Cridem

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19-12-2014

22:45

Abderrahmane Sissako, le BHL des dunes

Mondafrique - Encensé par la critique pour son film "Timbuktu", un péplum bourré de poncifs et d'un ennui torride, Abderrahmane Sissako, cinéaste amnésique, ne met jamais en avant ses fonctions de "conseiller culturel" du président mauritanien Aziz.

Ce dictateur médiocre a fait main basse sur son pays et emprisonnait, le 11 novembre, le leader anti esclavagiste Biram Dah Ould Abeid. Allo, Sissako, on ne t'entend guère?

Sans même entrer dans les qualités supposées d'un film juste ennuyeux, bourré de clichés et qui donne du drame malien des images léchées et sans contextualisation, il faut rappeler qui est vraiment l'auteur de l'oeuvre, Abderrahmane Sissako.

Toujours paré d'une chemise blanche immaculée et largement ouverte, ce BHL des dunes n'est cinéaste qu'à ses heures perdues. Ce qui le nourrit ces dernières années, ce sont ses fonctions de conseiller "culturel" attitré du président Mohamed Ould Abdel Aziz, le chef d'Etat mauritanien qui a imposé à son peuple une médiocre dictature de sous-préfecture, en faisant main basse sur les richesses de son pays.

Tous les ans, le président Aziz organise une grande mascarade appelée "Rencontre avec le peuple" où il est censé dialoguer directement avec des personnes "spontanément" sélectionnées de toutes les régions. L'an dernier, la manifestation avait eu lieu à Néma, dans l'est du pays. L'année précédente, ce fut à Atar, au nord du pays. C'est un grand show où l'improvisation se cumule à la médiocrité du discours. Soit dix heures de direct à la télévision, façon Moscou ou Prague des années de plomb. Pour le rassemblement d'Atar, le plus grand cinéaste africain que serait désormais Sissako à la manoeuvre, pathétique éclairagiste des mises en scène du régime.

Lorsqu'on se rendait ces dernières années à Nouakchott comme l'auteur de ces lignes en 2012, on apercevait le "grand", l'immense cinéaste plutôt oisif, qui recevait les rares journalistes étrangers dans les cafés chics de la capitale mauritanienne. Il fallait entendre Sissako défendre le bilan d'un régime répressif et corrompu, mais tellement utile, faisait-il valoir, dans la lutte contre les forces du mal. Au point d'ailleurs que la Mauritanie d'Aziz n'a pas envoyé un seul soldat au Nord-Mali combattre les jihadistes aux cotés de l'allié français. Et ne parlons pas du pacte discret conclu par ce pouvoir avec le salafisme dont les prédicateurs sont omni présents dans les mosquées et avec les groupuscules violents, qui épargnent étrangement ce pays aux frontières pourtant poreuses.

Des militaires devenus acteurs

L'alliance de Sissako avec le pouvoir mauritanien est d'autant plus choquante que ce cinéaste a réalisé un très bon film dans sa vie (courte) de cinéaste, à savoir "Bamako", un scud efficace contre les biens mal acquis par les dictatures africaines. Comme les temps changent! Et comme les chemises blanches se déboutonnent! Ne parlons même pas du bilan insignifiant de son action comme "conseiller culturel" d'un président sans culture. Lui même le reconnait en privé, mais évidemment pas dans la presse française.

L'ami Sissako n'a rallié la présidence que pour utiliser la logistique de l'armée mauritanienne pour tourner son film réalisé à la frontière mauritano-malienne et recevoir, pendant toutes ces années face à sa sinécure, un confortable traitement. Ce sont des militaires mauritaniens qui dans son film jouent le rôle des hommes de la police islamique. Quand on sait le penchant répressif de cette armée mauritanienne, encore le 12 novembre lors d'une manifestation anti esclavagiste dispersée brutalement, on comprend pourquoi dans "Timbuktu", les nervis de la "police islamique" ont l'air si méchants. Mais l'ami Sissako n'est apparemment pas regardant sur les CVs de ses "acteurs".

Timbuktu, une imposture mauritanienne.

On pouvait croire que le président Aziz, ce militaire parvenu au pouvoir par un coup d'Etat et blanchi par Paris, avait nommé Sissako à ses cotés pour imposer une "vitrine" présentable à son régime qui ne l'est pas. On a vu le cinéaste à la chemise blanche, cet automne, parader aux cotés de "son" président au sommet organisé par le président Obama pour les chefs d'Etat africains. Au départ, le président Aziz ne recherchait pas, via le cinéaste, à vendre une image de son pays. Ce militaire casanier qui a très peu voyagé a toujours utilisé en termes de communication des méthodes moins sophistiquées. Le pays est largement fermé le pays à la presse étrangère. Et en privé, les représentants de l'Organisation internationale de la francophonie se plaignent que la Mauritanie soit un des rares pays où ils ne puissent pas contrôler les processus électoraux, fussent-ils entachés de fraude massive comme ce fut le cas l'année dernière.

Si le président Aziz a tenu à promouvoir son ami Sissako, c'est parce qu’au départ le cinéaste voulait réaliser un film sur l'esclavage, resté autorisé en Mauritanie jusqu'en 1981 et réprimé pénalement seulement en 2007 ! Et encore la loi est-elle à peine appliquée. Voici en effet le venin qui mine la société mauritanienne en profondeur. Chacun sait que les descendants d'esclaves qui se mobilisent actuellement massivement pourraient bien faire vaciller ce régime militaire. Pas question que Sissako tourne sur un pareil sujet. Le deal était parfaitement clair: "nous t'aiderons, lui a expliqué le président Aziz, si tu parles des méchants djihadistes qui inquiètent tant nos amis occidentaux. Mais de l’esclavage doit rester tabou. Ce qui fut fait, et avec le succès que l'on sait, lorsqu'on voit l'avalanche de louanges sur ce mauvais et ennuyeux péplum qu'est Timbuktu, ce film de "résistance" contre le mal.

La résistance contre les immenses séquelles de l'esclavage en Mauritanie attendra. Habitué des geôles mauritaniennes, Biram Dah Ould Abeid, leader de "l'Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste" (INRA), vient d'être à nouveau arrêté le 11 novembre dernier. Sa faute? Ce leader charismatique et populaire, arrivé deuxième à l'élection présidentielle malgré la fraude, menait avec d'autres militants une campagne de sensibilisation contre l'esclavage foncier. Détenu à Rosso, il ne peut même pas recevoir de visites.

Peut être que ce grand humaniste qu'est Abderrahmane Sissoko aura une pensée pour ce courageux militant emprisonné. Ou mieux encore, le BHL des dunes aura-t-il l'audace, durant ses innombrables interviews en France, d'évoquer la situation de l’esclavage dans son pays?

ENCADRE

Biram et ses codétenus refusent de comparaître


Les détenus d’opinion, à leur tête, Biram Abeid Dah, Président d’IRA et Prix 2013 de l’ONU pour les Droits de l’homme, refusent de comparaitre devant le tribunal de la ville de Rosso (Sud de la Mauritanie). Les militants anti-esclavagistes, incarcérés depuis le 11 novembre 2014, à la suite de la participation à la Caravane pour l’abolition de l’esclavage foncier, ont découvert, juste hier, que leur procès se tenait aujourd’hui. Ni eux, ni leur défense, ne furent informés dans les délais réglementaires. Aujourd’hui, une impressionnante manifestation pacifique, organisée par les militants et sympathisants de la cause antiesclavagiste, a relié la prison de Rosso au Tribunal pour exiger la tenue d’un procès équitable.

Voici la lettre que les détenus ont envoyée au Président du Tribunal de Rosso.

« A Monsieur l’Honorable Président du Tribunal de Trarza

Nous, soussignés, concernés par l’affaire 782/41, avons l’honneur de vous informer de ce qui suit :

- En tant qu’accusés maintenus derrière les barreaux et privés de nos libertés, nous n’avons que hâte de voir se tenir notre procès pour nous permettre de nous défendre et de récuser publiquement les allégations mensongères qui nous ont valu, à tort, la prison ;

- Notre hâte d’être jugés n’a d’égale que notre détermination à ne céder le moindre pousse des droits qui sont les nôtres et que nous garantissent tous les textes et notamment la Constitution et l’ensemble des traités et conventions internationaux relatifs aux droits de la défense ;

- Nous avons été surpris, alors que nous attendions qu’on nous signifie la clôture officielle de l’enquête, comme le prévoit l’article 371 du code de procédure, par l’irruption dans nos cellules de policiers avec instructions de nous amener à notre procès. Ni nous, ni notre défense n’avons été informés dans les délais réglementaires de la date de la tenue de ce procès. Aussi, et pour les raisons citées plus haut, tenons-nous à vous informer de notre refus de comparaître aujourd’hui devant vous en comptant sur votre bienveillance pour que vous preniez toutes dispositions utiles pour nous garantir un procès juste et équitable.

Biram Dah Abeid et ses codétenus

Le jeudi 18/12/2014 »




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