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04-08-2015

13:10

Les idéologies politiques en Mauritanie : La fin de la race des combattants

L'Authentique - L’idéologie politique, les principes forts et les convictions trempées à l’acier de la résistance pour les idéaux nobles, ont tous disparus. L’ère des vrais combattants de la liberté des peuples, de la justice sociale et du sacrifice suprême, est révolue.

Place à une nouvelle race de militants adeptes de la politique du ventre. Ce qui explique aujourd’hui le recul de la lutte politique et la mort programmée du pluralisme démocratique en Mauritanie. L’idéologie politique représente l’âme de tout combat partisan.

Elle est l’énergie qui alimente sa force de propulsion, celle qui transcende toutes les tentations et qui permet au véritable militant de dépasser les petites contingences matérielles pour un idéal à atteindre même dans le plus long terme.

Aujourd’hui, force est de constater que le combat politique n’a plus de vrais héros en Mauritanie, ni de simples soldats dévoués aux causes nobles, celles qui dépassent les petits calculs d’égo et les ambitions d’une vie matérielle à satisfaire par tous les moyens.

C’est cette mort idéologique et la fin de l’idéal politique qui ont donné à la postérité des hommes, tels que les premier précurseurs de la Mauritanie indépendante, la génération de la fin des années 50 au 18 juillet 1978, et même ceux qui les ont suivis depuis, jusqu’aux féroces luttes contre le régime de Taya.

C’est à partir de 2005, que les ambitions personnelles et la course vers les privilèges ont commencé à éroder l’idéal politique et à prostituer les résidus d’une lutte partisane qui allait s’émousser au fil des années, expliquant aujourd’hui la mort de la lutte militante. La Mauritanie n’a plus de soldats dévouée à sa cause, mais de simples convives prêts à festoyer sur son corps échancré et sanguinolent.

Les héros des premières années d’indépendance

Aux premières heures de l’indépendance, l’énormité des défis et la modestie des moyens allaient forger la réputation de ceux que la postérité allait appeler à juste titre « Les Bâtisseurs ».

D’un pays désertique, sans infrastructures, sans ressources et sans cadres en nombre suffisant, avec une population nomade non compressible ni dans le temps ni dans l’espace, allaient émerger une race de Mauritaniens qui étaient prêts à mourir pour bâtir une Nation et créer ex-nihilo, un Etat. Pari réussi, car quelques années plus tard, ce jeune pays allait résister aux convoitises des annexionnistes et s’imposer sur la scène internationale.

C’est l’époque de l’administration citoyenne, celle des compétences, de la probité intellectuelle qui donneront naissance à une foule d’administrateurs tous plus exemplaires les uns que les autres. Tous, sans exception, avaient chacun, pris individuellement, de quoi bâtir une légende, d’où la difficulté de les citer.

En cette période, on savait démissionner, on savait porter la contradiction au Maître, on savait défendre ses convictions. Les salaires étaient modestes, le cadre de vie simple et les besoins limités. L’argent public avait un caractère sacré et nul ne pensait puiser impunément dans les caisses de l’Etat.

Le chef de l’Etat de l’époque, Me Mokhtar Daddah ne confondait pas les sous de la République avec sa poche et ne chercha nullement à s’enrichir au détriment de son peuple. Un chèque que lui avait remis le président Mobutu, il le reversera au trésor public. Il ne s’est jamais approprié les nombreux dons en nature ou en espèce qu’ils recevaient des chefs d’Etat étrangers ou des Rois.

Cette période a permis la réalisation de grandioses projets et le bien-être du peuple. Malgré tout, ce régime avait ses détracteurs, dont les plus puissants furent les Kadihines à l’idéologiste marxiste-léniniste qui allait l’obliger à prendre des réformes novatrices à l’époque où les colonies nouvellement indépendantes n’osaient encore affronter l’hégémonie de la métropole française.

Les Kadihines par la force de l’idéologie qu’ils portaient constitueront vite un pôle attractif pour toute une jeunesse qui croyait en la force de leurs convictions. Ils eurent aussi leurs martyrs, des jeunes fauchés à la fleur de l’âge et qui s’étaient sacrifiés pour un idéal auquel ils croyaient de toute leur force. Cette époque sera dominée par la floraison des idéologies, Nassérisme, courants négro-africains, marxisme-léninisme, Trotskisme, etc.

L’après1978

Le coup d’Etat de 1978 qui mettra fin au règne des « Bâtisseurs » sera marqué par les premières « trahisons » de l’histoire politique en Mauritanie. C’est l’époque où apparut le premier coup de pioche destiné à enterrer le règne des idéologies et la mort des convictions partisanes.

Le pouvoir militaire naissant, qui allait régner sur la Mauritanie, savait que son pire ennemi, est l’idéologie politique, contre laquelle il allait mener un combat féroce.

Cette lutte trouvera son paroxysme sous le règne de Ould Haidalla qui allait remplir les prisons mauritaniennes de prisonniers politiques et de détenus d’opinion, Nasséristes, Baasistes, avec à la clé les exactions contre le premier mouvement d’émancipation des Haratines et esclaves, représentés par El Hor.

L’arrivée au pouvoir de Ould Taya en 1986 sera à son tour très vite marqué par la purge contre la communauté négro-africaine, chassée de l’armée, des corps constitués, de l’administration publique, massacrée et déportée en masse, en représailles au pogrom mené par le Sénégal contre les Maures.

Ces années de braise où l’idéologie Flamiste fut l’ennemi déclaré dureront jusqu’en milieu des années 90. Entre temps, intervient le fameux discours de La Baule qui introduira la démocratie et le multipartisme. Le pouvoir militaire se mue en pouvoir civil après un dur combat contre la plus forte concentration d’opposants que le pays ait jamais connu.

La saignée contre les porteurs d’idéaux atteindra son paroxysme à cette période, avec la défection des « chasseurs de postes de privilèges » qui quittèrent en masse les rangs de l’opposition pour rejoindre le camp des plus forts.

Entre le PRDS et les forces de l’opposition, qui avaient éclaté en mille morceaux, après des luttes intestines de leadership et d’égo, se poursuivra ainsi sur une période de vingt et une années, sans répit. Des leaders politiques feront plusieurs aller-retour entre la rue, où ils animent la contestation publique, et les prisons. Plusieurs idéologies s’affronteront au cours de cette longue époque.

A côté du PRDS, le super parti au pouvoir, dont la seule ambition affichée par ses membres est la conquête de privilèges individuelles, évolueront toute une masse de formations politiques de l’opposition gangrénée par des dissensions et fortement divisées face à un puissant régime qui avait remplacé les convictions partisanes par la politique du ventre.

Il parviendra ainsi à caporaliser tous les grands électeurs, chefs de tribus, hommes d’affaires, religieux, pour se maintenir face à une opposition en perpétuelles dissensions. Du FDUC qui avait représenté l’opposition radicale face au régime militaire de Ould Taya allait exploser en mille morceaux, sécrétant l’UFD, qui se scindera ensuite avant de disparaître, donnant naissance au RFD et à l’UFP, à côté d’autres défections qui allaient déboucher sur AC, etc.

Aux indépendantes d’Ahmed Daddah allaient s’opposer les Marxistes de Mohamed Maouloud, puis la tendance El Hor de Messaoud Ould Boulkheir, tandis que les Islamistes avaient laissé leurs forces diffuses à l’intérieur de plusieurs partis. Malgré la férocité de la répression, l’opposition était restée vive, présente et forte.

La transition de 2005-2007 et le coup d’Etat de 2008

A la chute de Ould Taya en 2005, l’opposition crut son moment venu de prendre les rennes du pouvoir et mettre ainsi fin, au long règne du pouvoir militaire. Mais la cupidité de certains de ses leaders et leur naïveté allaient permettre aux militaires de bien s’aplatir pour mieux sauter.

En ce moment crucial de l’histoire politique en Mauritanie, l’idéologie politique avait déjà commencé à quitter le corpus ambiant, au détriment de l’individualisme et de la recherche du gain immédiat. Les militaires parviendront à revenir au pouvoir en utilisant un éléphant blanc qui sera vite dégagé lorsque le moment venu de se porter aux premiers plans sonna.

Et ce retour se fera aux détours de vils marchandages sous-tendus par des inimitiés personnelles entre certains chefs de l’opposition. Le coup d’Etat de 2008 finira par sonner le glas au règne des idéologiques politiques et à celui des convictions partisanes, permettant à d’autres formes de contestations, raciales, ethniques, communautaristes, régionales, de prendre le relais.

Aujourd’hui, la scène politique est marquée par un vide qui explique ainsi la fin des porteurs d’idéaux. Personne ne croit plus en la Mauritanie, ni à son peuple. L’élite intellectuelle se dispute les restes putrides d’une Nation qui se meurt à l’ombre des grandes fortunes qui ont pillé ses ressources et qui continuent à marchander le reste de ses organes vitaux.

Cheikh Aidara



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