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13-06-2014

14:54

Karim Miské : «Les Turcs sont pris dans une histoire coloniale qui n’est pas la leur»

Mauriweb - Dans un entretien exclusif accordé à Zaman France, l’écrivain et réalisateur franco-mauritanien, Karim Miské, nous parle de son dernier documentaire Juifs et Musulmans - Si loin, si proches rediffusé sur Arte à partir de samedi et de ses réflexions sur la question de l’identité.

Vous avez réalisé la série documentaire : «Juifs et musulmans - Si loin, si proches». Pourquoi avoir choisi ce titre? Les identités juive et musulmane sont à la fois proches et lointaines. Leur relation est vieille de 14 siècles.

Elles sont très imbriquées, du moins en ce qui concerne les juifs séfarades. La cohabitation dans un pays entre juifs et musulmans peut se faire de façon harmonieuse, les exemples en sont nombreux dans l'histoire, mais de nos jours ce n'est pas le cas en général.

Aujourd'hui, les juifs et les musulmans sont en contact au quotidien dans les pays occidentaux. Ce n’est pas un hasard si l’idée de ce film est née en France. Les plus grandes communautés juive et musulmane en Europe sont en France. Or leur relation est plutôt mauvaise. On a beaucoup parlé de l’importation du conflit israélo-palestinien.

Cela correspond à une réalité. Mais dans les 14 siècles de leur relation, les choses ne se sont pas toujours mal passées. Où se situe la Turquie dans ces 14 siècles d’histoire ? Dans l’épisode 2 du documentaire, on parle beaucoup de l’empire ottoman qui a joué un rôle très important dans cette histoire, notamment en accueillant les juifs qui étaient expulsés d’Espagne, et qui sont allés en très grand nombre à Istanbul et à Salonique, une grande ville de l’Empire ottoman à l’époque.

Il y a l’histoire du messie Sabbataï Tsevi, qui a conduit à la conversion de milliers de juifs à l’islam, ce sont les «dönme». On raconte aussi l’époque des Tanzimat (réformes) de l’Empire ottoman à partir de 1839.

En 1856, le statut de dhimmi a été aboli dans l’empire ottoman, avec la volonté pour les dirigeants de créer une citoyenneté ottomane égale pour tous et de ne pas faire de hiérarchie entre les citoyens. Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser ce documentaire ? Le producteur m'avait proposé ce sujet et ça m’intéressait.

J'ai réalisé « Musulmans de France » et j’ai aussi écrit des tribunes sur ces sujets, qui sont liés à mon histoire. Je suis moitié mauritanien et moitié français, j’ai grandi en France. Je me suis toujours interrogé sur ces questions d’identité, comment dépasser ces appartenances… qui peuvent être aussi un enfermement ? C’est compliqué, on a tous besoin d’avoir une identité et en même temps, les identités commencent à se définir comme contre telle ou telle autre identité.

Votre roman «Arab Jazz» poursuit d'ailleurs cette réflexion sur l'identité... Tous les personnages d’« Arab Jazz » sont traversés par des problématiques identitaires. On trouve un peu tous les types de personnage et chacun d'eux a une histoire assez fortement marquée. Le personnage principal, Ahmed, vit avec ça. Il a d’autres problèmes aussi, très personnels, liés à la folie de sa mère.

Les problématiques identitaires ne doivent pas faire oublier qu’on a aussi des problèmes en tant qu’individu et qui sont les mêmes que tout le monde. Quand on a un membre de la famille en hôpital psychiatrique, on peut être musulman, juif ou athée, la problématique est la même. On est confronté à quelque chose de très douloureux. Comment percevez-vous la situation des Turcs de France ?

Pour les Turcs de France, le problème qui se pose est plus compliqué que pour les Maghrébins par exemple. La Turquie est un pays qui n’a pas été colonisé, c’était plutôt un pays colonisateur. Mais en France, les Turcs se retrouvent pris dans une histoire coloniale qui n’est pas la leur : l’histoire coloniale des Maghrébins ou des Africains de l’ouest ou du centre. Les populations musulmanes postcoloniales savent toutes très bien pourquoi elles sont ici. La France les a colonisés, et après, c'était là-bas qu'il était plus simple d’aller.

Pour les Turcs de France, la situation est différente, assez intéressante à observer. Comment se construire entre la Turquie, la France et son histoire bizarre avec l’Afrique du Nord ? Sachant en plus qu’en Algérie, la France avait succédé à l’Empire ottoman, ça rajoute encore une couche de complexité.

Dans mon précédent documentaire, «Musulmans de France», je n’ai pas réussi à intégrer les Turcs. Parce que, finalement, je me suis rendu compte que c’était d’abord une histoire coloniale et post-coloniale. Toutes les autres communautés musulmanes se sont retrouvées prises dans cette relation et personne n’arrive à en sortir complètement.

Zaman France



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