès à la prestation de soins ordinaires ou d’urgence par du personnel qualifié.




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