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25-01-2015

15:16

Question et guerre du Sahara mauritanien : L'échec annoncé de la concertation tripartite sur le Sahara d'administration espagnole

Le Calame - (Suite des publications de documents diplomatiques français, Voir Le Calame des 14 & 28 Décembre 2010 - 4 & 25 Janvier, 8 & 22 Février 2011 - 22 Juillet, 12 Août & 14.28 Octobre & 3.17.23 Décembre 2014) L'échec annoncé de la concertation tripartite sur le Sahara d'administration espagnole

La question du Sahara est en fait celle de Tindouf - que l'organisation militaire française des " confins mauritano-marocains " permettait d'éluder des années 1930 à 1956 - et de la Mauritanie dont le Maroc a persisté à soutenir qu'elle n'avait été détachée de lui qu'à l'occasion du traité de protectorat en 1912, et selon des arrangements franco-espagnols désintéressant Madrid de l'ambition de Paris.

Le malentendu en 1973 s'avère donc complet et les arrière-pensées sont mises au jour. Le Maroc s'attendait à ce que la Mauritanie, qu'il reconnaissait de facto en l'invitant au sommet islamique de 1969, tenu à Rabat pour répliquer à l'incendie de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, soutienne désormais sa revendication sur la Seguiet-El-Hamra et le Rio-de-Oro.

L'Algérie s'était convaincue qu'à terme la Mauritanie aurait " destin commun " avec elle. Ainsi Nouakchott, et singulièrement le président Moktar Ould Daddah, sont-ils politiquement et contradictoirement annexés par chacun des deux ennemis intimes et rivaux au Maghreb que sont l'Algérie et le Maroc.

La voie d'une indépendance du territoire espagnol, laissant à l'ancienne métropole, assez d'influence pour protéger celui-ci contre les appétits de voisins, tout en associant ceux-ci à l'exploitation des ressources minières et halieutiques, ne fut pas explorée : elle était refusée à Rabat comme à Alger ne croyant pas qu'elle puisse devenir réelle. La leçon mauritanienne et la réalité de la jeune République Islamique n'étaient donc toujours pas vraiment reconnues par les partenaires de celle-ci.

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

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Alger, le 28 Avril 1973
N° 1085/87
Objet : Sahara espagnol

Les présidents Boumediene, Diori Hamani, Ould Daddah et Moussa Traoré, ont publié une longue déclaration à la suite de leur réunion à El-Goléa. J'analyse séparément ce texte qui ne contient rien de neuf si ce n'est le paragraphe relatif au Sahara espagnol.

La déclaration d'El Goléa révèle en effet que la Mauritanie propose maintenant que la conférence à trois sur le Sahara espagnol dont elle avait demandé qu'elle se réunisse en Mars, se tienne en Mai, toujours à Nouakchott.

M. Bouteflika se trouvait à El-Goléa où il s'était rendu directement dès son retour de Rabat. On peut donc penser qu'il a obtenu l'accord du roi Hassan sur le principe, la date et le lieu de la réunion. Selon les indications qui m'avaient été fournies, il y a quelques jours par l'ambassade de Tunisie, le Maroc aurait pourtant demandé récemment encore que la réunion se tienne à Rabat.

Le texte d'El-Goléa précise que la rencontre entre Mauritaniens, Algériens et Marocains devrait permettre de déjouer les manœuvres étrangères dans l'esprit des décisions de Nouadhibou, de celles de l'O.N.U., et de hâter la décolonisation du territoire en y faisant prévaloir le libre exercice du droit à l'autodétermination./.

Soutou
Al Alam. Istiqlal - 10 Mai 1973
Editorial

Unir les rangs contre la colonisation du Sahara

Nous pouvons prendre note de la déclaration faite par le ministre algérien des Affaires étrangères à son arrivée à Nouakchott pour participer à la réunion tripartite des ministres des Affaires étrangères du Maroc, de l'Algérie et du gouvernement de Nouakchott, et dans laquelle il a dit : " L'Algérie n'a aucune prétention territoriale sur cette zone ".
Cela signifie que l'intérêt de l'Algérie porte, en tant que " partie concernée ", à la question du Sahara marocain occupé par l'Espagne, est celui que porte un pays voisin à une région colonisée.

Il ne reste donc plus que le régime établi à Nouakchott. Si ce n'était l'entêtement qu'il a affiché depuis qu'un groupe d'Etats l'a soutenu contre la politique du Maroc à la faveur de circonstances que tout le monde connaît et qui résultent notamment des événements qui se sont produits en 1963 entre le Maroc et l'Algérie, nous disons donc que si ce n'était cet " entêtement ", le Maroc aurait réussi à résoudre le problème de la Sakiet-El-Hamra et du Rio-de-Oro, tout comme il avait réglé le problème de Tarfaya puis celui d'Ifni.

Les réunions que tiennent actuellement en Mauritanie les trois diplomates doivent avoir pour but de trouver une véritable solution au problème. De ces territoires colonisés - dont (le sort) de certains est lié au mythe de l'autodétermination - nous ne saurions perdre de vue l'histoire récente.

Tous ceux qui connaissent les données positives de l'histoire et de la géographie et même ceux qui les ignorent parmi les contemporains de la dernière colonisation de la zone, savent que ces territoires sont marocains et que leurs habitants se considèrent toujours comme Marocains. La première mission espagnole envoyée au Rio-de-Oro, en 1884, était conduite par M. Nonelli (photo).

Cette mission n'a fait que construire des baraquements sur lesquels elle a hissé le drapeau espagnol. Les citoyens marocains ont combattu cette mission et tué certains de ses membres, parce qu'elle avait agressé le territoire marocain et hissé le drapeau espagnol sur le sol marocain.

Au nombre des complots tramés contre le Maroc par la France et l'Espagne figure, entre autres, une convention bipartite conclue en 1900 et dans laquelle la France reconnaissait l'influence espagnole dans le Sahara marocain.

L'Espagne a renforcé son influence dans notre Sahara grâce aux accords colonialistes conclus avec la France. Le dernier en date étant le traité du Protectorat passé en 1912. Aussi comment la Mauritanie - partie indivisible du Maroc - peut-elle prétendre avoir des droits sur les territoires occupés par l'Espagne dans notre Sahara… après avoir été séparée du Maroc ?

Il est temps que nous comprenions les réalités du siècle, que nous mettions fin aux séquelles du sous-développement dans notre conception politique et que nous unissions nos efforts en reconnaissant la marocanité du Sahara occupé afin de pouvoir faire face à l'adversaire avec un point de vue commun, clair et net qui ne soit pas basé sur des conceptions confuses, comme celle de l'autodétermination, qui, en fait, ne font que renforcer l'influence colonialiste espagnole. La réunion des trois ministres débouchera-t-elle sur un point de vue commun, clair et net ou bien sur des paroles en l'air qui ne feront que maintenir la colonisation espagnole dans le Sahara marocain ?

C'est ce que nous diront les prochaines heures.

* * *

10 Mai 1973
Conférence ministérielle tripartite - Communiqué commun

Répondant à l'invitation du ministre des Affaires étrangères de la République Islamique de Mauritanie, Son Excellence Monsieur Hamdi Ould Mouknass, et faisant suite à des consultations diplomatiques, les ministres des Affaires étrangères du Royaume du Maroc, Son Excellence Monsieur Ahmed Taïbi Benhima, de la République Algérienne démocratique et populaire, Son Excellence Monsieur Abdel Aziz Bouteflika, et de la République Islamique de Mauritanie se sont réunis à Nouakchott les 8 et 9 Mai 1973.

Les trois ministres ont examiné au cours de ces réunions, l'état des relations entre les trois pays frères et ont procédé dans un climat de franchise, de loyauté et de clarté à l'exposé de leurs points de vue respectifs sur l'évolution de l'ensemble des problèmes de la sous-région.

Ils ont enregistré avec satisfaction les développements continus des bonnes relations qui se sont établies entre leurs pays ainsi que les résultats encourageants de la coopération dans laquelle ils se sont engagés et qui s'étend à des domaines de plus en plus variés.

Les trois ministres ont porté une attention particulière à l'évolution de la situation au Sahara encore sous domination espagnole et ont manifesté leurs préoccupations en ce qui concerne l'attitude et les intentions du Gouvernement espagnol quant à sa décolonisation.

Ils dénoncent les manœuvres dilatoires du Gouvernement espagnol par lesquelles il tente de se dérober aux obligations qui lui incombent et aux décisions pertinentes des Institutions internationales.

Ils réaffirment leur détermination d'agir avec énergie auprès de l'Organisation des Nations-Unies pour que celle-ci assume ses responsabilités clairement exprimées et appuyées par l'Organisation de l'Unité Africaine et les pays non-alignés.

Ils réaffirment également la volonté de leurs gouvernements de conjuguer et d'intensifier leurs efforts pour déjouer les manoeuvres du Gouvernement espagnol, hâter la décolonisation authentique de ce territoire et concrétiser les directives de leurs Chefs d'Etat dans l'esprit de la rencontre de Nouadhibou de Septembre 1970 et des entretiens de Rabat de Juin 1972.

Ils ont décidé à cet effet de maintenir entre eux un contact permanent pour suivre l'évolution de la situation et adopter les mesures qu'elle exige.

Ils ont estimé qu'une réunion de leurs Chefs d'Etat est éminemment nécessaire pour définir un plan d'action face à la nouvelle situation créée unilatéralement par l'Espagne. La date de ce Sommet, qui se tiendra à Rabat, sera fixée incessamment.

Ils se sont félicités du climat de franchise quia permis de clarifier leurs positions et de dissiper toutes les interprétations malveillantes diffusées à dessein par certains milieux sur les attitudes respectives des trois pays sur le Sahara.

Les ministres des Affaires étrangères d'Algérie et de Mauritanie ont tenu, au cours de cette réunion, à exprimer leur entière solidarité avec le Maroc pour les mesures qu'il a prises dans le cadre de l'exercice de sa souveraineté pour préserver ses droits sur ses richesses naturelles en étendant sa zone de pêche à 70 milles marins.

Les ministres des Affaires étrangères d'Algérie et du Maroc ont exprimé au ministre des Affaires étrangères de Mauritanie leurs remerciements pour l'hospitalité chaleureuse et fraternelle dont ils ont été l'objet durant leur séjour à Nouakchott et l'ont prié d'exprimer au Président de la République Islamique de Mauritanie, Son Excellence Maître Moktar Ould Daddah, leur gratitude pour les audiences qu'il a bien voulu leur accorder et l'accueil qu'il leur réservé.

Fait à Nouakchott, le 9 Mai 1973
Pour la Partie Pour la Partie Pour la Partie
Marocaine Mauritanienne Algérienne
Ahmed Taïbi Benhima Hamdi Ould Mouknass Abdel Aziz Bouteflika

* * *

A Nouakchott, le 17 Mai 1973
Dépêche d'actualité. N° 11 DA-DAM
Pour diplomatie Paris. Direction des Affaires Africaines et Malgaches
Objet : Sahara espagnol

Ma communication du 11 Mai rendait compte du climat de tension dans lequel s'est déroulée la conférence des trois ministres des Affaires étrangères sur le Sahara espagnol. Les derniers renseignements que ce poste a pu recueillir permettent d'en mieux reconstituer l'atmosphère.

Dès le début des travaux, M. Benhima aurait soutenu que l'Algérie, en renonçant, lors du règlement de Tindouf, à toute revendication sur le Sahara espagnol, s'était engagée à y appuyer la position marocaine. M. Bouteflika aurait accueilli les propos de son bouillant collègue marocain, avec ironie. Le chef de la diplomatie algérienne considérait toujours son pays comme " partie intéressée " au règlement du problème ; il l'avait d'ailleurs déclaré la veille à la presse (" nous sommes beaucoup concernés sur le plan bilatéral et sur le plan multilatéral ").

On se trouvait dans l'impasse. M. Hamdi Ould Mouknass dut suspendre la séance et conférer avec chacun de ses partenaires séparément. Le ministre mauritanien ayant réussi à éviter la rupture, les trois délégations pouvaient à nouveau se réunir au complet. A l'exception des " formules de statu quo " et de la " formule de Djibouti ", selon l'expression de M. Bouteflika, toutes les éventualités furent étudiées, dont celle du partage à deux, voire, selon certaines sources, à trois, l'Algérie, qui n'a aucune revendication territoriale à faire valoir, dans une telle hypothèse se trouverait amenée à " revoir sa position ".

Les résultats de la conférence sont maigres et l'on s'en remet aux chefs d'Etat pour tenter de " définir un plan d'action face à la situation créée unilatéralement par l'Espagne ". Certes le Maroc a obtenu que le prochain sommet, " éminemment nécessaire ", ait lieu à Rabat et que ses partenaires appuient sa décision d'extension de la zone de pêche, mai si l'on s'accorde à condamner Madrid, une conciliation n'apparaît guère possible au fond entre la position marocaine et celle de ses deux partenaires.

A maintes reprises en première ligne face au Maroc, l'Algérie a, en la circonstance, manifesté à la Mauritanie sa solidarité. Dès son arrivée, M. Bouteflika ne déclarait-il pas qu'à chaque rencontre entre les deux pays, ceux-ci se découvraient " de multiples affinités, des intérêts si importants, des liens si forts, spirituels, culturels, historiques et autres qui font qu'inéluctablement un jour (ils pourront) connaître une destinée commune " ? Cette attitude a irrité la délégation de Rabat dont certains membres, en privé, n'hésitaient pas à envisager une réactivation de la question de Tindouf, puisqu'Alger " trahissait sa parole ".

La conférence de Nouakchott traduit ainsi l'incapacité des trois parties à se mettre d'accord sur une solution concertée du problème du Sahara. A l'ambassade d'Espagne, on se montre plus inquiet de l'appui apporté au Maroc dans l'extension de sa zone de pêche que des termes, pourtant sévères, condamnant l'action de l'Espagne dans le territoire qu'elle administre.

Cette réunion aura également marqué un nouveau jalon dans la coopération politique entre l'Algérie et la Mauritanie, et l'exaspération marocaine reflète sans doute, dans une certaine mesure, le déplaisir qu'on en ressent à Rabat./.

Oddos.



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