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20-12-2014

11:51

Commentaire du livre : Un Breton chez les Soninkés de Zakaria Soumaré

Ba Silèye - Dans son nouveau livre Un Breton chez les Soninkés (éditions Edilivre 2014), l’écrivain mauritanien Zakaria Soumaré plonge son lecteur au cœur de la société soninké. Face à Kobel, le vieux sage de Toulel, village situé au sud de la Mauritanie, Paul, le Breton découvre avec curiosité ce peuple installé en Mauritanie depuis le XIIIème siècle.

Du mythe fondateur de l’empire du Ghana, de la légende de Dingha jusqu’à l’âge d’or du Wagadu, ou encore le récit de l'épopée du pieux Kanka Moussa (1307-1332) tout est scientifiquement exposé dans ce dialogue inter-culturel.

Par quel canal les soninkés communiquaient-ils? Aujourd’hui, comment les femmes s'organisent-elles dans ce village avec l'exode rural et l’émigration? Que reste-t-il des traditions et des mœurs de ce peuple? Comment les ressortissants de Toulel en France arrivent-ils à maintenir les liens et contribuer au développement de leur village? Ainsi sont formulées les questions de Paul.

Entre un Breton fier de l’inscription de sa langue maternelle sur les panneaux de signalisation de Brest et un Mauritanien qui s’indigne du manque de la « cohésion sociale digne de ce nom dans son pays », le dialogue ne peut qu’être riche et constructif. Dans un monde où « les identités minoritaires » se banalisent, Zakaria Soumaré nous offre ainsi un roman pédagogique et foisonnant sur la diversité culturelle.

Dans la salle des profs : « C’est où la Mauritanie ? »

C’est la rentrée des classes : avant de rejoindre leurs « difficiles élèves », les enseignants sympathisent et se racontent leurs pérégrinations et villégiatures de vacances. L’auteur, Zakaria, était à Toulel, son village natal. Son collègue Paul revient de Miami. Les premiers échanges sur l’éducation nationale dominent naturellement les discussions. Nos deux professeurs tirent la sonnette d’alarme : « Nous courrons dangereusement vers la catastrophe si réellement nous ne trouvons pas une solution aux problèmes de l’école en France ».

Parmi tant d’autres raisons, la détérioration du niveau des élèves, les décrochages scolaires et la démotivation, voire la démission des parents suscitent l’ire des deux enseignants. Une phrase lancée par Paul ne peut laisser personne indifférent : « L’école est un passe-temps ; les enseignants sont des guignols. Et nous les profs, nous avons l’impression d’être dans une garderie où on vient nous confier des enfants qui n’ont rien à faire à la maison ». Voilà qui est dit par un averti.

Au fil de la discussion, d’autres sujets s’invitent. Soudain, à sa grande surprise, Zakaria découvre que son collègue français ignore où se situe la Mauritanie. Il s’interroge "C’est où la Mauritanie?". Et d’ajouter « je n’ai jamais entendu parler de ce pays ». L’écrivain s’improvise alors géographe, guide touristique, puis convainc Paul d’effectuer un court séjour en Mauritanie afin de découvrir le peuple qui fonda jadis les plus grandes dynasties de l’Afrique de l’Ouest.

De Paris à Toulel : bienvenue chez les Soninkés

Lorsque Zakaria s’introduit avec Paul chez le sage Kobel, toutes les facettes de la culture soninké s’ouvrent à eux. Courtoisement accueilli, le Breton s’intéresse à l’organisation de cette société qui, selon les propos du vieil homme, est l’une des plus hiérarchisées d’Afrique de l’Ouest. Depuis l’empire du Ghana, ce peuple a toujours conservé son système social pyramidal. Les castes soninkés se subdivisent en trois grands ensembles. Au sommet, les Tunkalemu (nobles) contrôlent l’exercice du pouvoir, les Niahamalu (dépendants) dépendent de ces derniers, tandis que les Komo (esclaves) se retrouvent au bas de la pyramide.

On apprend que l’esclavage s’y est institutionnalisé par la capture dans les contextes des guerres, des razzias et l’extrême pauvreté. Kobel le sage s’accorde Paul et son collègue pour marteler qu’: « aujourd’hui, il est inhumain sinon révoltant de continuer à les appeler esclaves ». Il faut combattre les survivances liées à cette pratique « honteuse » afin de les évacuer de la mémoire collective en milieu soninké. Sans ces efforts conjugués, note l’auteur, la gestion symbolique de la représentation sociale ainsi que la politique du Debe (village) et le Jaamane (pays Soninké) resteront inégalitaire et discriminatoire.

Au moment d'évoquer le fonctionnement de cette société au sein de la cellule familiale, Paul est surpris par l’évocation des valeurs en voie de disparition en France. Le sage affirmera que sans le maintien du tissu familial, la réputation du soninké telle que connue aujourd’hui n’existerait pas. La foi et la famille façonnent donc l’équilibre chez un soninké. La preuve en est que lorsque le Kagumé (chef de famille) dit son dernier mot, les propos précédents des membres de la fratrie deviennent nuls et non avenus.

Des palabres futiles auxquelles même les cadets de la (famille) ne donneront aucun crédit. Le droit d’ainesse demeure une valeur sûre chez les Soninkés et structure encore les foyers toulellois. Lorsque Paul demande pourquoi les Soninkés sont des émigrés par excellence, l’ancien convoque la légende selon laquelle leur aïeul Dingha écouta le conseil d’une hyène en émigrant à la recherche de pâturage et d’eau. Il ajoute que, avant de s'installer massivement dans l'Hexagone, les Soninkés étaient des Jula (commerçants) qui sillonnaient les pays limitrophes de la Mauritanie et la sous-région. D'autres encore séjournaient dans le bassin arachidier au Sénégal ou en Gambie pendant la période des Navétanes (hivernage).

Le chemin de l'Occident n'a commencé qu'après les deux guerres mondiales avec la forte demande d'une main-d’œuvre bon marché. Ici, le sage Kobel s'arrête pour déplorer les effets pervers de l'émigration. Le dépeuplement de villages entiers à cause de l'exode, la fuite des cerveaux, le désintéressement des jeunes pour les études et la jalousie que provoquent les nouvelles richesses sont autant de malheurs qui révoltent le vieil homme. D’où le fait qu’aujourd’hui seul "celui qui a migré hors du village" a droit au respect et à la parole, rapporte l’auteur. L'exemple des dépenses faramineuses contractées pour des noces illustre parfaitement ce que Kobel appelle "la perte des valeurs".

Le vieil homme fustige le snobisme extravagant des jeunes émigrés qui rivalisent de faste dans leurs cérémonies de mariage. Constatant que certaines dérives affectent même le baadé (période de deuil), il s'attriste : "de nos jours, dans la société soninké, le deuil est devenu une véritable manifestation d'ostentation, d'orgueil et d'étalage des richesses". En revanche, la contestation de l'ordre établi et des logiques ancestrales ne le gêne pas. Il admet que les mutations sociales et l'ouverture sur le monde occidental entraînent l’évolution des mentalités. Pour éviter le conflit de générations, il préconise simplement de faire un "tri positif et raisonnable dans les meurs empruntés de l'Occident".

Lorsque le matériel détermine le statut social et devient le centre de l'existence, pourquoi s'étonne-t-on de l'obsession des jeunes à vouloir gagner, morts ou vifs, leur eldorado imaginaire ? La réponse de Paul est sans attente : " Les jeunes Soninkés devraient comprendre que leur avenir se joue en Afrique. Il n'y a rien maintenant en Occident". Alors que l'Europe se débat dans son marasme économique, l’écrivain invite les élites africaines à montrer l'exemple. En retournant dans leur pays d’origine, elles aideront les jeunes Africains à construire leur personnalité et contribueront à l’émergence de nouvelles dynamiques sur le continent.

Bâ Sileye
sileye87@gmail.com

Né en 1977 en Mauritanie, Zakaria SOUMARE a étudié à l’université de Nouakchott puis au Sénégal où il a obtenu un DEA en littérature africaine francophone. Il a soutenu en 2010 une thèse de doctorat à l’Université de Limoges. Il est aujourd’hui professeur de lettres modernes à l’Académie de Limoges et chercheur associé à FRED (Francophonie, Éducation et Diversité) à l’université de Limoges. Il est aussi l’auteur de « Le Fils d'un rescapé du génocide des Tutsi, Edilivre, 2013 ».



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