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16-05-2015

21:15

Une présentation de l’histoire de la fondation mauritanienne – journal et entretiens avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske automne de 1967

Le Calame - Suite de leur publication des 11, 18, 25 mars & 8, 22 avril & 6 mai derniers
Evaluation d’un témoignage
A la suite de mes entretiens avec l’ancien co-fondateur de la Nahda, puis premier « permanent » du Parti du Peuple Mauritanien et enfin ambassadeur aux Etats-Unis et à l’O.N.U., j’ai rédigé ma compréhension d’alors sur le parti d’opposition nationaliste puis mis au net, dans les quarante-huit heures, l’ensemble de mes notes : en effet, je retournais juste en Mauritanie par un stage de l’E.N.A. française que j’avais obtenu d’effectuer à Miferma.

Ahmed Baba Ould Ahmed Miske ne me répondit que six mois plus tard et en contestant le bien-fondé de ces mises au net. J’avais, avec lui, travaillé comme avec le président Moktar Ould Daddah, notant sous ses yeux le maximum de mots-mêmes. J’en ai gardé jusqu’à ce jour le manuscrit. Je crois ne pas avoir trahi mon interlocuteur.

Ce n’est qu’à partir de Décembre 1979 que j’ai enregistré, avec leur permission, mes interlocuteurs : pendant une dizaine de jours, le président Moktar Ould Daddah, à Toulon, au début de son exil. Des pré-mémoires. Le Calame a ainsi publié en 2007 et 2008 les propos que m’ont confiés les colonels Mustapha Ould Mohamed Saleck et Mohamed Khouna Ould Haïdalla, mais l’un et l’autre ont revu le verbatim enregistré et l’ont sensiblement amendé.

C’est leur révision qui a été donnée au lecteur. En revanche, les notes rendant compte des positions françaises sur le putsch de 1978 et sur celui de 2008 sont prises de mémoire et après coup. Tandis que celles donnant mon entretien – particulièrement confiant et émouvant – avec le « père de la nation » au moment de la demande de révision des accords avec la France (Août 1972) sont prises sous les yeux du Président.

Je n’ai plus jamais rencontré Ahmed Baba Ould Ahmed Miske. M’aurait-il justifié son rôle au sein du Polisario, puis son retour à Nouakchott dans la perspective d’être Premier ministre des militaires au lieu de Sid’Ahmed Ould Bneijara ? Ou l’aurai-je rencontré à la présidence de la République, proche du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi quand je devais venir à Noualchott revoir celui-ci dans le courant d’Août 2008 ?

Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge

6Synthèse (BFF – Octobre 1967) des positions de la Nahda, fondée sur les précisions apportées par Ahmed Baba Ould Ahmed Miske

Positions intérieures

La Jeunesse, puis la Nahda sont issues d’une réaction d’éléments jeunes, écoeurés de certains agissements des milieux politiques traditionnels (UPM, PRM) et en révolte devant la colonisation. Il s’agit de « libérer » la Mauritanie des colonialistes. Le but suprême est l’indépendance. Il s’agit de construire un Etat moderne, d’organiser le peuple dans la voie du progrès.

C’est un groupe qui se veut « pur et dur ». Il ne s’agit nullement de révolution, et encore moins de subversion. Mais de créer quelque chose qui soit vraiment le parti du mouvement.

Ces éléments ne souhaitent pas le pouvoir, et font preuve d’une ignorance totale – au moins au début – des milieux politiques. On ne veut d’ailleurs pas faire de politique, encore moins y faire carrière. Ou alors il s’agit de Politique, avec un P majuscule.

Vis-à-vis du gouvernement issu de la loi-cadre, on n’attaque pas personnellement Moktar, que l’on considèrera, plus ou moins, en dépit d’incidents graves, jusqu’à l’indépendance, comme prisonnier de certains milieux français ou réactionnaires.

Positions vis-à-vis du Maroc

Elles ont été dénaturées par tout le monde.

Le Maroc prétendant que la Nahda est son agent en Mauritanie.

La colonisation et Moktar ont saisi l’occasion de faire de la Nahda, non pas une opposition légale, mais un groupe que l’on peut mettre au pilori, un épouvantail, en faisant passer la Nahda comme pro-marocaine. Tout le monde a donc eu intérêt à faire de la Nahda une formation quasi marocaine.

La position de la Nahda était d’ailleurs relativement subtile, et difficile – en de moments où le Maroc revendiquait ouvertement la Mauritanie, et où Horma dépêchait ses tueurs – et diffile à faire bien saisir.

Pour les dirigeants de la Nahda, le Maroc n’a absolument rien à voir avec la Mauritanie. Ses revendications sont totalement dénuées de fondement. Mais, il s’agit d’un pays frère et très proche, qui s’est libéré déjà du joug colonial.

Il devrait pouvoir aider les nationalistes mauritaniens à en faire autant dans leur propre pays. De toute façon, à l’avenir, une coopération sur tous les plans est éminemment souhaitable entre le Maroc et la Mauritanie. Mais il faudrait bien sûr que la question de la revendication soit complètement abandonnée.

Affirmer de telles positions ne manquait pas de courage politique. La propagande marocaine n’a eu pour résultat que de compromettre la Nahda et de donner une arme à ses adversaires.

oOOOo

Lettre manuscrite d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske en réponse à ma communication par la poste – le 27 Octobre 1967 – de la mise au net dacylographiée des notes manuscrites prises à mesure de nos conversations

Paris, 30 Avril 1968

Cher ami,

Je vous remercie d’avoir bien voulu me communiquer des notes relatives à nos entretiens d’octobre dernier. Je suis sensible au souci d’exactitude qui vous amène à me demander de les revoir. Je regrette de ne pas avoir pu le faire plus tôt, faute de temps.

Je suis obligé de vous avouer, en toute amitié, que je ne puis considérer ces notes comme un compte-rendu correct de nos entretiens. Cela est peut-être dû à la méthode que vous paraissez avoir utilisée : résumer à la hâte mais en paraissant noter textuellement mes propos, ce qui vous en semblait essentiel.

Vous m’attribuez ainsi des « propos » qui sont en fait la synthèse élaborée dans votre esprit pendant que vous m’écoutiez, et qui étaient souvent le résultat de malentendus, de contresens parfois aggravés par une schématisation trop poussée.

Voici un exemple typique d’une schématisation excessive dont le résultat est de me faire dire à peu près le contraire de ce que j’ai dit : « La France continue de jouer un grand rôle en Mauritanie. La situation objective fait dépendre la Mauritanie de la France. C’est encore normal… ».

Un lecteur éventuel, même de bonne foi, pourrait bien en conclure que « l’auteur » est un tenant enragé d’un colonialisme sans fard. Je ne crois pas, en vérité, qu’une telle définition puisse s’appliquer à moi. De plus, je me souviens bien de très longs développements que « résument » ces trois petites phrases.

Ils portaient, en gros, sur le rôle de la France en Mauritanie, sur la dépendance totale du régime mauritanien actuel dans tous les domaines (malgré les airs d’indépendance qu’il se donne parfois). Sur le rôle des conseillers et assistants techniques, en particulier dans la répression entreprise contre les opposants, supposés ou réels (affaire Miské, etc…).

Sur le rôle des ambassadeurs de France : celui que jouait M. Deniau, celui que joue (ou ne joue pas) son successeur. Nous en avions conclu que, dans certains cas tout au moins, la France pouvait difficilement se retrancher derrière le principe de la « non-intervention dans les affaires intérieures d’un Etat indépendant », car l’intervention existe de toute façon, à partir du moment où « l’Etat » en question est maintenu dans une situation de dépendance, de protectorat de fait.

Vous avez-vous-même fort justement convenu que l’ambassadeur de France aurait dans tous les cas dû prendre toutes dispositions nécessaires pour empêcher les fonctionnaires français en service en Mauritanie de contribuer directement à une répression injuste et peu conforme à une vue intelligente des intérêts de la France. C’est dans cet esprit d’ailleurs qu’à votre avis l’ambassadeur Deniau aurait agi, s’il était encore en Mauritanie.

Ce qui est « encore normal », c’est donc ce genre « d’intervention », la situation étant « encore » ce qu’elle est – une situation de dépendance. Mais n’est pas normal qu’elle le soit. La nuance est, je crois, importante. L’équivoque aussi.

Il serait trop long de commenter ici d’autres exemples : il y a de trop nombreux « raccourcis » qui donnent des effets de même nature. Il y a par ailleurs des systématisations, des généralisations qui dénaturent fréquemment des idées, tout en nuances, qui attribuent à votre interlocuteur des hypothèses qu’il ne faisait qu’évoquer, sans les faire nécessairement siennes (même en tant qu’hypothèses). Exemples : certains passages relatifs aux « transfuges », aux origines du « Fédéralisme », aux problèmes ethniques, etc…

Ce qui aggrave tout cela, c’est le ton direct que vous donnez à ces propos. Je dois reconnaître qu’en les lisant, non seulement je n’y ai pas toujours rencontré, sur le fond, mes idées, mais en plus j’y ai rarement retrouvé mon propre style d’expression. Et pourtant, tous ces propos me sont attribués comme des « citations » textuelles.

Est-il besoin de souligner que je mets pourtant pas en doute votre bonne foi – la franchise de ces remarques est à mes yeux la meilleure preuve de confiance. Ce qui est en cause, à mon avis, c’est – en dehors des conditions de travail inconfortables – votre méthode, peut-être trop ambitieuse.

Il y a, je crois, deux façons correctes de rendre compte d’un entretien : soit de le rapporter textuellement, in extenso – et cela vous était évidemment impossible, dans les conditions où nos rencontres ont eu lieu, soit d’en faire un résumé objectif, retenant les idées et les faits essentiels, et éventuellement illustré de citations significatives. Votre « synthsèe des positions de la Nahda » est une illustration de l’excellence de cette dernière méthode, lorsqu’elle est correctement appliquée.

Vous trouverez peut-être que je pousse trop loin le souci de l’exactitude car il ne s’agit, pour vous, que de « notes de travail ». mais est-il souhaitable de « travailler » sur la base de « notes erronnées » ?

Je reste en tout cas à votre disposition pour revoir tout cela avec vous et pour évoquer, éventuellement, d’autres points, intéressant vos travaux. Téléphonez-moi, si vous le voulez bien, avant la fin de la semaine pour fixer un rendez-vous, car je dois quitter Paris très prochainement.

Très cordialement à vous. Paragraphe illisible

Prochaines publications

Le 20 Mai – selon les archives de l’ambassade de France, les demandes de garanties présentées l’été de 1962 par des représentants des populations de la Vallée du Fleuve, à la suite du congrès de l’Unité

Le 27 Mai – suite des documents diplomatiques français sur la question puis la guerre du Sahara mauritanien.





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