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25-09-2014

10:54

Abderrahmane Sissako: "Il faut aller à la recherche de ces gens pour les conduire vers plus lumineux"

Le Quotidien de Nouakchott - Timbuktu, film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, traite de l’occupation du nord Mali par les djihadiste. Il a été projeté en avant premier à Nouakchott dimanche 21 septembre.

Les projections continuent dans d’autres endroits de la capitale. Timbuktu a été choisi par la Mauritanie pour la catégorie « Meilleur film étranger » aux Oscars. Quelles sont les chances de ce film ?

Sous quel angle le terrorisme est traité par Sissako ? Quel impact le film peut avoir sur les jeunes du monde musulman ? Pour avoir des réponses à ces questions, nous avons rencontré le réalisateur mauritanien.

QDN : Il y a eu d’autres films sur le terrorisme. Qu’est ce que Timbuktu apporte de nouveau ?

AS : Il appartient à ceux qui regardent le film de faire ressortir sa spécificité. Il n’est pas très aisé de parler de son propre film. Ce qui s’est passé à Timbuktu a été un traumatisme, pas seulement pour les gens du Sahel. Cette ville est un symbole de tolérance, de culture avec les grandes universités du 13 eme siècle…Timbuktu, c’est une façon de vivre, un esprit. Quand cette manière de vivre est attaquée, que l’on vienne de Tmbuktu ou pas, du Sahel ou pas, on se sent concerné. Le film, au-delà de la question du terrorisme, montre une population sous le choc d’une vision contraire à ses traditions, a sa culture…

QDN : Le terrorisme apparaît à travers les attentas, les prises d’otage…ces aspects ne sont guère visibles dans votre film ?

AS : Oui, mon objectif n’était pas de parler du terrorisme. Mon objectif était de montrer une imposition d’une vision du monde, une occupation dont les auteurs sont venus d’ailleurs. C’est ce traumatisme que j’ai voulu montrer, un traumatisme très profond chez les gens de Timbuktu. Il en a très peu été question. On parle souvent du terrorisme quand des gens sont pris en otage parce qu’ils sont européens ou autres. On oublie que les premières victimes sont les populations dont on parle peu, très peu. Pour moi, cet aspect était beaucoup plus important que l’action terroriste elle-même.

QDN : Au sortir du film, on se dit que « les premières victimes du fondamentalisme djihadiste, ce sont les musulmans, eux-mêmes… »

AS : Absolument, c’est ce que le film raconte aussi. C’est d’abord l’Islam qui est pris en otage depuis un certain temps. C’est une situation terrible pour moi en tant que musulman. Et, en tant qu’artiste, je ne veux pas que la vision de cette religion soit seulement celle qui est véhiculée dans les sociétés occidentales. La référence pour ce sociétés, c’est le 11 septembre, les attentas, ceux qui égorgent des gens au nom de l’Islam. Des personnes qui se sont approprié l’Islam pour commettre des crimes barbares et inacceptables.

QDN : En Mauritanie et dans le monde musulman en général, il y a une certaine opinion, une certaine jeunesse qui a de la sympathie pour les Djihadistes. Le film Timbuktu ne bouscule-t-il pas cette sympathie ?

AS : Je l’espère. De toutes les façons, les sympathies, il y en a partout. Il y a eu des sympathisants des brigades rouges en Italie. Tous les extrêmes ont leurs sympathisants. Des gens désespérés qui tombent de ce coté. Des gens qui, a un moment, ont basculé faute d’écoute. Et, ceux qui basculent ainsi sont nos frères, parfois nos sœurs, nos voisins. Il ne faut donc pas créer cette sorte de frontière terrible qui fait du djihadiste le monstre dont il faut à tout prix couper la tête. Leurs actes sont barbares, inhumains. Des jeunes de 20 ans vont de ce coté car il y a un horizon complètement bouché. Il faut aller à la recherche de ces gens pour les conduire vers plus lumineux.

QDN : Il y a dans le film une sorte de révolte de ces gens ordinaires assiégés. La fille, au moment où elle recevait les coups de fouet pour avoir chanté, a donné de la voix, elle a repris la chanson…

AS : Bien sur, c’est une forme de révolte. On ne peut pas dire aux gens que c’est interdit de chanter. Ils chanteront toujours dans leurs têtes. Pour moi, cette fille qui continue de chanter sous les coups de fouets, se bat. C’est la résistance. Ce sont ces nombreux résistants qui ont libéré Timbuktu, ce n’est pas seulement les armes.

QDN : Timbuktu a été choisi par la Mauritanie pour les Oscars…

AS : C’est important pour tout cinéaste de donner de la visibilité à son film. Les festivals de Cannes, de Londres… donnent de la visibilité. Mais les Oscars, c’est important, c’est mondialement connus avec une sélections extrêmement rigoureuse. Timbuktu a été choisi par la Mauritanie et nous pouvons prétendre à une nomination pour les oscars. Je pense que le film a vraiment ses chances car il s’inscrit dans une problématique très importante aujourd’hui.

Propos recueillis par Khalilou Diagana



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