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27-09-2015

22:00

Coopération décentralisée franco-mauritanienne : Changement de regard au Nord et au Sud ?

Mohamed Lô - On peut estimer entre 40 et 75 les coopérations conduites ou appuyées par les collectivités françaises, dont la moitié environ est active, et représente près de 74 projets mis en œuvre (chiffre de l’ambassade de France en Mauritanie).

Les collectivités territoriales françaises sont encouragées à se mobiliser en Mauritanie pour mettre en œuvre les priorités de développement, en cohérence avec les lignes directrices portées par le Ministère des Affaires Etrangères et du Développement International (MAEDI). Elles ont pour la plupart une histoire au moins décennale. La décentralisation n’a pas suscité à ce jour un accroissement significatif du nombre de coopérations décentralisées.

L’initiative de cette forme de coopération vient par des connaissances (élus ou personnes ressources), par un projet collectif ou par l’initiative des migrants vivant dans le terroir d’accueil. Actuellement, deux modalités prennent le pas sur les autres: l’incitation par des organismes spécialisés (Cités Unies France ou Grdr-Groupe de Recherche e et de Réalisations pour le Développement Rural par exemple) et la « diffusion par proximité ».

Dans cette dernière formule, la collectivité locale mauritanienne, souhaitant nouer des relations de jumelage/coopération, s’adresse à une de ses communes voisines bénéficiant déjà elle-même d’une coopération décentralisée. Cette dernière sollicite à son tour son propre partenaire en France qui l’oriente vers une commune de son propre voisinage. Par ailleurs, Cités Unies France, dans cette forme de coopération, joue un grand rôle d’appui-conseil et d’orientation des collectivités locales étrangères.

Par rapport au sujet précité, les collectivités partenaires ont toujours des regards particuliers par rapport à la collectivité étrangère sur la façon de la mise en œuvre des projets de coopération décentralisée.

La collectivité française s’engage dans des actions de renforcement des capacités des collectivités mauritaniennes, lorsqu’au préalable le regard porté sur ce partenaire soit celui qu’elle porterait sur une autre collectivité de France ou d’ailleurs. Certes les collectivités mauritaniennes sont jeunes et leur fonctionnement fait face à de nombreuses difficultés d’organisation et de compétences dans le domaine de management des projets de coopération internationale mais elles peuvent être considérées comme des interlocuteurs institutionnels évoluant dans un contexte politique et législatif précis.

Il s’agit également de leur reconnaître une capacité de maîtrise d’ouvrage, or cette maîtrise d’ouvrage est restée aux mains de la collectivité française ou de l’opérateur qu’elle a choisi le plus souvent unilatéralement. Cette forme d’accompagnement, n’en profite pas aux collectivités mauritaniennes partenaires pour le renforcement de leur capacité. Des interlocuteurs mauritaniens et des acteurs français eux-mêmes considèrent que certains partenariats sont encore trop empreints d’une logique assistancielle et de bons sentiments à la limite du néocolonialisme ou du paternalisme.

La persistance du caractère personnel et affectif de certaines relations peut également aboutir à des effets pervers : exclusivité des relations, blocages lors du renouvellement des mandats...

Il ne s’agit pas de bureaucratiser la relation mais de la professionnaliser. Il est important de définir un cadre clair de mise en œuvre et de suivi des projets de coopération notamment via la contractualisation au minimum d’une convention de partenariat et de préférence de conventions opérationnelles. Ces conventions permettent une clarification du rôle de chaque acteur et de leurs engagements et elles constituent une base de dialogue en cas de malentendus. Ce changement de regard au Nord n’est pas le seul fait des collectivités mais également de leurs opérateurs.

Du côté des collectivités mauritaniennes, certaines postures conduisent à l’abandon d’un partenariat et méritent un réel travail de réflexion de la part des élus locaux :

- logique de court terme : le partenariat n’est pas envisagé sur le long terme mais comme une opportunité dont il faut profiter rapidement pour satisfaire les besoins du moment ;

- logique d’exclusivité : le partenariat est investi par un village, une communauté à son profit exclusif.

D’autre part, en considérant la coopération décentralisée comme «une variable d’ajustement» du budget de la collectivité locale, la relation risque de décevoir le partenaire français qui souhaite être considéré comme un partenaire et non pas uniquement comme un bailleur.

En fait, si les élus locaux mauritaniens à la recherche de partenaires, ont de prime à bord cette représentation, ceux qui sont engagés dans une coopération décentralisée comprennent par la suite que les collectivités françaises si elles ont des moyens limités, peuvent offrir un appui technique intéressant. D’une façon plus générale, il semble que les collectivités mauritaniennes (notamment celles qui bénéficient d’un partenariat depuis plusieurs années, c’est le cas par exemple des coopérations décentralisées Aubervilliers-Boully, Région du Gorgol - Région Centre, Communauté Urbaine de Nouakchott – Région Ile-de-France, Noisy-le-Sec - Djeol….) soient désormais plus exigeantes vis à vis des actions qui leur sont proposées.

C’est-à-dire qu’elles sont sorties de la posture de receveur et négocient les objectifs des projets. Mais trop d’entre elles continuent à accepter des termes de coopération qui ne leur conviennent pas alors qu’elles auraient la possibilité de faire valoir leurs exigences lors de la signature de la convention. Celles-ci préfèrent voir les projets démarrer rapidement quitte à revenir par la suite sur les modalités de fonctionnement du partenariat. Elles portent alors une réelle responsabilité dans les dysfonctionnements qui apparaissent ensuite.

Enfin, certains (au Nord comme au Sud) regrettent que les collectivités mauritaniennes n’intègrent pas la notion de réciprocité dans le partenariat. Cette notion de réciprocité est délicate. De façon générale on entend par réciprocité une reconnaissance mutuelle des partenaires dans leur capacité à donner et à recevoir. Mais en réalité des représentations différentes cohabitent au sein même des collectivités françaises et laissent perplexes les élus locaux mauritaniens.

En effet, les attentes (exprimées ou non) envers la réciprocité sont de l’ordre de deux niveaux :

- les actions mises en concertation doivent profiter en retour à des acteurs locaux (associatifs et des secteurs économiques)) ;

- les ressources non matérielles de la collectivité partenaire française (savoir-faire en terme d’ingénierie sociale, échanges culturels, etc) doivent être valorisées.

S’il est certain que pour la plupart des élus locaux mauritaniens, la notion de réciprocité n’est pas présente au sein de leur réflexion, d’autres considèrent que cette notion est une nouvelle exigence des partenaires du Nord pour lesquels il s’agit de justifier l’intérêt local.

D’autre part, les élus du Sud font remarquer que leurs interlocuteurs du Nord expriment très rarement leurs propres besoins et attentes vis-à-vis de la coopération et qu’ils n’apparaissent jamais dans une convention. Il est difficile alors pour eux de mettre en place une réciprocité dans les échanges si on les cantonne à des receveurs.

Mohamedou Lô

Spécialiste en conception de projet en coopération pour le Développement (Univ Poitiers) et en conseil aux collectivités territoriales en stratégie de développement durable (Univ Paris 13)

mohamed.lo19@yahoo.fr





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