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01-05-2014

06:00

1er mai 77, attaque Zouérate : témoignage Baba Fall (ancien préfet, otage polisario)

Zouerate.com - Cette guerre durait à l’époque depuis plusieurs années. Notre vaillante armée avait déjà délogé l’ennemi des villes et des cantonnements du Sahara qu’il occupait depuis le début des hostilités.

Elle avait mis en échec deux expéditions sur la Capitale et tué le chef du Polisario et le Chef de son Etat major au cours d’une poursuite et décimé le reste de la troupe. Nous avons eu en effet, des officiers de commandement et des soldats de la bravoure de leurs ancêtres qui flattaient notre orgueil et déstabilisaient l’ennemi.

L’institution, en elle-même était irréprochable, aimée et respectée. Elle l’est encore aujourd’hui. Ses membres, dans leur presque totalité l’étaient aussi, et le sont toujours.

Mais les erreurs humaines individuelles existaient et existeront hélas tant que nous serons des humains. L’infaillibilité humaine totale n’existe que dans la bouche des flagorneurs.

La défense de Zouérat, le 1er Mai 1977, avait crée une polémique à laquelle je n’ai jamais participé comme à aucune autre. En l’occurrence, j’étais au cachot en Algérie. Mais trente quatre années après, les esprits doivent s’être refroidis et la vérité historique doit cesser de faire peur.

Zouérat a été prise par les troupes du Polisario pendant environ deux heures le 1er Mai 1977. J’étais au cœur de l’évènement. Voici mon témoignage que nul ne peut démentir s’il n’était pas, lui-même, présent et acteur pendant ces deux heures. Résumons, même si le sujet mérite tout un livre.

Cette péripétie de Zouérat fut à la fois
:

- Un chaos en pertes humaines et matérielles
- Une grande énigme.

* En pertes humaines, j’ai vu de mes yeux l’exécution, à bout portant du regretté Mohamed Ould Khaled, du docteur et de sa femme et d’un militaire avec le fusil en bandoulière froidement abattu, et je me suis vu disparaitre pendant 39 mois. Qu’il y ait eu plus de tués sur le champ, c’est probable mais je n’en sais rien. C’est déjà ça et ce n’était pas encore fini.

* En pertes matérielles secondaires, j’ai vu plusieurs voitures enlevées par les envahisseurs et un incendie dans le dépôt de carburants ou la centrale électrique. Il y a eu sûrement beaucoup plus, mais pour parer à une polémique probable, je ne cite que ce que j’ai vu. Il faut dire que je ne bénéficiais pas d’une vue panoramique, j’avais un hawli noué au cou pour me trainer et j’avais très, très peur, doux marabout que je suis !

En pertes matérielles capitales, je ne peux pas estimer leur importance, ceux qui m’ont kidnappé, m’ont amené tout de suite en Algérie.

Mais je devine l’arrêt de l’exploitation des mines, la réparation des dégâts, et la fuite compréhensible de tout le personnel étranger très important à l’époque, le niveau de mauritanisation étant encore très bas. Tout cela doit avoir été un chaos matériel durable. L’emphase linguistique ne suffit pas pour l’appréhender.

Hommage au patriotisme, au génie et à l’obstination de l’encadrement et du personnel mauritanien de la SNIM qui ont tout remis en marche rapidement pour la suivie économique de notre cher pays.

L’énigme : tout ce qui précède est plus vrai pour vous qui êtes restés, que pour moi qui ai été déporté en Algérie rapidement comme pour une denrée périssable. Mais non, ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible :

Zouérat est le chef lieu de la région militaire la plus sensible et la mieux dotée de Mauritanie à cause de son importance économique et la plus vulnérable étant sur le front. Il y avait même des chars blindés rapides sur place et d’autres choses encore. La ville était entourée d’une tranchée imprenable. Donc Zouérat devait être à l’abri de telles mauvaises surprises.

Et puis, la nuit du 30 avril au 1er mai 1977 était une nuit de pleine lune et toutes les personnes futées savent que les nuits de pleine lune sont choisies par nos ennemis pour leurs incursions, les convois voyageant tous phares éteints. Et puis encore, le 1er Mai est une journée fériée vécue en général avec nonchalance par ceux qui ne seraient pas en alerte maximum.

Ces éléments naturels suffiraient, à eux seuls, pour permettre de jurer que l’aube d’un jour férié et d’une nuit de pleine lune était le moment de lancer ou de subir une attaque par surprise. Les assaillants ont eu le temps, jusqu’au lever du soleil, de faire ce qu’ils voulaient.

Je me souviens que le premier coup de feu que j’ai entendu a trouvé l’ennemi en cours de premier regroupement à Zmeilet Legtouta, à environ 3 kilomètres de la ville. J’ai vu le projectile tomber faisant un cratère de la dimension d’un plateau à thé. A ce niveau, aucun blessé, à ma connaissance tout au moins.

Mais on nous a dit que le commandant en chef était à Nouakchott. Je ne sais pas et je ne veux pas savoir de qui il s’agissait. Sa personne physique ne m’intéresse pas. Je ne parle de lui que « ès qualités ». Mais l’on peut jurer qu’il n’aurait pas pu choisir plus mauvais moment pour s’absenter de son poste de commandement. Aucune raison valable ne peut être mise sur la même balance que ce qui est arrivé à Zouérat. Je ne m’immisce pas dans les affaires d’une hiérarchie qui n’est pas la mienne.

Je ne fais pas de reproche à quelqu’un qui ne dépend pas de moi, mais le problème est suffisamment important pour que chaque mauritanien puisse donner son appréciation surtout, en l’occurrence, quelqu’un, qui comme moi, a subi dans sa chair, dans son esprit, dans sa famille, de sa carrière, dans sa santé, dans son équilibre psychique des dégâts irréparables et des séquelles irréversibles.

J’ai appris par des prisonniers mauritaniens qui m’ont rejoint en Algérie que le responsable de la région militaire était revenu à Zouérat dans la matinée, juste après le désastre. En ce moment là, les troupes ennemies commandées par Brahim Ghali et Eyoub prenaient thé et viande à l’ombre de Guelb Elghain. Ils m’ont fait amener près d’eux, poings liés, hagard, les yeux pleins de sable pour savourer le spectacle d’une personnalité mauritanienne ligotée à leurs pieds.

Quelqu’un, pris soudain, d’hystérie me frappa violemment jusqu’à « baraka, baraka » prononcé par l’un des chefs présents. Merci quand même ! A ce moment, j’ai entendu des bribes de satisfaction que je n’aurais jamais voulu entendre car elles faisaient l’apologie de compatriotes en rapport avec ce qui venait de se passer.

Mais la suite du voyage n’était pas plus agréable que le début et suivra peut être. Ce que vous venez de lire est aussi vrai que le jour et la nuit. Il ne sert à rien de le nier au cas où quelqu’un voudrait nourrir la polémique.

Mohamed Baba Fall
Et à bientôt, si possible, Inchaallah

Source : Zouerate.com



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