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04-05-2014

20:55

Liberté de la presse: «La Mauritanie ne peut plus faire marche arrière»

Le Courrier du Sahara - Pour le secrétaire général du Syndicat des Journalistes Mauritaniens, Ahmed Salem Ould Moctar Salem, le pouvoir mauritanien n’a pas d’autres choix que de consolider les libertés acquises de haute lutte par les professionnels des médias en Mauritanie.

Interview Classée en 60ème position dans le dernier baromètre mondial de la liberté de la presse établi par l’ONG Reporters sans frontières (RSF), la Mauritanie fait une percée remarquée de sept places et se rapproche un peu plus du Niger, 48ème (-5), toujours considéré en modèle dans la sous-région malgré l’arrestation de plusieurs journalistes fin janvier pour des propos critiques envers le président Issoufou.

En Mauritanie également, des journalistes sont parfois interpellés mais jamais détenus sur de longues périodes, la majorité des délits de presse ayant été dépénalisés en juillet 2011. L’espace audiovisuel a été libéralisé la même année, ouvrant la voie à la création de plusieurs radios et télévisions privées.

Une ouverture saluée par le ministre mauritanien de la Communication, Sidi Mohamed Ould Maham, dans un discours devant des représentants de la profession à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, samedi 3 mai. «Il suffit de voir le contenu de ces chaînes de télévision et de radio pour comprendre à quel point la liberté de la presse a progressé en Mauritanie», a-t-il déclaré, selon des propos rapportés par le journal en ligne mauritanien Al-Akhbar.

Une intervention contestée par plusieurs journalistes qui ont brandi des pancartes pour rappeler la précarité de leurs conditions de travail. Nombre d’entre eux survivent avec à peine l’équivalent d’un SMIG (75 euros) comme salaire mensuel, lorsqu’un contrat leur est proposé. Ce qui est loin d’être une généralité, même dans les médias publics. C'est l'un des sujets de préoccupation du Syndicat des Journalistes Mauritaniens et de son secrétaire général, Ahmed Salem Ould Moctar Salem.

Monsieur Salem, quel constat faites-vous de la situation économique des journalistes en Mauritanie?


Nous avons dit et répété que les acquis en matière de la liberté de la presse seront vains s’il y n’a pas une réponse favorable du gouvernement à certaines de nos revendications. Des augmentations de salaires de 50% en 2006 et de 10 % en 2010 ont été accordées dans les établissements de presse publics. Mais des journalistes en ont été privés.

"Faute de contrat, des dizaines de journalistes ne peuvent pas exiger le respect de leurs droits"

D’autres professionnels des médias évoluent dans ces entreprises publiques depuis des années sans aucune forme de contrat. Et lorsqu’ils sont renvoyés, ce qui est arrivé pour plusieurs dizaines d’entre eux, ils ne peuvent pas exiger le respect de leurs droits. Il faut également signaler que le gouvernement mauritanien a transformé les médias audiovisuels publics, la télévision et la radio, en sociétés anonymes mais sans signer les contrats exigés par ce changement de statut juridique et qui devaient notamment améliorer les conditions salariales des journalistes.

La Mauritanie occupe une honorable 60ème position dans le dernier classement établi par RSF. Est-ce à dire que la presse mauritanienne est vraiment libre?

Au sein du Syndicat des Journalistes Mauritaniens (SJM), nous considérons qu’il y a des acquis en ce qui concernent la liberté de la presse. Maintenant, il faut faire bon usage de ces acquis. Nous devons les préserver en consolidant le professionnalisme, le respect de l’éthique et de la déontologie.

Existe-t-il des manquements à ces valeurs?


Les exemples sont nombreux. Il y a par exemple beaucoup de journalistes et plein de sites électroniques qui n’hésitent pas à diffamer. Ils s’en prennent à la vie privée des individus. Ils ne font pas la distinction entre vie privée et vie publique. Le plus étonnant, c’est que certains arrivistes dans le métier peuvent en arriver à faire pression sur tel ou tel responsable pour défendre un intérêt personnel. Le danger est là. Nous craignons que cette liberté de la presse ne devienne une arme et qu’elle se retourne contre le journaliste.

L’Etat dit vouloir protéger la liberté de la presse. Pensez-vous qu’il s’agit d’un engagement sincère?

Le contexte international ne permet plus d’entrave à la liberté de la presse. L’Etat est obligé d’accompagner ce mouvement. Il ne peut plus faire marche arrière faute de quoi il sera balayé par le torrent de cette même liberté. Personne aujourd’hui n’a la possibilité de stopper la marche de la technologie qui constitue le socle de la liberté de la presse. A notre avis, l’Etat est sincère dans ses déclarations. Il l’a démontré par certaines de ses actions.

Certains journalistes se plaignent pourtant d’entrave à leur liberté.

C’est vrai que des journalistes ont été arrêtés alors qu’ils couvraient une conférence de presse du mouvement «Ahbab Rassoul», sous prétexte que ce mouvement n’a pas été autorisé. Une unité de la Garde nationale a également agressé et arrêté des journalistes qui couvraient une manifestation de travailleurs licenciés par la société Kinross (ndlr : société canadienne d'exploitation aurifère active sur le site de Tasiast, à 300 km au nord de Nouakchott).

"C'est vrai que des journalistes sont parfois arrêtés ou agressés"

La Garde a même effacé les images prises par les journalistes. Ce sont des exemples de violation de la liberté de la presse. Mais à chaque fois que nous entrons en contact avec les autorités concernées, elles se ressaisissent et finissent par nous présenter des excuses.

Un journaliste mauritanien employé par la télévision Skynews, Ishagh Ould Moctar, est retenu en otage en Syrie depuis le mois d’octobre 2013. Avez-vous des informations à son sujet?

Ihsagh est détenu en Syrie depuis plus de 6 mois. Aucun contact n'a pu être établi, ni avec sa famille, notamment sa mère, ni avec ses confrères. Nous ignorons tout de ses conditions de détention. Tout ce que nous savons c’est qu’il est détenu dans une zone où les affrontements sont très intenses. Nous demandons au gouvernement mauritanien et aux organismes internationaux de redoubler d’efforts afin de parvenir à sa libération.



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