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01-10-2014

16:16

Le discours d'investiture : Entre l'apparent et le non-dit [Deuxième Partie]

Ethmane Ould Bidiel - Qu’est-ce qui exacerbe le radicalisme ? Est-ce le sentiment d’injustice que ressentent les Haratines ou le favoritisme dont jouissent les maîtres et les anciens maîtres creusant vertigineusement le fossé des disparités ? Ou c’est plutôt l’absence de collaboration et de sérieux de la part d’un l’Etat-oligarchique l’instrumentalisation politique ?

Il n’est pas surprenant que nous assistions aujourd’hui à la recrudescence du sentiment d’injustice et du favoritisme qu’attisent l’absence d’équité dans l’emploi, la répartition des postes de responsabilité et des ressources nationales. Aujourd’hui, l’approfondissement des disparités sociales, économiques et même politique sur la base de droit de la naissance et de la couleur favorise l’intolérance et la montée fulgurante du radicalisme et de l’extrémisme, perpétuant le mal sous la chape de plomb d’un ordre empreint d’archaïsmes et d’inaptitude à l’autocritique.

En effet, les premiers soubresauts du radicalisme se sont fait sentir avec le Front Uni de l’Action des Haratines (FUAH) créé dans la première moitié de 2008. C’est lui l’auteur du manifeste « Bilan : 50 ans de marginalisation et d’exclusion systématique des Haratines», dont les renseignements de l’Etat incapables de découvrir l’identité des rédacteurs, accuseront insidieusement un bureau d’Etude israélien d’être le concepteur.

FUAH est une réaction de colère contre l’acharnement dont les esclaves victimes dont la récurrence des heurts opposant, à l’époque, esclaves et anciens esclaves (Haratines), d’un côté, et la féodalité traditionnelle (Beydhane) jouissant du soutien tacite des organes du pouvoir, de l’autre, ne sont des preuves irréfutables.

Tous les accrocs, qui se sont produits, à l’époque, ont eu lieu sur fonds de démêlés ou conflits fonciers. Les cas des tirs à feu Demabt el Atchan, de bagarres rangées à Guerou et de Bareïna, etc. entre maîtres d’esclaves et les esclaves, ou bien la casse de Nouadhibou (en mois de ramadan), à la suite du lynchage d’un boucher Haratine par un groupe de Bidhanes, levant le voile sur l’implication odieuse et partisane des pouvoirs publics (administration, police, garde gendarmerie et justice), provoquent la lire collective des esclaves et anciens esclaves (Haratines) dans et hors le pays.

A cela s’ajoute le traitement inconsidéré réservé à la question d’esclavage par le régime de Sidi Mohamed, à la suite de promulgation de la loi de criminalisation et de condamnation des pratiques d’asservissement en l’absence des mesures d’accompagnement requises. En effet, l’incompréhension et le choc produits étaient sans appel.

Le lancement officiel de la campagne de sensibilisation sur la loi donné à partir d’un lieu peu auguste et boycotté par le symbole historique de combat abolitionniste, le leader Messaoud Ould Boulkheïr, est la goutte qui a fait déborder le vase. Plus qu’une insulte, ces comportements ne pouvaient résulter, selon FUAH que d’une volonté officielle de l’Etat de banaliser les crimes et de se désengager de ses promesses d’œuvrer pour leur éradication.

Après la chute de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi rien n’a changé. Le même mépris, les mêmes machinations, la même et constante exclusion sociale, économique et politique des Haratines sur la base de l’origine et de la classe sociale.

Faisant preuve d’incapacité de tirer les enseignements nécessaires des régimes antérieures, on a assisté depuis le coup d’Etat du08 Août de recrudescence des revendications des esclaves et anciens esclaves (Haratines), de plus en plus endurcies par les mouvements de contestation aux discours corsés, à la faveur du népotisme, du racisme, du clientélisme politique, du tribalisme et de l’exclusion rampants.

C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’acte de l’autodafé de quelques livres de point de vue religieux, dont le niveau d’adhésion manifesté à son égard par certains et l’élan de compréhension qui a été exprimé par d’autres, appartenant dans l’ensemble à des populations discriminées et opprimées, sont largement révélateurs. Cela dénote une déception générale favorisée par l’obstruction totale et réelle d’horizon.

L’hégémonie du système traditionnel contribuant, le problème de Limalmine ou forgerons, victimes eux aussi d’une discrimination vieille de plusieurs siècles n’a pu être étouffé, malgré les prétentions subversives Beïdanes d’identité de couleur et de culture.

Bien que condamné par principe, l’écrit blasphématoire de Ould Mkheïtir replace de la marginalisation et du mépris des castes au bas de l’échelle sociale au cœur du débat. Le voile dissimulant l’instrumentalisation, l’exploitation de l’imaginaire et la mémoire collective arabo-berbère dans tout ce qu’il y a d’affabulation mythologique est complètement levé, mettant à nu la classification des mauritaniens.

La prolifération à un rythme effréné des mouvements et des initiatives tout comme la répétition des actes inédits en réaction à la survivance des préjudices, est une preuve réelle et indéniable sur la montée fulgurante du radicalisme, lequel prépare le terrain pour l’émergence d’un extrémise embuant, si des mesures préventives ne sont pas prises à temps afin de contrer les dangers.

C’est vrai que, selon certains, que j’ose d’ailleurs qualifier de minoritaires, les raisons d’exaspération et partant de pessimisme vis-à-vis de la situation sociale nationale peuvent paraître aujourd’hui moins nettes. Et pourtant les signes ne trompent pas.

Les choses se détérioreront davantage, en l’absence d’un débat national sérieux sur l’avenir de la coexistence pacifique et le respect des différences. De ce fait, il devient plus que jamais urgent que l’on saisisse tous ensemble le sens du projet de nation et que l’on se mobilise pour faire de son accomplissement une priorité ; sinon il faut s’attendre à l’accumulation des frustrations, consécutives aux affres d’un système atavique discriminatoire à inscrire dans la logique d’une bombe à retardement qu’on appelle injustice et dont l’histoire nous enseigne qu’elle explose toujours de manière inopinée et sans crier garde.

En voulant négliger ou banaliser les risques de calque des attributions sclérosés ou encore se réfugier dans une fuite en avant par le recours à l’usure du temps, le pouvoir n’en fera qu’à sa tête. Car on sait bien que le parrainage des injustices et le protectionnisme communautariste ont toujours précipité la chute des Etats. En conséquence tout entretien et toute perpétuation de l’hégémonie de la race à travers la caporalisation des organes étatiques et de l’instrumentalisation idéologique pour faire main basse sur le pays tout entier seraient fatals.

La promesse d’affronter fermement « les visées racistes, communautaristes, particularistes et tribales », constitue-elle une reconnaissance implicite des réalités longtemps occultées ou un serment de menace visant les défenseurs de la justice de l’égalité, Excellence Monsieur le Président ?

Nous nous rappelons que le président Ould Abdel Aziz a promis, dans son discours d’investiture, de faire face, dit-il, aux défenseurs « des visées racistes, communautaristes, et tribalistes ». Néanmoins on peut se demander, à juste titre, sur les raisons et les motivations réelles d’un tel engagement qui n’est du goût que des forces réactionnaires.

Ces allégations s’inscrivent en faux avec toutes celles, qui jusqu’ici exprimées, refusent tout esprit de compromis ou de compromission quant à reconnaître l’existence affective de l’esclavage, de l’exclusion, de la marginalisation, du particularisme et du tribalisme. Le passif humanitaire, lui aussi, longtemps tabou allait subir un sort pareil n’eût été l’obstination de la communauté internationale faisant suspendre la menace des juridictions internationales sur la tête des différents régimes comme une épée de Damoclès.

Malgré cela, et en dépit des prétentions du pouvoir qui se targuent d’avoir complètement clos le dossier du passif humanitaire, beaucoup de rescapés des années de braise et les parents des disparus, considèrent que le problème reste entier, refusant l’indemnisation et exigeant la publication de la cartographie des sépulcres tout comme l’abrogation de la loi d’amnistie des ethnocidaires, leur poursuite judiciaire et leur sanction.

A cela s’ajoute le refus par de bon nombre de déportés de revenir au pays ; le ras-le-bol des rapatriés du non recouvrement de la plénitude de leurs biens et droits dont l’accès à l’Etat civil, leurs fonctions et leurs pensions en ce qui concerne les fonctionnaires du privé ou du public.

Comment peut-on après tout rejeter d’un revers de main ces arguments sans équivoque et prétendre que tout cela n’est que du faux et usage de faux ? Quoique l’on dise, ces injustices évoquées tout le long de l’article ne sont pas l’œuvre de manipulateurs mordus de jalousie viscérale ni encore le produit d’imagination de sycophantes au service du sioniste international comme ont tendance à l’insinuer certains politiciens véreux.

C’est vrai les Mauritaniens d’aujourd’hui sont sans repères ni sans critères de référence. L’homme est évalué selon son origine sociale et sa classe sociale. Et cela fragilise le pays, compromet son avenir et l’expose aux horribles cauchemars. Temps que l’on continue à opposer un non de recevoir aux appels de revendications légitimes, le risque de désintégration demeurera bien réel voire imminent, n’en déplaise au pouvoir qui feint ne point appréhender l’ampleur des défis gravissimes.

Nous nous demandons, en outre, pourquoi le Président a-t-il attendu ce moment spécialement pour reconnaître l’existence des menaces qui pèsent sur le pays ? Les premières décisions du premier gouvernement de ce deuxième mandat s’inscrivent en faux avec toute volonté de combattre les prétendues « visées racistes, communautaristes, particularistes et tribalistes ».

Qu’il n’y ait sur 27 Ministres que 4 Haratines et 7 Négro-africains contre 16 Bidhanes prouve l’absence de sincérité et de sérieux dont Ould Abdel Aziz fait montre. C’est dire que ces déclarations sont un alibi et manœuvre dilatoire pour justifier le bâillonnement voire l’accablement et la brimade des défenseurs que n’ont jamais épargnés les critiques des régimes.

C’est dans ce cadre que nous notons la récurrence, ces derniers jours, d’actes de restriction des libertés collectives, qui ont frappé entre autres le FLAM et la CLTM, suite à une stigmatisation au demeurant inique et ubuesque. Le déséquilibre structurel est là, toujours entretenu par la logique du déni et des faux-fuyants sur fonds de jeu de mots aux relents de slogans vaseux faisant autorité à l’instar du « Président des pauvres », la « la lutte contre les prévaricateurs » et « le renouvellement de la classe politique ».

Au niveau national, le premier mandat de Mohamed Ould Abdel Aziz s’est caractérisé par des heurts violents sans précédents entre les forces de l’ordre et les abolitionnistes, qui ont valu à ces derniers une campagne de diabolisation rébarbative, du fait de l’instrumentalisation des organes de presse.

Le cas de M’Barka Min Essatine, celui des frères Saïd et Yarg, l’incident d’Aïn Farb – Aïuon, le dossier de Ould Eveyjah, surtout l’incident d’Arafat, le 13 Décembre, communément connu sous le nom de l’affaire de Mint Bacar Vall, pour ne citer que ceux-là, sont autant d’événements ayant mis à nu la politique partisane et inique du pouvoir oligarchique en place dont les militants et les sympathisants des droits Humains ont fait le frais.

Le pouvoir manipulait la justice et atermoyait les verdicts à travers les poursuites extrajudiciaires et des parodies de justice sanctionnées par l’incarcération des anti-esclavagistes dont certains croupissent aujourd’hui dans les geôles pour avoir osé exprimer leur solidarité et leur soutien envers les opprimés.

Le dit « Manifeste Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines » lancé en 2013 est venu rééditer le Manifeste du Front Uni pour l’Action des Haratines de 2008. C’est en soi une reconnaissance de la légitimité et de la légalité du combat anti-esclavagiste.

Par leur mobilisation, ses auteurs, naguère divisés entre contestataires de la pertinence de la cause et accusateurs de ses leaders historiques d’être les ennemis de l’unité et de la cohésion, participent aujourd’hui à l’affaiblissement au renforcent de l’isolement du pouvoir.

Certes, il n’y a pas longtemps, une feuille de route de 29 recommandations a été élaborée par la société civile avant d’être amendée et adoptée par les Nations Unies, ce qui aurait dû être un tournant. Mais l’absence de véritable volonté officielle des autorités publiques et l’exclusion totale de l’ensemble des forces politiques dans l’effort visant à l’éradication du phénomène constitue une entrave.

D’autre part, je pensais qu’au lieu de s’engager dans une polémique byzantine, passant aux travers de l’essentiel et versant dans les contrevérités, les fulminations et le cynisme, il aurait été plus correct et plus judicieux que le président se demande –si jamais il aurait raison – pourquoi un semblant de communautarisme est parvenu à s’insinuer dans le tissu social, gangrenant les esprits et altérant des causes aussi nobles que l’abolitionnisme, l’antiracisme, les aspirations légitimes aux principes de justice et d’égalité !

Son Excellence devrait également s’interroger pourquoi ce sont aujourd’hui les descendants des segments assujettis de la société qui sont les seuls à assumer la responsabilité de défendre les opprimés, comme si l’esclavage et ses séquelles sont de l’exclusivité des Haratines, la stigmatisation du ressort des forgerons et le passif humanitaire la propriété des négro-africains seuls ?

Ne devait-il pas se demander pourquoi nos frères Beydhanes ne s’engagent pas aux côtés du reste de leurs concitoyens victimes des préjudices historiques que dans de rares cas et juste des bouts des lèvres ? Et quand ils devaient parler des souffrances de ces congénères c’est « soit pour justifier celles-ci, soit pour dire qu’ils comprennent les raisons de leur perpétuation, ou encore ils s’ériger en spectateur voyant le feu venir sans qu’il ne daigne réagir » comme l’a décrit El Hadi Ould Mohamed El Moctar Nahoui dans un article publié le 06 Juillet passé ?

Il est évident que cette attitude de total désintéressement aux relents de mépris constitue une atteinte grave aux valeurs morales et spirituelles dont d’aucuns aiment tant se gargariser ? Elle est inhérente à un souci inavoué de préservation d’avantages indus dont les pouvoirs économiques et politiques sur lesquels certains ont fait main basse.

Il est temps que le président sache que les Mauritaniens ont besoin d’entendre la vérité et non la cacophonie des voix reniant à tous vents leurs souffrances et, encore moins, l’insinuation des menaces qui ne serviront qu’à davantage de jusqu’au-boutisme, de radicalisme et d’extrémisme. Osons franchir le rubicond et nommons les maux sans recourir aux métaphores et autres prétéritions.

L’existence des violations des droits les plus horribles et les plus abjects, entre autres l’esclavage, est sans équivoque. C’est d’ailleurs sans surprise que la Mauritanie est considérée par les Nations Unies comme le plus grand pays esclavagistes. Une telles image ne saurait être effacée d’un coup de balai ni l’entretien des illusions.

Monsieur le président, on aura beau vociférer, jamais on n’arrêtera la marche du changement. L’expérience a toujours prouvé que l’échec des projets sociétaux fondés sur l’iniquité et l’inégalité est sans appel et irréversible.

La Mauritanie n’est pas une exception. Ses opprimés n’ont absolument rien à perdre. L’obstination dans la dénégation des faits et la témérité sans jamais rectifier le tir peuvent retarder l’explosion, mais elles ne l’empêcheront jamais.

Sachons, Monsieur le président, qu’il est encore temps de changer. Mais pour cela il faudra corriger et le discours et le parcours. Et si jamais, n’en plaise à Dieu, la situation ne change pas, c’est à vous qu’incombera la responsabilité pour avoir fait rater aux Mauritaniens l’occasion de se réconcilier. Alors posons des actes fort constructifs.

Que Dieu protège la Mauritanie!!

Ethmane Ould Bidiel
Professeur



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