Cridem

Lancer l'impression
05-11-2014

23:00

Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) -4éme partie

Adrar-Info - 20. Ce type de conflit, si l’on fait abstraction du ton que lui donne Mamadou Ba, est classique dans l’histoire de l’émirat. Il se poursuivra jusqu’en 1876, date à laquelle Aḥmed uld M’Ḥammed réussit à déloger du Trârza les principaux dissidents ja’vriyya, à la suite d’une série de combats qui verront le retour en Adrâr de son cousin, et futur successeur, Aḥmed uld Sîd’Aḥmed.

Seul Laḥzam uld Ma’yûv ne se soumit pas et se réfugia chez les Awlâd D’laym du nord auxquels le liaient d’anciennes alliances. Mais les velléités de dissidence des ḥassân de l’Adrâr sont bien réduites à partir de cette date.

21. Il en résulte, j’y reviendrai, une bien relative paix civile, contribuant à renforcer l’image d’un ordre politique émiral en Adrâr, que confortent les luttes périphériques opposant l’émirat à d’autres émirats et tribus extérieures, et qui dessine une certaine unité territoriale de l’émirat, distinguant plus nettement qu’auparavant, dans un contexte de nomadisme pastoral généralisé, les tribus de l’Adrâr et celles qui ne relevaient pas de son émirat.

22. Deux courts épisodes guerriers, dans la seconde partie du règne d’Aḥmed uld M’Ḥammed, iront en ce sens. Les relations entre l’Adrâr et le Trârza, deux « puissances régionales », étaient tendues depuis le conflit qui avait opposé Aḥmed ‘Aydda et Muḥammed al-Habîb à la fin des années 1860.

Le fils de Muḥammed al-Ḥabîb, ‘Alî, et Aḥmed uld M’Ḥammed auront des relations difficiles mais sans que n’éclatent de conflits majeurs. Après qu’Aḥmed uld M’Ḥammed ait réussi à triompher des dissidents de l’Adrâr, qui avaient trouvé refuge au Trârza, une rencontre pacifique eut lieu, en 1884, en terrain neutre, dans le maḥsâr (campement de chefferie) des Awlâd Bûsba’, une puissante tribu d’origine marocaine, très impliquée dans le trafic caravanier, qui nomadisait entre Adrâr et Trârza.

Ce vaysh, compétition d’honneur entre de hauts personnages, fut l’occasion d’une joute mémorable entre les émirs :

« Cette entrevue fut accompagnée d’un étalage de magnificence dont on n’a pas encore perdu le souvenir. Bien qu’il fut le plus âgé des deux souverains, Ely ould Mohamd El Habib voulut rendre le premier visite à l’émir de l’Adrâr pour montrer le cas qu’il faisait de la haute extraction des Ahel Othman.
Là ne se bornèrent pas d’ailleurs les bonnes intentions d’Ely. Au cours d’une réunion à laquelle assistaient les principaux personnages des deux pays et les Oulad Bou Sba, après un échange de paroles d’union et de concorde, l’émir du Trârza rendit un éclatant hommage aux belles vertus d’Ahmed ould M’Hamed et fit l’éloge de son œuvre qui avait dit-il exercé la plus heureuse des influences sur les pays voisins.

En guise de conclusion, il trouva une figure qui provoqua l’hilarité générale : « Mes guerriers, s’écria-t-il, respectent biens et liberté d’autrui, moi seul me conduis comme un tyran au Trârza. Les Oulad Yahia Ahel Othman au contraire, sont aussi oppresseurs les uns que les autres. Leur émir personnifiant la justice, on pourrait donc dire de l’Adrâr qu’il est un sac rempli de crottes de chameaux et dont l’orifice est bouché par une datte » (1929 : 548).

23. L’attitude de ‘Alî est bien ambiguë. Il reconnaît les talents d’homme d’État de son adversaire, pour mieux souligner les désordres que provoquent les turbulentes tribus ḥassân de l’Adrâr.

Après l’assassinat de ‘Alî, son successeur, ‘Amar Salûm, se révélera moins diplomate, qui envoie la lettre précédemment évoquée où la reconnaissance des talents d’homme d’État d’Aḥmed uld M’Ḥammed est conçue comme le fait d’un zawi, incapable de défendre son honneur d’émir et de ḥassân.

La réaction d’Aḥmed uld M’Ḥammed emprunte plus au second registre et se termine par une série de ghazw victorieux menées contre le Trârza en 1888 qui marquent les qualités guerrières des tribus de l’Adrâr.

24. Celles-ci se manifestent aussi à l’occasion des combats contre les Awlâd D’laym, qui sont encore la puissance dominante dans la région du Sahîl, entre l’Adrâr, as-Sagya al-Ḥamra (qui marque les limites des influences maghrébines) et l’Océan Atlantique, au milieu du xixe siècle.

Depuis la création de l’émirat de l’Adrâr, au milieu du xviiie siècle, les Awlâd D’iaym sont de dangereux voisins qu’ont pratiquement affrontés tous les émirs.

Les oncles d’Aḥmed uld M’Ḥammed, Uthmân et Muḥammed, se sont ouvertement alliés à eux pour imposer leur pouvoir dans l’Adrâr : alliance politique qui s’est traduite par la captation dans le campement du chef des Awlâd D’laym, Braḥîm uld Khalîl, de plusieurs des juments (ghzâlât) de l’émirat de l’Adrâr, dont Aḥmed uld M’Ḥammed s’empressera de revendiquer la restitution dès lors qu’il accède à l’émirat.

25. L’histoire des conflits qui se nouent autour de ces juments alimente la tradition orale dont je suis obligé de retenir l’essentiel, aux dépens de la richesse poétique de ses divers épisodes. Les ghazw n’ont jamais cessé entre gens de l’Adrâr et Awlâd D’laym.

En 1877, Sîd’Aḥmed Bûrish, l’un des chefs de la faction Awlâd Qaylân qui soutient l’émir, après une légère brouille entre les deux hommes, retrouve la confiance d’Aḥmed uld M’Ḥammed en reprenant deux des juments des Ahl ‘Uthmân.

En 1882, les combats n’ayant pas entre temps réellement été interrompus, Braḥîm uld Khalîl est tué par les gens de l’Adrâr. L’année suivante une trêve est signée entre les deux partis, et les dernières juments, et leurs produits, sont restitués à Aḥmed uld M’Ḥammed.

26.Cet épisode, qui correspond autant au triomphe militaire des Adrârois qu’au déclin des Awlâd D’laym, menacés dans leur suprématie sur les routes du nord par les Rgaybât et les Awlâd Busba’, marque cependant une présence accrue de l’émir de l’Adrâr sur ses frontières septentrionales, qui tient aussi au contexte international. Citons à nouveau Mamadou Ba, même si le ton apparaît là nettement, et par trop, apologétique :

A suivre…./

Pierre Bonte : « Conceptions ḥassân et zawâya du pouvoir politique dans la société émirale ouest-saharienne avant la colonisation » p. 133-150

………………………………………………………………………………………………

12 Des Awlâd Akshâr.

13 En fait cette famille descend de Sîd’Aḥmed uld Lavdhîl, l’un des frères du premier émir Uthmân et (…)



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org