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15-02-2015

23:30

Question et guerre du Sahara mauritanien (suite)

Le Calame - (Suite des publications de documents diplomatiques français, Voir Le Calame des 14 & 28 Décembre 2010 – 4 & 25 Janvier, 8 & 22 Février 2011 – 22 Juillet, 12 Août & 14.28 Octobre & 3.17.23 Décembre 2014 – 21 Janvier & 4 Février 2015).

L’orthographe, l’emploi ou non des majuscules sont le fait des rédacteurs

Le Sahara, sans que chacun se découvre

L’acte de naissance du Polisario est mauritanien mais son libellé a bénéficié de circonstances étonnantes. L’auteur logeait à Nouakchott chez le collaborateur du correspondant de l’A.F.P. Retrouver son nom… leurs noms… L’attitude des autorités mauritaniennes ne peut être totalement déduite des présentations de l’ambassade.

Celle-ci, en 1973-1974, ignore les accords intervenant entre le président Moktar Ould Daddah et le roi du Maroc, elle ignore aussi l’imminence de la nationalisation de Miferma. En revanche, les totales divergences de vue et d’ambition entre le Maroc et l’Algérie sont avérées, ainsi que le peu de cas, apparemment fait par Rabat, de Nouakchott. Ce qui sera l’une des mises en scène de la conférence de la Ligue arabe, tenue à Rabat, a ici son fond de décor.

L’Espagne variant de stratégie depuis les graves incidents du 17 Juin 1970, et la Cour internationale de La Haye ayant été chargé de donner son avis sur le bien-fondé des prétentions des uns et des autres, il est temps d’examiner les points d’histoire et de droit, ainsi que les conventions internationales. Ce que nous faisons dans la prochaine livraison. Puis ce seront l’accord de Madrid et la guerre.

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

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Ambassade de France en Mauritanie
dépêche n° 221 DAM. 24 Juillet 1973

Un nouveau mouvement de libération du Sahara occidental, le Front populaire pour la libération de la saguiet-el-Hamra et du Rio de Oro, s’est manifesté pour la première fois à Nouakchott en remettant au correspondant de l’Agence France Presse un « communiqué militaire ».

Si celui-ci semble quelque peu fantaisiste, il n’en demeure pas moins que quelques groupes armés paraissent circuler en territoire mauritanien le long de la frontière. Il existerait cependant une certaine coopération entre les autorités espagnoles, mauritaniennes et algériennes pour éviter tout incident sérieux. Mais en dehors de cette limitation, les activités du Front semblent bénéficier d’une certaine tolérance de la part du gouvernement mauritanien. Celui-ci pourrait voir dans la nouvelle organisation un moyen de faire pièce aux mouvements identiques plus ou moins contrôlés par Alger et Rabat, dans l’hypothèse de l’autodétermination du territoire.

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Al-Alam (Istiqlal) – 12 Août 1973
Libération du Sahara puis referendum ?

L’agence A.F.P. a retransmis une information en provenance de Koweït à propos de déclarations que Hamdi Ould Mouknass, ministre des Affaires étrangères, y a faites, disant notamment que le Maroc et la Mauritanie ont décidé de libérer en commun le Sahara occupé par l’Espagne et qu’après cela un referendum serait organisé qui permettrait à la population de la province de décider si elle préfère l’indépendance ou l’appartenance, soit au Maroc, soit à la Mauritanie.

Signalons que la déclaration commune lors du sommet d’Agadir ne fait pas allusion à une telle procédure. S’agit-il donc d’une idée originale, propre à M. Ould Mouknass, ou d’une proposition qui se serait manifestée après ladite réunion, ou bien un accord serait-il intervenu dans ce sens, auquel cas M. Ould Mouknass serait le seul à le révéler ?

Quoi qu’il en soit, les milieux responsables marocains sont priés de fournir des éclaircissements sur la question et de publier un démenti officiel au cas où l’accord intervenu différerait desdites déclarations.

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AFP. Nouakchott – 15 Août 1973
Les objectifs du Front populaire pour la libération du Sahara sous domination espagnole

Les dirigeants du Front populaire pour la libération du Sahara sous domination espagnole (Saguiet el Hamra et Rio de Oro) ont réalisé la jonction avec les masses populaires saharaouies, a déclaré mercredi à la presse, l’un des responsables de ce Front. Les slogans politiques de ce mouvement sont l’unité arabe, le soutien aux mouvements de libération du Tiers monde et regroupement en un seul mouvement ouvert à toutes les idées des diverses forces populaires sahraouies pendant la phase de libération, a souligné ce dirigeant.

En ce qui concerne le « Morehob », mouvement né au Maroc, dont le siège se trouve actuellement à Alger, le Front populaire selon son représentant, estime qu’il est né d’une « machination marocaine », et qu’il n’a aucune activité politique à l’intérieur du territoire sahraoui.

Toujours selon ces renseignements, les mines de phosphates de Boukra, considérées comme les plus riches du monde, produiraient actuellement entre 10 et 15 millions de tonnes de phosphate par an, acheminés par des tapis roulants jusqu’à la mer, que la sécheresse dans la région entraine un important exode rural, et qu’elle a décimé les derniers mois plusieurs centaines de familles.

Le représentant du Front a d’autre part affirmé que la population sahraouie s’élève actuellement à 280.000 habitants, que la sécheresse entraine un important exode rural et qu’elle a décimé ces derniers mois plusieurs centaines de familles.

Enfin, il a indiqué que ce mouvement de libération était né à la suite du « massacre » de Zmaica (près d’Aioun), le 17 juin 1970 et que ses combattants utilisent des armes légères, « récupérées au cours d’attaques contre les patrouilles espagnoles ». Il n’a par contre voulu donner aucune indication sur l’organisation et l’importance des forces du Front de libération.

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Nouakchott – 7 Août 1973
à diplomatie n° 438 & via le Département : Alger n° 076, Rabat n° 061, Madrid n° 037
Front populaire de libération de la Saguiet-el-Hamra et du Rio de Oro

En l’absence du correspondant de l’Agence France presse, c’est son remplaçant, journaliste mauritanien de la radiodiffusion nationale qui, sur la foi d’un communiqué du « Front pour la libération du Rio de Oro et de la Saguiet El Hamra », a fait hier état d’accrochages meurtriers au Sahara espagnol.

L’auteur de la dépêche est lié aux membres du « Front », résidant à Nouakchott, avec lesquels il partage son logement. Il ne semble donc pas que cette information ait pu être publiée sans l’assentiment des autorités.

L’ambassade d’Espagne qui nie la réalité des incidents, pourrait effectuer une démarche auprès du gouvernement mauritanien pour protester contre la diffusion de telles nouvelles. /.

Oddos

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Nouakchott, le 10 Septembre 1974
note d’information
SECRET
Objet : Sahara espagnol

Selon des informations recueillies ici, le dispositif militaire mauritanien aurait été renforcé dans le nord du pays, dans la région d’Aïn Ben Tili, en raison de l’évolution de la situation au Sahara espagnol ; le poste de Bir-Moghrein ne serait pas touché par ce mouvement.

Sur le plan des effectifs, une grande partie des jeunes soldats mauritaniens recrutés récemment par l’armée mauritanienne aurait été affectée à ce secteur où elle poursuivrait un entraînement organisé avec l’aide d’officiers et sous-officiers algériens.

Sur le plan du matériel, quelques canons et des armes automatiques, ainsi que des véhicules tous terrains, fournis par l’Algérie et la Libye [i], auraient été acheminés, sur ce secteur. Les véhicules seraient équipés d’un poste radio et d’une arme automatique.

En ce qui concerne le Front de libération de la Saguiet el Hamra et du Rio de Oro, ses groupes, dont l’importance est inconnue, continueraient à camper dans la région. Ils seraient eux aussi dotés de véhicules tous terrains semblables à ceux de l’armée mauritanienne et seraient en liaison constante avec celle-ci.

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Nouakchott, le 12 Septembre 1974
n° 268 DAM
CONFIDENTIEL
A/s : la Mauritanie et le Front de Libération de la Saguiet El Hamra et du Rio de Oro

De récents communiqués de presse du « Front de libération de la Saguiet El Hamra et du Rio de Oro » ont attiré à nouveau l’attention des observateurs sur une organisation qui n’avait plus fait beaucoup parler d’elle depuis l’annonce de sa création et ses premiers bulletins de « victoire » en juillet 1973. Si l’A.F.P. reste l’agence à laquelle le front semble réserver la primeur de ses informations, il est à remarquer que ce n’est plus le bureau de Nouakchott mais celui d’Alger qui en est destinataire. Ce changement n’est peut-être pas sans signification en ce qui concerne l’évolution de l’attitude des autorités mauritaniennes envers ce mouvement de libération.

Les premières manifestations d’un appui mauritanien à ce type d’action datent d’avant l’annonce de la création du front puisque dès mars 1973 une résolution de l’U.T.M. apportait son « soutien au peuple frère du Sahara sous domination espagnole dans sa juste lutte de libération » et condamnait « énergiquement les tentatives du gouvernement madrilène de faire tomber le peuple du Sahara dans le piège d’une autodétermination vide de tout contenu pour un peuple dominé ».

Le mois suivant, la centrale syndicale mauritanienne, intégrée au Parti, saluait « la naissance du mouvement de libération dit Avant-garde de la Saguiet El Hamra et du Rio de Oro ». Enfin, en juillet 1973, le Front de libération de la Saguiet El Hamra remettait au correspondant de l’A.F.P. à Nouakchott un « communiqué militaire » annonçant sa création et le lancement de ses premières opérations.

Cet ensemble de faits, joint les 17 juin 1972 et 1973 à des manifestations anti-espagnoles [ii], devait entraîner de fermes représentations de la part du Palais de Santa Cruz et le gouvernement de Nouakchott se voyait menacé de n’être plus considéré comme un interlocuteur valable par Madrid, s’il persistait à tolérer, sinon à soutenir, les activités des membres du front.

Dans une première étape, l’Ambassade d’Espagne obtenait l’éloignement de Nouakchott de la douzaine de représentants de l’organisation qui y résidait [iii]. Mais la Mauritanie n’en cessait point pour autant de leur accorder en sous-main un certain appui. Le front après la création du « Morehob » et du « Mouvement du 21 août » apparaissait en quelque sorte comme le pendant mauritanien de ces organisations soumises à l’influence d’Alger et de Rabat.

Nouakchott laissait alors s’installer dans le nord du pays des groupes armés dont les effectifs totaux paraissaient varier entre 60 et 200 hommes. Des relations étaient maintenues avec eux par l’intermédiaire d’officiers de l’armée nationale et aussi, semble-t-il, de Cheikh Malainine Robert, secrétaire général de l’U.T.M.

Cependant, craignant des incidents avec les forces espagnoles qui déclaraient vouloir user du droit de suite, les autorités de Nouakchott s’efforçaient de contrôler ces groupes pour éviter qu’ils mènent des actions au Sahara occidental. Elles acceptaient même de mener des opérations conjointes de surveillance, mais refusaient de recevoir à cet effet du matériel espagnol. Elles déclaraient pourtant vouloir renforcer leur potentiel militaire dans le nord du pays et il se pourrait qu’elles aient finalement recouru pour cela à l’aide algérienne et peut-être libyenne.

Devant cette attitude ambigüe, les efforts de la représentation espagnole paraissent avoir tendu à impressionner suffisamment les Mauritaniens pour qu’ils comprennent qu’ils avaient plus à perdre qu’à gagner en agissant ainsi. L’évolution de la politique de Madrid vers l’octroi de l’indépendance à court terme a sans doute beaucoup aidé nos collègues dans leur action et ceux-ci se targuent aujourd’hui d’avoir atteint leur but. Le camp principal du front qui se tenait dans la région d’Aïn Ben Tili et sur lequel flottait le drapeau de l’organisation aurait été, selon leurs dires, désaffecté et les hommes du front n’auraient plus l’oreille des autorités.

S’ils semblent avoir craint un instant que cette organisation ait pu bénéficier d’appuis de la part du Baath irakien [iv] et de pays communistes, en particulier de la Chine populaire [v], tout ceci leur paraît aujourd’hui dépassé.

Certains indices vont dans le sens de cette opinion. Ce sont d’abord les reproches que le gouvernement s’est vu adresser par les jeunes lors des conférences sud festival de la jeunesse, pour son attitude de « coopération » avec l’Espagne. D’aucuns, et ce n’est pas la première fois, l’ont même accusé de livrer des membres du front aux forces espagnoles.

C’est ensuite la remise au bureau de l’A.F.P. d’Alger de communiqués qui, auparavant, étaient diffusés depuis Nouakchott. Ceci pourrait en effet marquer l’évolution de l’attitude mauritanienne, à l’égard des activités du front, de la tolérance à l’interdiction. L’annonce de la prochaine mise en œuvre de l’auto-détermination au Sahara pourrait d’ailleurs amener les autorités de ce pays à considérer comme inutile désormais le moyen de pression que pourrait constituer l’existence du front.

En juin de cette année, la tribune du C.I.F. [vi] diffusait cependant une prise de position selon laquelle la Mauritanie fondait de « légitimes espoirs sur les groupes qui commencent de voir le jour dans ce territoire en vue d’amorcer le processus de libération ».
Il n’est pas interdit de penser dans ces conditions, que le gouvernement de Nouakchott pourrait tout aussi bien s’être mis d’accord avec son voisin algérien pour transférer les activités les plus voyantes de l’organisation sur le territoire de celui-ci [vii]. Alger verrait ainsi soumis à son influence directe deux des trois mouvements de libération du Sahara et, par leur intermédiaire, pourrait exercer une plus grande influence sur l’avenir d’un état Sahraoui indépendant./.

* * *

Nouakchott, le 16 Octobre 1974
n° 291 DAM
A/S. : de propos marocains sur le Sahara espagnol

Prenant prétexte d’une demande de renseignements au demeurant anodins, M. Hakim Semlali, ambassadeur du Maroc à Nouakchott a, de fort bonne heure pour ces temps de Ramadan, accordé une longue entrevue en sa résidence personnelle à l’attaché militaire de cette ambassade. Très vite, la conversation a pris le tour d’un plaidoyer en faveur des thèses marocaines sur le Sahara espagnol.

D’emblée, l’ambassadeur posait en principe que son pays était absolument opposé à l’organisation d’un référendum par l’Espagne. La conjoncture internationale et des considérations de politique intérieure avaient déterminé son souverain à durcir son attitude. L’exemple de la révolution portugaise, dans une Espagne affaiblie par la maladie du Caudillo, avait amené certains jeunes officiers de ce pays à se poser des questions sur le régime franquiste. Outre que maintenant l’Espagne restait maintenant aux yeux du monde le seul pays colonisateur, son armée n’avait pas l’homogénéité nécessaire pour mener une campagne outre-mer.

L’attitude très ferme du roi Hassan II lui avait permis de réaliser « l’union sacrée » et de rallier à sa personne jusqu’aux mouvements d’opposition les plus résolus. Dans ces conditions, la politique marocaine se devait d’écarter l’hypothèse d’un échec sur le plan extérieur. Elle entraînait obligation de se développer jusqu’à son terme, même si celui-ci devait être le conflit armé : « Nous pouvons perdre jusqu’au million d’hommes.

Cela résoudra le problème du chômage chez nous (sic.). L’Espagne ne peut pas en faire autant ».
Si, le 17 septembre, le roi n’avait pas annoncé l’entrée en guerre des troupes marocaines, c’était uniquement par souci de conciliation, pour sauver la dernière chance d’une solution négociée. Toutefois, si l’Espagne persistait dans son attitude, la confrontation serait inévitable. L’ONU, bien sûr, interviendrait mais le Maroc était décidé à pousser ses avantages au plus loin sur le terrain. L’exemple de Chypre était encourageant…

Si, par contre l’Espagne faisait preuve de compréhension le Maroc, soucieux comme toujours de respecter les intérêts des pays amis et connaissant la valeur des investissements déjà réalisés, était prêt à composer tant en ce qui concernait les phosphates ou la pêche que d’éventuelles bases militaires couvrant celle des Canaries. La détermination du Maroc était confortée par des appuis très précis.

L’Egypte, la Syrie, l’Arabie Saoudite, les Emirats, l’Iran, la Jordanie, la Tunisie l’avaient formellement assuré de l’envoi de contingents armés en cas de conflit. C’était assez dire que la guerre imposerait à l’Espagne une rupture quasi générale avec le monde arabe. Il en serait de même de la Corée du Nord dès que les relations diplomatiques avec celle-ci seraient établies, ce qui était imminent.

Boumedienne lui-même avait dit au roi : « Au premier coup de feu espagnol, toute mon armée est à votre disposition ». L’ambassadeur ajoutait : « Mais, bien sûr, nous n’en voulons surtout pas… ». Il suffirait à son pays que l’Algérie se contentât de fermer les vannes du gaz qui alimente les industries de Barcelone.

Au soutien actif des pays frères s’ajouterait la neutralité amicale des pays occidentaux, l’installation marocaine sur la façade atlantique du Rio de Oro écartant le danger de voir s’y implanter des bases soviétiques ou chinoises.

Cette dernière considération valait aussi pour le Royaume chérifien. Il y avait, en outre, nécessité urgente de freiner l’influence grandissante de l’Algérie dans le monde arabe et africain. Les mouvements de libération du Sahara avaient en effet promis à celle-ci un couloir d’accès à l’Atlantique en échange du soutien financier et militaire qui leur était déjà acquis. Que le Sahara devînt indépendant ou mauritanien, c’était un succès algérien et l’encerclement du Maroc par un pays dont le régime était à l’opposé du sien.

Assuré de l’appui de son peuple et de celui de la plupart de ses frères, le roi du Maroc était déterminé à crever l’abcès saharien. Il n’en demeurait pas moins encore disposé à accepter un référendum sous le contrôle de l’ONU. Mais il y mettait deux préalables : le départ de tous les étrangers, y compris les 71.000 soldats espagnols et le retour sur leur terre d’origine de tous les exilés dont quelques-uns se trouvaient en Algérie ou en Mauritanie mais dont l’immense majorité vivait au Maroc. Ces deux conditions remplies, le choix des populations sahraouies en faveur du Maroc ne faisait aucun doute.

Il y avait, certes, un litige avec la Mauritanie mais une négociation directe, écartant délibérément l’Algérie, allait permettre de le résoudre. L’arbitrage de la Cour internationale de La Haye qui ne pouvait que consacrer les droits marocains permettrait à M. Moktar Ould Daddah de se retirer de la compétition sans perdre la face. Il allait de soi que le Maroc serait ensuite tout disposé à accepter des modifications de frontière sur lesquelles on s’entendrait facilement entre voisins.

Ce point de vue avait été exposé au ministre mauritanien des Affaires étrangères le 14 octobre et aurait rencontré auprès de lui le meilleur accueil. L’ambassadeur s’apprêtait à montrer à notre attaché militaire le télégramme qu’il avait envoyé à Sa Majesté à propos des assurances mauritaniennes qu’il aurait reçues, lorsqu’un appel téléphonique de Rabat est venu malencontreusement mettre un terme à un entretien qui durait depuis près d’une heure et demi.

En définitive, M. Semlali a semblé aussi assuré du succès de son dossier à la Cour de La Haye que M. Mouknass le paraissait du sien (ma communication du 14 octobre). L’un et l’autre se disent les seules parties intéressées au sort du Sahara espagnol et également soucieux de se sauver réciproquement la face afin d’éviter soit que « les éléments armés marocains » soit que « la jeunesse mauritanienne toute acquise à l’opposition » ne se retournent contre leurs régimes respectifs.

Il est bien évident que les propos tenus par mon collègue mauritanien étaient à mon usage. Très conscient de ses bonnes origines fassies, de ses attaches avec le Cabinet royal dont il est issu, fier d’être un des plus jeunes ambassadeurs en Mauritanie alors que son pays y joue une partie fort délicate, faisant volontiers étalage de sa culture islamique, passablement naïf, M. Semlali est un personnage complexe.

Ses propos sont pris avec moins de sérieux par ses collègues que par lui-même. Il convient donc d’apprécier son discours avec de grandes réserves. Il n’en reste pas moins qu’il vient de passer son mois de vacances en mission pour se trouver successivement à la fin du mois d’août en Russie, en Chine et en Corée du Nord. Il a eu tout le temps, au cours de ce long périple, d’apprendre et répéter la leçon qu’il a si bien récitée au Colonel Dorandeu./.

Henri Gauthier

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Nouakchott, le 24 Octobre 1974
n° 40 DA-DAM
pour diplomatie Paris . Direction des Affaires Africaines et Malgaches
Objet : Sahara espagnol

La dépêche que le représentant de l’Agence France-Presse à Nouakchott a donnée le 21 octobre sous le titre : « Sahara : détente avant le sommet de la Ligue arabe », a retenu toute mon attention car elle confirmait point par point les propos que M. Mouknass et nos collègues espagnols m’avaient tenus en diverses occasions et dont j’ai rendu compte au Département.

Je viens d’apprendre par son rédacteur qu’elle avait été directement inspirée par le ministre des affaires étrangères qui l’avait reçu vendredi dernier pendant près d’une heure. M. Mouknass tenait à préciser ses positions avant de gagner le sommet de Rabat, sans que cela fût rapporté sous forme de conversation, ni même que référence fût faite à une source mauritanienne trop précise. Pour mieux brouiller les cartes, il a été convenu entre les deux interlocuteurs que la diffusion de cette dépêche serait différée au lundi, lendemain du départ du ministre.

Ceci explique sans doute que M. Mouknass n’ait pas jugé utile de convoquer la presse à l’aéroport (ma communication du 21 octobre) et vaut d’être tenu pour une confirmation de la conception que le gouvernement mauritanien se fait d’une possibilité d’évolution d’un problème qui était encore, il y a peu, brûlant./.

Gauthier

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Nouakchott, le 23 Décembre 1974
n° 46 DA-DAM
pour diplomatie Paris . Direction des Affaires Africaines et Malgaches
Objet : Affrontements aux frontières mauritaniennes

Nos collègues espagnols confirment l’affrontement du 19 décembre dernier dont fait état la dépêche de l’Agence France Presse du 20 décembre en provenance de Madrid. C’est, de leur avis, l’incident le plus sérieux de ces dernières années.

Jusqu’à présent, le Front Populaire pour la Libération de la Saguiet el Hamra et du Rio de Oro ne s’était guère manifesté que par des coups de feu isolés ou des actions d’intimidation qui avait pu, parfois, entraîner des désertions individuelles dans les rangs sahraouis éprouvés par l’isolement de certains petits postes.

La destruction, le 26 octobre dernier, de la bande de transport du gisement de Bou-Craa par un cocktail Molotov avait été le fait de deux employés locaux de la société espagnole, rapidement arrêtés. Jeudi dernier, par contre, les trois Land-Rover qui patrouillaient à proximité immédiate de la frontière mauritanienne, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest d’Aïn Ben-Tili, étaient tombées dans une embuscade soigneusement préparée.

Attaquée dans le fond d’un oued peu avant le coucher du soleil, l’unité espagnole a poursuivi le combat toute la nuit contre une trentaine d’irréguliers répartis en deux fractions. Elle n’a dû son salut qu’à l’intervention des légionnaires de Téfariti, alertés par radio. L’engagement a fait cinq morts du côté espagnol, dont le sous-officier commandant le détachement de renfort ainsi qu’un blessé léger. Le Front, outre six cadavres sur le terrain, laissait trois blessés graves aux mains des espagnols.

En feignant de considérer cette entreprise du Front Polisario [viii]comme un « sursaut désespéré », nos collègues entendent manifestement minimiser l’événement. Ils estiment que cette « affaire locale » ne vaut pas représentation au gouvernement mauritanien.

Le temps est loin où, le 10 novembre 1963, le gouverneur général du Rio de Oro faisait, de sa propre initiative, savoir par télex au président Moktar Ould Daddah que si quelques prisonniers enlevés par une bande opérant à partir du territoire mauritanien ne lui étaient pas rendus dans un délai de douze heures, il ferait bombarder la ville d’Atar./.

Gauthier

[i] - note du rédacteur en bas de page – certains espèreraient même une aide en matériel des pays de la Ligue arabe et de la Chine

[ii] - note du rédacteur en bas de page – commémoration des incidents d’El Aïoun du 17 juin 1970

[iii] - note du rédacteur en bas de page – le remplaçant mauritanien du correspondant de l’A.F.P., trop lié avec le Front était intimidé et cessait de faciliter la publication des « communiqués militaires » de l’organisation

[iv] - note du rédacteur en bas de page – l’ambassade d’Irak aurait ainsi aidé le front à ronéotyper certains communiqués et l’ouverture d’une représentation à Bagdad, comme à Nouakchott, Alger, Tripoli d’ailleurs aurait été envisagée par l’organisation

[v] - note du rédacteur en bas de page – l’Ambassade de Pékin à Nouakchott aurait versé une aide financière modeste à des émissaires du front

[vi] - Centre d’information et de formation du Parti unique de l’Etat, sous l’autorité directe du Permanent – note BFF

[vii] - note du rédacteur en bas de page – certaines informations qui n’ont pu encore être recoupées font état cependant du maintien de la présence de certains groupes du front dans la région d’Aïn Ben Tili. Equipés de véhicules semblables à ceux de l’armée mauritanienne, encadrés par des instructeurs algériens en tenue, leur mobilité leur permettrait d’être moins aisément repérables

[viii] - dans le texte d’archive – note BFF



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