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17-12-2014

07:54

De l'esclavage:Quand Biram se trompe de combat

Ely Ould Krombelé - Depuis 2010 j'ai eu l'intuition inductive que si Biram Dah Abeid défendait une cause noble qu'est la lutte contre l'esclavagisme, sa méthodologie était,non seulement vindicative mais surtout contre-productive. Nul n'ignore que les séquelles de l'esclavage persistent encore en Mauritanie.

Malgré la volonté des pouvoirs publics successifs,chacun sait aussi que la lutte contre la pauvreté n'est point une sinécure.Séquelles de l'esclavage- pauvreté, voilà deux ignobles entités concomitantes qui faussent les prévisions de tous les météorologistes de la micro-macro économie.

Car dans une société même si l'infrastructure ou les moyens de production (outils, usines instruments de travail) abondent, la superstructure ou forces productives (la technique,les rapports sociaux) peut freiner ou ralentir ce qu'on appelle communément l'égalité des chances.

Et pourtant en Mauritanie nous ne sommes pas encore au stade de production esclavagiste au sens marxiste du terme (tirée du capital) qui met l'accent sur le degré de mise en œuvre et qui consiste à rassembler beaucoup d'esclaves sans qualification,sans rémunération pour accomplir des travaux quelconques. Nul n'ignore non plus que la notion d'esclavage est apparue dès que l'homme a commencé à vivre en groupes.

Aristote dans sa "Politique" justifiait déjà l'esclavage dans l'antiquité par le manque de machines d'où il fallait des "outils animés"(esclaves) pour accomplir le travail. Aussi selon Marx la société esclavagiste suivie des sociétés féodale, bourgeoise, capitaliste, socialiste(à chacun selon son travail)et enfin communiste(à chacun selon ses besoins ) a succédé à la primitive. Certes le laboratoire de la pensée marxienne était la société européenne occidentale pré-industrielle où l'esclavage a été cependant aboli dès le 19ème siècle.

Toutes les sociétés ont à un moment donné de leur histoire pratiqué l'esclavage. Ce qui semble donner un cachet scientifique au matérialisme historique de Karl Marx: puisque toutes les sociétés sont passées par là, n'est-ce pas une nécessité, un déterminisme sociologique(qui ne peut ne pas être)? Il est légitime de se demander alors pourquoi des poches d'esclaves se trouvent encore le long de la bande sahélo-saharienne au 21ème siècle?

1/Le cas spécifique de la Mauritanie:

Etre le dernier pays à pratiquer l'esclavage ou à gérer plutôt ses résidus et ses séquelles n'est point fortuit eu égard aux contingences de voisinage géo-ethniques. L'entité la plus stigmatisée aujourd'hui comme étant esclavagiste dans l'espace sahélo-saharien qu'on appelle Mauritanie, est d'abord berbère,ensuite Arabe ,donc arabo-berbère, autrement dit les maures blancs, en contact direct avec l'Afrique noire des siècles durant. Si les Mourabitounes ont fondé l'empire du Ghana par voie de commerce, ce sont les Soninkés qui l'ont rendu prospère. Les noirs vivaient en symbiose avec les "sorokhoulés" (hommes blancs)que sont les berbères islamisés.

Ainsi la stratification de la société soninké a influencé la société maure depuis l'empire du Ghana, qui sera suivi de celui du Mali. L'arrivée des Arabes Beni Hassane a coïncidé avec le déclin de l'empire du Mali mais les castes (esclaves,forgerons,griots etc..) vecteurs cardinaux de la culture négro-africaine existaient encore et existent de nos jours. Ce sont les peuples noirs qui ont "filé" le système de castes aux arabo-berbères.

Les Arabo-berbères sont au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye mais point de castes, point d'esclaves par ascendance comme on en voit en Mauritanie blanche , voisine immédiate des peuples noirs. Le jour où les Peuls, surtout les Soninkés, les Ouolofs, les Bambaras, si peu soient-ils, se seraient défait de leur système pernicieux de castes, la galaxie mauresque subirait à son tour des perturbations émancipatrices dans le même sens logique.

2/Ne touche pas à ma féodalité:

Les événements de 1989-1990 ont fini de persuader les négro-mauritaniens que seule une scission au sein de l'ensemble maure pourrait venir à bout de la "domination des Arabo-berbères". Débaucher le "bras armé" des Beidanes que sont les Haratines est une stratégie à double impact.

Un, elle permettra de rallier à sa cause épidermique des bataillons de désœuvrés afin de grossir les légions au cas où la situation devrait dégénérer; de deux faire pencher la balance côté démographique pour dire aux beidanes, desormais "minoritaires", qu'ils ne sont plus chez eux et doivent se contenter de subir le diktat de "la nouvelle majorité". La mélodie des cornemuses dressée à Biram va dans ce sens. Un marché de dupes de gagnant-perdants ou vice versa. Pour cause la récente sortie de Biram contre la féodalité négro-mauritanienne a faussé tous les plans longtemps échafaudés.

Si Biram Dah Abeid président de l'IRA luttait sur deux fronts( contre les maures et les haratines modérés), ses rangs se sont fissurés dès lors qu'il s'est attaqué à la forteresse négro-mauritanienne, à savoir la féodalité plusieurs fois séculaires, voire millénaire. Ses principaux démiurges issus surtout de la diaspora en matière de communication ont fait profil bas lorsque Biram a vilipendé les féodaux tout en faisant l'apologie des 'intouchables" issus de la frange négro-africaine meurtrie.

En rompant les accords tacites qui consistaient à ne s'en prendre qu'à la seule communauté maure, Biram le Frankenstein ou le Prométhée moderne, a franchi le Rubicon, est devenu incontrôlable pour ceux qui l'ont crée. Les compatriotes qui ont dressé des lauriers au président de l'IRA en fructifiant son agenda européen et outre-atlantique, s'en mordent aujourd'hui les doigts car Biram n'a pas le charisme ni l'aura d'un défenseur des droits de l'homme de la stature d'un Mandéla, d'un M.L King ou d'un Mahatma Gandhi.

3/Et si Biram se trompait de combat?

On ne le dira jamais assez Biram Dah Abeid a impulsé une réelle dynamique surtout exogène à la lutte contre l'esclavagisme de manière générale. Mais pour cette auguste cause, le président de l'IRA se doit de comprendre qu'il n'y a que deux voies à suivre: la violence ou la non-violence. Ici le dilemme n'est point cornélien mais plutôt stratégique. Biram devrait s'inspirer du sage chinois Sun Tzu qui a écrit cinq siècle avant l'ère chrétienne: "Apprends à connaitre ton ennemi, un ennemi connu est à moitié vaincu".

Si le président de l'IRA connait les Maures, il a utilisé le mauvais matériau pour arriver à son but. D'où le manque évident de perspective. Pourtant une procédure pédagogique, en sensibilisant la société civile, les ong, les Oulemas de bonne foi, etc..aurait été plus efficace que les meetings haineux, abjects de théories racistes et incendiaires.

Aller crier sur tous les toits "Mourrou yé el Beidanes" (Honte aux Beidanes) est irresponsable et contre-productif. Je suis un maure blanc comme tant d'autres et je ne suis pas comptable des agissements de mes lointains ancêtres, comme tant d'autres maures. !Assez, cet homme est dangereux pour la cohésion sociale, manipulable à merci.

L'homme se contentera un jour d'une "victoire à la Pyrrhus" s'il ne venait pas de mettre de l'eau dans son...thé. Menacer les mauritaniens d'une explosion communautaire, d'une "somalisation" rampante est l'histoire de Gribouille qui se lance dans l'eau du marigot avant d'être mouillé par la pluie. L'explosion communautaire n'est dans l'intérêt d'aucune de nos communautés qui ont vécu ensemble depuis la nuit des temps.

L'explosion communautaire se serait produite, se seront Biram et consorts qui iront les premiers grossir les rangs du HCR à Dakar ou Bamako.L'émancipation des haratines, des hommes de castes dans l'autre frange négro-mauritanienne est inéluctable . C'est la marche de l'Histoire. Cependant les pouvoirs publics peuvent l'accélérer en décrétant pour un temps, soit-il court une discrimination positive en faveur des haratines surtout ceux qui n'ont pas pu ou su prendre le train en marche.

Enfin la Mauritanie est une, indivisible multiculturelle et pluriethnique. Normalement nos divergences ne devraient pas dépasser nos frontières naturelles. Exporter et exposer le cas des séquelles de l'esclavage dans les chancelleries et les chambres occidentales, fussent-elles basses ou hautes est une trahison. Biram Dah Abeid et ses admirateurs doivent savoir que la lutte pour l'émancipation des haratines n'est pas le monopole des seuls descendants d'esclaves. Elle est et demeure au contraire le centre d'intérêt de tous les hommes et femmes épris de paix et de justice./.

Capitaine Ely Ould Krombelé

Erratum


Une erreur s'est glissée dans mon article, s'agissant des origines de l'empire du Ghana qui remontent d'ailleurs vers l'an 300 de l'ère chrétienne donc bien avant même l'apparition de l'Islam. L'empire fondé par les Soninkos comprenait après les "Voutihatt el Islam" deux cités, une musulmane et l'autre animiste tenue par les rois, dont le plus célèbre est Kaya Maghan Cissé, donc bien avant l'arrivée des Almoravides (Mourabitounes). Vers 1200-1204 le roi de Sosso Soumaoroou (Soumangourou) Kanté, vassal de l'empire soninké va le conquérir. En 1235, un autre vassal, le mali dont le prince est Soundiata Keita vaincra le sorcier Soumaoro, en le tuant avec un ergot de coq blanc selon la légende transmise par la lignée du griot Balafasséké Kouyaté, contemporain et compagnon et griot attitré de Soundiata.

Que les lecteurs m'excusent pour ce "massacre" de l'Histoire et particulièrement celle de l'empire du Ghana que j'ai pourtant apprise en milieu soninké (kingui) depuis l'école primaire.

  Capitaine Ely Ould Sid'Ahmed Ould Sidi Ould Krombelé



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