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Les frontières coloniales et leur imposition dans la vallée du Fleuve Sénégal, 1855-1871... (Conclusion)
...Bouleversements des hiérarchies politiques et statutaires.
Adrar-Info - Conclusion : On peut discerner trois catégories de réponses à la mise en œuvre de la nouvelle frontière coloniale du Fleuve Sénégal.
Premièrement, il y avait ceux pour qui la frontière représentait une opportunité pour couper les anciens liens tributaires, échapper à des nouveaux ou améliorer leur position de négociation vis-à-vis de leurs supérieurs dans la hiérarchie de la société de la vallée.
Dans cette catégorie se trouvent les ahl algibla dont l’installation dans les territoires du Waalo, contrôlé par les Français au cours des années 1860, affecta Sidi Mbayrika. Les chefs des Awlâd Banyug et des Awlâd Bu‘ali furent assez innocents pour reconnaître leurs motivations politiques dans leurs choix de rester sur la rive Sud.
De la même manière, pour les tributaires du pays Wolof — y inclus les chefs du Kajoor et du Jolof —, l’installation de la frontière française fournit une opportunité pour couper les anciens liens tributaires, même pour ceux, comme le Lat Joor, qui résistèrent à la pression française sur leurs propres territoires. De manière assez ironique, des telles réponses ne furent pas seulement confinées aux tributaires et aux subordonnés du Trârza.
Comme les Français le découvrirent, la frontière qu’ils avaient créée interférait avec leurs propres efforts pour imposer l’autorité sur les nouveaux territoires. La même frontière qui créait une zone de contrôle pour les Français créait également une zone en dehors de leur contrôle. Au sein de cette dernière, des villageois comme Mabok et Seydou Moumou exploitèrent la situation pour échapper aux impôts et pour rétablir les anciens liens avec la rive droite.
En deuxième lieu, il y avait ceux pour qui la frontière représentait une menace à laquelle il fallait s’opposer à tout prix. Des Trârza, comme les Ahl Mhammad Shayn comprirent qu’il n’y aurait aucun compromis avec un régime français qui allait détruire le mode de vie dont ils dépendaient. Même s’ils manquaient de pouvoir pour défier par la force cette frontière, leur frustration croissante affecta Sidi Mbayrika et l’amîr du Trârza fut finalement vulnérable à une attaque issue de sa propre lignée familiale.
Finalement, il y avait ceux pour lesquels la nouvelle frontière représentait des dilemmes trop complexes à résoudre, soit par une politique d’acquiescement, soit par une opposition ouverte. Pour nombre d’entre eux, en particulier Sidi Mbayrika, ce n’était pas tant la frontière qui posait problème mais sa mise en œuvre inconsistante par les Français. Les variations de la politique française sur ce thème rendaient difficiles toutes les prédictions et toutes les accommodations.
Le fait que la frontière était relativement perméable pour les subordonnés, les tributaires et les dissidents, alors qu’elle était relativement imperméable pour les élites guerrières, faisait de cette frontière une menace aux hiérarchies établies, voire à l’intégrité morale guerrière, telle qu’elle était conçue par les hassân Trârza. En ce sens, il est remarquable et paradoxal que durant les années 1860, Sidi Mbayrika poussa plus souvent les Français à rigidifier et à uniformiser cette frontière qu’à l’abolir.
Source : Mariella villasante : « Raymond M. Taylor : Saint Xavier University, Chicago Traduit de l’Anglais (Etats-Unis d’Amérique) par Christophe de Beauvais . Publié dans : Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel, sous la direction de Mariella Villasante Cervello, Paris, L’Harmattan : 439-456. »
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