Cridem

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31-10-2014

00:30

Maurichronique : Une crotte à la barre…

RMI Biladi - Dis-toi, que j’ai la chance, moi. Je savais que je l’avais, la chance. Depuis ma naissance, elle m’accompagnait. Elle m’accompagne encore toujours, et davantage, Dieu merci. Tu imagines, le jour où je suis sortie au monde ? Non, tu ne peux pas savoir ! Tu dormais, j’en suis sûre. Tu n’étais même pas née, je crois.

Ou bien tu étais encore dans la campagne. Ou ta mère l’était encore, bien avant ta naissance. Ou dans les langes, étais-tu. Ah, j’ai oublié, mon œil, toi, dans les langes, ça alors ! Tu n’en as jamais eues, des langes. Qu’est-ce que je suis en train de débiter. Ne fais pas la mine ! C’est ma journée. Celle de ma chance.

Je suis sortie au monde une nuit de plein hivernage. Une pluie torrentielle s’abattait toute la soirée durant. Le ciel avait vidé ses tripes ce soir-là, sur la ville. Le bourdonnement des tonnerres assourdissait mes minuscules oreilles. Le scintillement des éclairs aveuglait l’infime ouverture de mes yeux. J’étais encore à l’intérieur. Tout ça, me parvenait dans mon petit univers prénatal.

Elle s’est tenue sur ses quatre pattes. L’éclair fendait le ciel. Le tonnerre jouait la repartie. Le sol croulait sous ses pattes, gluant, visqueux, des innombrables fatras et écumes de la vie.

Je naquis en cet instant. J’entendis, juste avant ma sortie au monde, entre colères célestes, ma porteuse aboyer. Une cascade d’aboiements avant qu’elle ne me jetât dans la marre. Spongieuse, j’entamai une vie de désagrégation. Perdue, en mille particules, mes fragments allaient négocier une errance sans fin.

Sans fin. J’ai dit sans fin ! Enfin presque, disons. Chaque portion de moi trouva refuge, qui dans la cavité logeant jadis l’œil droit du mouton sacrifié pour la fête de tabaski suivante, qui dans le coin intérieur d’une boîte de sardine, qui collée contre un morceau de verre cassé…

Dis-toi, que je me dis que j’ai la chance. Aujourd’hui, mes particules de débris se retrouvent. Les morceaux se recollent. Et, c’est lui, là, en haut, qui a, de ses propres mains, rassemblé mes membres égarés. De sa pelle, de son râteau, il a su dénicher chaque partie de moi et l’a ramenée jusqu’à moi. Jusqu’à moi.

Je suis choyée. Non seulement, je suis heureuse, pleinement heureuse, mais, j’ai la chance que ma reconstitution a été faite grâce au premier homme de ces contrées. Il m’a reconstruite. Dis-toi, que je suis reconstruite.

Ne pleure pas. Ne te tue. Ne sois pas envieuse. Ma grande barre de fer, ne désespère pas, je sais que c’est une mauvaise journée pour toi. Un peu comme la soirée de ma venue au monde.

Des foudres partout. Des mares assassines. Une heure de séparation, d’abysses et de désolation. Je sais. C’est tout comme. Mais, je n’y peux rien. Toi-même, tu n’y pouvais rien. Tu es née en ta journée de déconstruction. Tu es née déconstruite. Peut-être viendrait, un jour, un premier quelque chose et reprendrait, qui sait, ta reconstruction.

Mouna Mint Ennas



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