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03-10-2014

12:51

Mokhtar Ould Saleck : Conversation avec un amoureux de l’Azawan… Et un négationniste

Mozaïkrim - En préparant un élément sur l’Azawan que j’ai récemment découvert, et sur lequel un article détaillé me semblait important, je me renseigne sur d’éventuels «spécialistes» que je pourrais interroger sur la question. Une amie me propose le nom de ce monsieur qu’une amie en commun lui évoque.

Rendez-vous est pris pour discuter de l’Azawan. Et là, rencontre avec un monsieur jovial et sympathique au demeurant, mais avec un sens de l’histoire et de l’origine du peuplement de la Mauritanie assez… original et exclusif.

Originaire de Néma, Mokhtar Ould Saleck fait partie des officiers qui ont perpétré le coup d’état du 10 juillet (1978-ndlr). Pour des raisons politiques, il aurait été «rapidement congédié de l’armée». Jamais réintégré dans le corps armé, il a approfondi son amour de l’Azawan maure… Et en a profité pour refaire l’histoire de ce genre musical, et partant, du peuplement du pays. Entretien.

Quelle est l’origine de l’Azawan? Les historiens et même les musiciens maures parlent de racines et de métissage avec la musique noire africaine…

Deux éléments fondent l’existence de l’Azawan : d’abord la «peuplade» qui s’appelle les «Sen Hajjen» (comprenez berbères; terme qu’il refuse d’utiliser tout le long de l’entretien – ndlr) était là au 6ème siècle avant Jésus Christ, et cohabitait avec les «peuplades noires».

Les Sen Hajjen avaient la musqiue, et je précise le fait que cette période est très avare de références, de témoignages, mais on sait quand même qu’ils avaient la musique (sic).

En 1050, Abdallahi Ben Yacine, grand chef Sen Hajjen, après la bataille de Sisi Macen, donne ordre de détruire les instruments musicaux. Ce qui nous prouve qu’il y avait des instruments musicaux à l’époque. J’ai dans les mains la lettre de Mohamed Ould Ali, un notable de Leymtouna, qui a écrit à un de ses amis, une lettre du Tekrour.

Il y évoque la situation sociale dans ce pays et insiste sur l’existence «d’équipes musicales». C’était en 1443. Dès cette époque les San Hajja étaient là et avaient leur musique.

Rien à voir à vos yeux avec l’appropriation d’us et coutumes des populations noires du Tekrour, cohabitant avec les berbères, que vous nommez San Hajjen ?

A partir du 14ème siècle les Beni Hassen ont commencé à venir de l’Arabie, et arrivaient avec leur Oüd, leur musique, déjà présents en Andalousie.

Sur place, une confrontation évidente a suivi avec les San Hajja. Mais après quelques années, et une situation maîtrisée, les deux communautés connaissent une entente complète. C’est de cette cohésion, et de cette imbrication, qu’il y a la naissance de la musique maure, ainsi que ses us et coutumes, et la langue Hassanya.

Tous les instruments de la culture maure découle de l’évolution naturelle de la nouvelle socio-culture créée par la fusion des Beni Hassen et des San Hajja. La musique maure ne découle donc pas de la musique noire, notamment mandingue ou bambara.

Évidemment, les originaux nous échappent toujours, et on ne sait pas qui s’est inspiré de qui ! (sic) A partir du 17ème siècle, les choses ont commencé à être plus enregistrées : on connaissait les grands chefs pour lesquels des odes ont été composées, les noms des artistes qui les ont composées etc.

Mais vous niez totalement l’apport de la musique noire, reconnu de tous, mêmes des musiciens maures… Vous me donnez l’occasion de parler de nos concitoyens noirs.

D’abord sur le plan historique, ces gens noirs qui sont là en Mauritanie, la plupart ne sont pas d’origine noire, et africaine (!). Parce qu’avant l’ère chrétienne, une peuplade est arrivée dans cette aire géographique après être passée par le détroit du Sinaï. C’est cette peuplade qui a fondé l’empire du Ghana par la suite. Il s’agit essentiellement des Malinkés, des Sarakoulé, des Bambaras.

En vivant avec d’autres éléments noirs africains qu’ils ont trouvé ici, ils se sont métissés, et sont devenus noirs. Le cas des Halpulaars est encore plus récent : selon certains historiens, ils seraient d’origine San Hajja. Le métissage faisant, ils sont devenus noirs.

Du point de vue musical, ce que nous avons comme musique ici, n’existe pas dans les autres pays limitrophes noirs. Il y a des cultures noires qui ont leurs instruments musicaux plus ou moins proches de ceux des maures, mais ce sont eux qui l’ont pris des éléments arabes qui vivaient à côté d’eux.

Si le Tidinit était d’origine noire, on l’aurait trouvé dans les Grands Lacs, en Afrique centrale, près de l’Equateur, mais il n’existe que de ce côté-ci de l’Afrique.

Pour moi donc, les noirs de ce côté de l’Afrique ne sont pas des noirs, mais des «noirs d’autre chose».

Mais le Tidinit n’existe pas au Maghreb non plus…

Le Oûd est une évolution du tidinit…

Les chants griots non plus n’existent pas…

Oui mais justement, ils sont spécifiques comme je vous disais, à la rencontre des Ben Hassen et des San Hajja! Mais regardez-vous vous-même: à part la couleur, vous n’avez aucune ressemblance avec les gens des Grands Lacs, du Ghana, ou que sais-je ?! Seule la couleur de peau vous unit à ces gens-là. Donc les pays limitrophes à la Mauritanie qui ont des instruments ressemblant au Tidinit, l’ont pris des maures.

On ne parle pas des Grands Lacs. On parle de la Mauritanie et des reliquats de l’empire du Ghana, du Tekrour et de l’empire Mandingue. Et puis en allant au Kenya, j’ai vu des Massaï me ressemblant, ou au Cameroun… De même un tunisien ou un algérien kabyle, l’un et l’autre pouvant être blond aux yeux bleus, n’a rien physiquement à voir avec un beydane de Boutilimit il me semble, mais vous vous prétendez culturellement proche d’eux…

Dans ces pays du Maghreb, un autre métissage a joué, plus occidental… (sic)

Quels sont les thèmes les plus récurrents dans l’Azawan ?

On peut tout chanter dans l’Azawan! Ça peut être littéraire, élégiaque, comique même, historique etc…

Quelqu’un qui veut découvrir l’Azawan, quels artistes lui conseilleriez-vous ?

D’abord, je dirais à cette personne de chercher à bien comprendre le Hassanya. Car sans cette compréhension linguistique, il est difficile de saisir les subtilités textuelles qui peuvent s’y nicher. Ensuite, il faut être né dans une famille de griots, ou formé dans une grande famille entourée de griots vivant avec elle, comme cela a été mon cas depuis l’enfance.

Comment êtes-vous arrivé à cette passion ?

Dans notre famille, l’individu, à partir de 7 ans, il prend son «lhûr» (ardoise coranique-ndlr) pour étudier le Coran, on lui apprend à tirer, l’usage des armes à feu, et dans le même temps, on le familiarise avec les subtilités de la musique. A 12-13 ans je connaissais les arcanes de l’Azawan, et au fur et à mesure de mes rencontres avec de nouveaux griots, cette passion durcissait encore plus.

Il y a des musiques «modernes» qui vous marquent aujourd’hui ?

(Il fait une moue) Non… Ce qui se passe actuellement, on ne peut pas appeler ça de la musique.

Et les artistes locaux qui commencent à s’exporter, à moderniser la musique maure justement, certains vous plaisent ?

Non. Ça n’a rien à voir avec de la musique traditionnelle mauritanienne. Ce n’est pas le même ton, ce n’est pas le même entrain. C’est bien pour les gens qui n’ont jamais connu la musique, qui ne connaissent que cette nouvelle vague, et qui croient que c’est de la musique. L’élément essentiel de notre musique c’est le tidinit. Et n’importe qui ne peut pas y jouer.

Ça ne peut pas être plus difficile qu’un autre genre…

La musique maure est extrêmement vaste! C’est peut-être la plus complexe du monde : dans la plupart des pays du monde, les gens jouent dans deux ou trois voix. Avec le tidinit, il y a 25 voix, chacune indépendante de l’autre, avec ses propres compositions ! Mais un seul monsieur y joue ! Vous saisissez peut-être l’ampleur du doigté que cela exige…

Propos recueillis par Mamoudou Lamine Kane

Lire sur le sujet -- Malouma : "Il n'y a rien d'arabe dans la musique mauritanienne!"

Voici le lien: http://www.lecourrierdusahara.com/index.php/alaune/1401-la-diva-mauritanienne-malouma-lil-ny-a-rien-darabe-dans-la-musique-mauritanienner.html



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