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10-11-2014

22:20

Figures Historiques : L’« émir de la paix » : Aḥmed uld M’Ḥammed (1872-1891) -7éme partie

Adrar Info - 36.La paix que fait respecter Aḥmed uld M’Ḥammed repose aussi sur les moyens répressifs qu’il se donne. Dès son avènement, il s’était constitué une monte de chameaux et de chevaux, constamment disponibles à proximité de la ḥella pour pouvoir répondre à toute menace.

Entouré de guerriers dévoués, il n’hésite pas à lancer des troupes importantes pour réprimer une dissidence, mais aussi pour intervenir dans les feuds et guerres tribales. Son règne est aussi marqué d’une série de guerres extérieures. L’émir assume les traditions guerrières des ḥassân et de l’émirat, mises au service en l’occurrence de valeurs islamiques d’inspiration étatique.

Dans un poème célèbre, il revendique d’ailleurs lui-même cette origine guerrière et la noblesse qui en découle :

« Le cavalier des longues montagnes d’Amagjar, du Baṭen, du Dhahr et de Tifûjar. Sa pensée est plus destructrice que les balles du fait de sa bravoure, au vrai sens du terme. Sa façon de tendre la main n’est pas celle d’un homme sans éducation, ceci aussi bien quand il tend la main avec générosité que quand il manie le fusil.

Qu’il s’agisse d’un seul homme ou de tout un campement. Plus l’ennemi l’affronte au combat et plus sa bravoure s’aiguise. Quand les hommes sont inquiets et fatigués du combat, se manifestent les premières étincelles de sa gaieté.

Que Dieu accorde la meilleure santé au responsable suprême pendant la sécheresse comme pendant l’abondance, pendant la paix comme pendant la guerre. Au ravitailleur des caravanes et des caravaniers, au distributeur de guinée aux habitants des qsûr et aux nomades, à celui qui porte sans faille la charge de la tente émirale, à celui qui est sans discussion le plus glorieux des guerriers »
18.

37. Faut-il s’étonner de l’ambiguïté du personnage ? Il faudrait faire abstraction des conditions de son accès au pouvoir, et des possibilité qu’il peut y avoir d’une autre lecture que celle que nous suggère Mamadou Ba des principaux aspects de son règne, pour s’étonner réellement des contradictions qu’il recèle.

38. Voyons d’abord le nasab, et les alliances qui ont amené Aḥmed uld M’Ḥammed au pouvoir en 1871. Ils s’inscrivent clairement dans les pratiques ḥassân et émirales du pouvoir qui se sont mises en place un siècle auparavant. Aḥmed est le fils de M’Ḥammed, que son père Aḥmed ‘Aydda avait choisi de son vivant même comme son successeur, lui créant une hella séparée19 et lui confiant de nombreuses missions diplomatiques et militaires.

Il sera assassiné quelques jours après la mort de son père par ses frères demi-germains ‘Uthmân et Muḥammed. L’épouse de M’Ḥammed, Khadîja Bi, la sœur de l’émir Bakkar uld Swayd Aḥmed du Tagânt, contribuera à mobiliser les alliances factionnelles au profit de son fils Aḥmed au terme d’une longue crise qui voit la disparition de la plupart des fils d’Aḥmed ‘Aydda.

Avec l’aide de l’émir du Tagânt, elle jouera un rôle décisif dans l’accession de son fils au pouvoir, après un mariage léviratique avec l’un des frères de son mari, ‘Alî Shandura, qui contribue à la localisation du titre dans sa tente.

Aḥmed uld M’Ḥammed ne deviendra cependant émir de l’Adrâr, en 1872, que grâce à l’appui de la faction des Awlâd Qaylân qui a combattu, et assassiné son père, dirigée par Braḥîm uld Mageyya qui restera son fidèle conseiller tout au long de son règne.

39. S’il réussit immédiatement à réduire les ambitions de ses cousins ja’vriyya, dont-il ne sollicite pas les appuis, Aḥmed uld M’Ḥammed restera désarmé pour intervenir dans les luttes factionnelles qui se nouent au sein des Awlâd Qaylân et plus particulièrement parmi les leaders de la faction qui le soutient.

Celle-ci regroupe Braḥîm uld Mageyya, le plus proche, Sîd’Aḥmed Bûrish uld Tegeddi, autre leader des fractions qaylân qui sont installées à proximité de Shingîṭi et de Wadân, et Sîdi Ḥurma uld Khtayra, qui, originaire des Ṭûrsh du Dhahr, s’est installé en ligne maternelle parmi les Naqmûsha du Baṭen, contribuant à une nouvelle scission de ceux-ci après celle qui a vu se mettre en place la chefferie des Ahl Tegeddi.

40. Le rôle joué par Sîd’Aḥmed Bûrish auprès de l’émir, après qu’il ait récupéré les juments de l’émirat chez les Awlâd D’laym, crée contre lui un front des Awlâd Qaylân, qui organiseront son assassinat en 1883.

Les Ahl Mantalla, responsables de cet assassinat seront en partie exterminés par l’émir, mais celui-ci se révèle en fait incapable de maîtriser le jeu politique factionnel, même si quelques années plus tard il négocie le retour en Adrâr des survivants des Ahl Mantalla, qui ont entre temps été accueillis au Tagânt par son oncle maternel, Bakkar.

41. L’émir du Tagânt, qui est en place depuis 1836, joue un rôle croissant dans le nouveau contexte inter-émiral que j’ai précédemment décrit. Bakkar est l’oncle maternel d’Aḥmed uld M’Ḥammed dont il a soutenu les prétentions au pouvoir.

C’est au Tagânt que se réfugient nombre des « exilés » (zuwwâg) et dissidents de l’Adrâr, en particulier les Idayshilli qui partagent la même origine lantûna que les Ahl Swayd Aḥmed, la famille émirale du Tagânt.

42. Les Idayshilli, qui ont le statut de znâga, depuis la création de l’émirat, sont restés une tribu puissante démographiquement et militairement. Leur leader, au milieu du xixe siècle, Shaykh uld Nwaysri, a pu profiter de la crise qui a suivi la succession d’Aḥmed uld ‘Aydda, pour tenter de reconstruire un pouvoir politique autonome de cette tribu par ailleurs traditionnellement éclatée et agitée de conflits segmentaires qui en rendent l’unification difficile.

43. Une série de meurtres, pour une part manipulés par l’émir, et les fractions qaylân qui soutiennent son pouvoir, Braḥîm uld Mageyya en particulier, découlant pour une autre part des rapports politiques complexes au sein des Idayshilliu eux-mêmes, vont déboucher sur l’assassinat de Shaykh uld Nwaysri, qui s’effectue sous la tente même de l’émir, dont il tient les piquets centraux, signe de protection.

A cette occasion, Aḥmed uld M’Ḥammed se trouve impliqué dans des conflits meurtriers qui ont peu à voir avec les valeurs zawâya d’ordre et de justice que sa tradition lui attribue.

Quelques mois plus tard, les Idayshilli, afin de venger Shaykh uld Nwaysri, et avec l’accord de Bakkar uld Swayd Aḥmed, son oncle maternel, l’assassineront sous sa tente, ainsi que Braḥîm uld Mageyya, et les principaux leaders ja’vriyya qui le soutenait.

44. Aḥmed uld M’Ḥammed meurt ainsi assassiné, comme son père et ses oncles, comme nombre de prétendants au titre émiral, sans que les circonstances de sa mort ne puissent être réellement rapportés à l’aune de la légende qui s’est construite autour de son personnage.

De ces circonstances, Mamadou Ba accuse son oncle maternel, Bakkar, qui sera l’un des principaux opposants à la conquête coloniale et mourra, les armes à la main, devant les troupes françaises, en 1905, à plus de 90 ans. Le rôle qu’a joué celui-ci est évident, et rapporté par la tradition orale.

Mais comment expliquer les décalages qui se manifestent aussi entre deux faces d’un même personnage : le pieux émir, Aḥmed uld M’Ḥammed qu’a retenu la tradition, et le chef ḥassân qui meurt assassiné après qu’il ait laissé tuer sous sa tente, à l’encontre de toutes les valeurs de ce groupe, l’un de ses principaux adversaires politiques, homme aussi de grand prestige, qui sollicitait sa protection et son appui ?

Et qui choisira comme successeur, faute d’avoir lui-même d’enfant mâle, son cousin parallèle patrilatéral, Aḥmed uld Sîd’Aḥmed, qu’il a un temps exilé au Trârza, et dont il se méfie, à juste titre, des engagements politiques reflétant son adhésion sans équivoque aux valeurs des Ḥassân.

A suivre…./

Pierre Bonte : « Conceptions ḥassân et zawâya du pouvoir politique dans la société émirale ouest-saharienne avant la colonisation » p. 133-150

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18 Shaykh uld Ḥamayti, Idayshilli, 3/6/1977, Atâr.

19 La constitution d’une ḥella distincte est un signe de dissidence au sein de la famille émirale, ou (…)



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