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07-10-2014

23:15

Azawan : Historique d'une musique métissée [Vidéo]

Mozaïkrim - Les avis d'experts de deux spécialistes de la musique maure, particulièrement de l'Azawan : le poète Mohamed Ahmed Ould Meiddah, et le mauritanophile, Michel Guignard. Les deux insistent sur le caractère profondément métissé de l'Azawan, qui a fondu son caractère tout de même unique, dans le creuset de plusieurs cultures et origines.

Dans une intervention au festival de Ouadane cette année, l'érudit et mauritanophile investi, Michel Guignard, évoquait les spécificités techniques, et la valeur universelle de l'Azawan. Tout en rappelant ses origines fondamentalement métissées :

«Dans le Hodh, les emprunts musicaux aux griots du Mande, bambara et soninke sont avérés, et il a pu en être de même au Trarza où l’ancêtre de la famille des Ahel Maydah est un Peul. La tidînît est un luth identique aux ngoni et autres hoddou de la région et fort différent du ‘oud arabe. Il n’est pas exclu non plus qu’il y ait aussi eu des emprunts aux musiques populaires locales, notamment celle des Hassan dont nous ne savons rien. Comme beaucoup de musiques savantes, les iggâwen ont donc exploité et remanié les sources diverses qui étaient à leur disposition, en l’occurrence, berbère, soudanaises et arabe- bédouine».

Un des descendants de la famille Ahel Maydah, Mohamed Ould Ahmed Meiddah, poète et spécialiste de la musique maure, reconnaît lui aussi un tel apport mutuel :

«La musique maure est éminente de la société qui l'a enfantée : une société pétrie par le brassage arabo-négro-africain et que chaque partie y a laissé des empreintes indélébiles. Au départ, les arabes venus de la péninsule, les Béni Hilal et Béni Souleim, sont certes arrivés dans ces contrées avec leur musique et leur expression poétique. C'est un fait indéniable mais est aussi indéniable le fait qu'ils ont trouvé devant eux des populations négro-africaines et berbères qui avaient elles aussi leur façon de se divertir, c'est-à-dire leur musique.

Vivant sur le même espace géographique, et au fil du temps, ces deux (ou trois ou plusieurs) expressions musicales ont largement eu le temps de se rapprocher les unes des autres, et de s'influencer mutuellement. Et de là, la musique maure a tiré son originalité : Elle a des fondements arabes purs et des influences noires vieilles comme le temps. Dire alors qu'elle est exclusivement ceci ou cela est un peu hasardeux...»
argumente Ould Ahmed Meiddah.

«La société noire-africaine s'y trouve surtout à travers les instruments et beaucoup d'autres apports liés au contenu... On ne peut pas cependant nier le caractère universellement humain de la musique, et soutenir que les conquérants arabes ont parcouru des milliers de kilomètres avant de découvrir qu'ils ont une musique sur leur terre d'accueil... C'est impensable ! Ceci est valable pour la poésie, les mœurs, l'habillement, etc. Partout où il y a deux cultures qui vivent en symbiose, il y a obligatoirement une interpénétration ou au moins des influences croisées» conclut le poète.

Une musique complexe et de puissants

«L’Azâwân fait partie de la grande famille des musiques modales que l’on rencontre du Maroc au Vietnam. Ces musiques utilisent des échelles modales (sellem musica), qui visent à créer un état émotif particulier (ethos) chez l’auditeur. En pays maure, sous l’influence probable d’érudits férus de culture arabo-islamique savante, les iggâwen ont conçu un système modal complexe et original qui comporte cinq modes (dhûr) de base et de nombreux sous-modes. Ces érudits ont aussi joué un rôle dans l’adoption de la poésies arabe classique, dans les beit» explique à Ouadane, Michel Guignard, qui a également publié un sujet de thèse sur le sujet.

«L’originalité de l’Azâwân apparaît encore dans l’usage de l’ârdîn, une harpe dont je n’ai trouvé l’équivalent nulle part ailleurs. Il est joué par les femmes alors que dans les monde arabe et soudanais, les femmes ne jouent pas d’instruments à cordes, sauf chez les Touaregs. Cette dernière remarque nous oriente vers une influence de la culture musicale znagîya à l’origine de l’Azâwân.

Cette hypothèse est renforcée par le fait que le vocabulaire de base de la musique est entièrement berbère. Le témoignage d’el Lemtuni va dans le même sens : au début du 16 ème siècle, certaines femmes du Tekrour jouaient des instruments de musique et il existait auprès des puissants des musiciens laudateurs qui font beaucoup penser aux iggâwen. Cela ne veut pas dire que, actuellement, l’Azâwân «soit» une musique berbère. Il faut aussi compter avec les l’influences ultérieures des Hassân et des Soudanais.

Les chefs hassanis dans leur mouvement vers le Sud, ont trouvé des populations chez lesquelles les griots jouaient un rôle important pour légitimer le pouvoir des puissants acquis par les armes. Ils ont adopté cette institution indispensable dans un contexte de compétition intense. La distinction s’établit alors entre les poètes, pouvant appartenir à toutes les classes sociales, et les iggâwen appartenant à une caste héréditaire et dont le rôle ne se limitait pas du tout à la musique»








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