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01-01-2016

04:30

Dr Mariella Villasante : L’histoire politique de la confédération des Ahl Sidi Mahmud Assaba, Mauritanie(2)

Adrar-Info - Naissance et développement initial : une confédération fondée sur l’alliance politique
• Les Ahl Sîdi Mahmûd se sont constitués autour d’un personnage religieux placé en dehors du système confrérique bidân, Lemrâbot Sîdi Mahmûd (m. 1786), des Idawâlhajj de Wadân.

Pendant la vie du fondateur de la confédération, les Ahl Sîdi Mahmûd adoptèrent le statut religieux propre à la hiérarchie de groupes statutaires bidân, sans jamais prendre les armes.

Cependant, après sa mort, son fils Abdellahi a assumé une chefferie tournée vers l’accroissement du pouvoir politique, ce qui impliqua l’adoption des coutumes guerrières et la reconnaissance d’un double statut, religieux et guerrier. D’autres groupes de l’est du pays se trouvent dans la même situation (Kunta, Laglal, Boradda-Awlâd Daud (Villasante 1996b, 2002a).

• Cela dit, la constitution segmentaire des Ahl Sîdi Mahmûd ne peut être expliquée par des causes exclusivement religieuses. Leur émergence fut en effet précédée par la création d’une nouvelle fraction au sein de la qabîla de l’ancêtre éponyme, Idawbja, que deviendra le noyau tribal autour duquel s’opéra la naissance et l’élargissement démographique de la confédération.

• Trois ordres de faits (religion, parenté et politique) semblent étroitement reliés à la question du passage de l’adhésion religieuse au rattachement segmentaire chez les Ahl Sîdi Mahmûd.

I. Lemrabot Sidi Mahmud


La naissance de l’entité collective des Ahl Sîdi Mahmûd est étroitement liée à la vie de Lemrâbot Sîdi Mahmûd dont le prestige religieux est également reconnu par d’autres groupes bidân mauritaniens.

(1) Lemrâbot Sîdi Mahmûd wull al-Muhtar — des Ahl Hamat, des Idawbja, des Awlâd el-Hâjj Ali— est né à Wadân (Adrâr), où selon la tradition, il a passé les vingt premières années de sa vie. Il est difficile d’indiquer la date de sa naissance car elle n’apparaît dans aucune des chroniques bidân consultées, deux chroniques indiquent cependant la date de sa mort. La Chronique de Tichitt la situe en 1200 H/1785-1786 et celle de Tîjikja, plus précise, la donne entre septembre et octobre 1786.

Vers sa vingtième année, il émigra avec sa famille vers le sud, dans la région du Tagânet où aura lieu le processus d’émergence des Ahl Sîdi Mahmûd. Les traditions font appel à deux types d’arguments, politiques et/ou religieux, pour expliquer cette émigration.

En effet, selon Muhammad Radhy wull Muhammad Mahmûd [1988] : « Dans ce temps, il y avait plusieurs bagarres entre les Idawalhâjj et les Kunta qui étaient venus vivre à Wadân. » Selon la Chronique de Oualata, ces luttes éclatèrent en 1742 et marquèrent donc très probablement l’adolescence de Sîdi Mahmûd.

(2) Muhammad Radhy rappelle aussi que : « Lemrabot partit de Wadân pour aller dans le Tagânet, pour suivre les enseignements du grand savant des Laglal, Shaykh Taleb Mûstafa, qui était son maître. Shaykh Taleb Mûstafa avait son campement à Fraw, dans les environs de Tamshakett, puis il a bougé pour s’installer à Nwamleim, dans le Sud du Tagânet. »

Cette tradition orale est reconnue comme étant historique en Mauritanie et, à ce titre, elle a été évoquée par divers auteurs[1]. Sîdi Mahmûd accompli en effet toute sa formation religieuse dans la zâwiyya du grand juriste des Laglal cAbd ar-Rahman wull Khalîfa wull Taleb Mûstafa al-Gallawî (m. 1753), qui, depuis le début du XVIIIème siècle, était une prestigieuse école religieuse de la région du Tagânet.

Les relations privilégiées entre le fondateur des Ahl Sîdi Mahmûd et la qabîla des Laglal commencent à cette époque et elles se poursuivront tout au long de leur histoire. Ces liens étaient d’autant plus importants qu’ils étaient aussi conçus en termes de parenté : les Laglal et la famille de Lemrâbot Sîdi Mahmûd revendiquaient leur commune ascendance lamtûnienne par le biais de Bûbakar ben Amar, le célèbre chef almoravide.

Au cours du XIXème siècle, la proximité entre les Laglal et les Ahl Sîdi Mahmûd sera par ailleurs perçue comme un danger par d’autres qabâ’il de la région, notamment les Kunta. C’est en raison des liens privilégiés entre les deux qabâ’il, et ayant comme objectif de les rompre, que Shaykh Sîdi Muhammad al-Kuntî adresse sa Risâla al-Gallâwiyya à l’assemblée des anciens (jama’a) des Laglal en 1824.

(3) L’autre tradition orale qui évoque la sphère religieuse de la vie de Sîdi Mahmûd, fait intervenir de manière directe la baraka qu’il possédait ainsi que la sainteté du personnage. En effet, Lemrabot Sîdi Mahmûd était aussi un « faiseur de miracles ».

Le miracle de la « calebasse de lait sans fond » est important dans le cadre de la reconnaissance du nouveau rang personnel de Sîdi Mahmûd. Il fut accompli alors que Sidi Mahmud vivait encore avec son maître Shaykh Taleb Mustafa, et met en valeur le respect qu’il souleva de la part des guerriers des Awlâd Mbarek qui, après avoir razzié son maître, furent obligés de rendre les troupeaux volés après avoir mit Sidi Mahmud au défi de remplir une calebasse de lait suffisante pour tout le campement.

Néanmoins, c’est un autre miracle qui apparaît comme l’acte fondateur de la confédération : le déplacement de la montagne de Nwamleim, proche de Ksar Salama, la cité des Laglal, pour montrer aux guerriers que le soleil n’était pas encore couché et qu’on ne pouvait pas couper le jeune de ramadan. Après ce miracle, Sidi Mahmud quitta son maître et s’installa seul, attirant vers lui des guerriers du Taganet et de l’Assaba[2].

II. Rattachements religieux et segmentaires

(1) Le processus d’émergence du noyau de la confédération a eu lieu probablement vers 1760-1770, lorsque Lemrâbot Sîdi Mahmûd s’installa près de Tîjikja, en proximité du campement de Muhammad Shayn wull Bakkar (m. 1788), alors à la tête des Idawish. Les deux familles étaient proches généalogiquement par leur revendication de l’ancêtre commun, Bubakar ben Amar.

Le contexte historique à la fin du XVIIIe siècle était marqué par la montée en puissance des Idawish, par les affrontements entre les Idawalhajj et les Kunta de Wadan, et par les émigrations en raison des sécheresses dans l’Adrar et dans le Taganet. Plusieurs familles des Idawalhajj (des Lutaydat, des Idayqub et des Awlâd el-Hajj) ont abandonné Wadan pour s’installer dans le campement de Lemrabot Sidi Mahmud au Taganet.

(2) Mais si les aspects religieux occupent une place importante dans l’émergence des Ahl Sîdi Mahmûd, celle-ci s’affirme par le biais des rattachements segmentaires et politiques. L’histoire de la confédération (ittihâd) des Ahl Sîdi Mahmûd s’organise autour de la famille de Sidi Mahmûd, par le biais du recrutement religieux, puis par l’intégration des divers groupes de la région, distants généalogiquement et statutairement des Idawalhâjj.

Ce processus d’élargissement de la qabîla par le biais de relations d’alliance politique (tahaluf) s’est opéré sur la base des relations de protection établie entre Lemrâbot Sîdi Mahmûd et sa famille et les groupes extérieurs. De telle sorte qu’on peut dire que les disciples (tlamid) de Lemrâbot devinrent des protégés.

III. Solidarité et hiérarchie au sein de la confédération

(1) Le passage de l’adhésion religieuse à la création d’une nouvelle structure segmentaire s’est effectué en suivant les principes de solidarité (ou d’égalité statutaire) et de hiérarchie qui caractérisent l’organisation des groupes unis par la parenté.

En effet, les mécanismes de constitution du noyau n’étaient pas homogènes. Ils variaient en fonction de la proximité ou de la distance généalogique et statutaire entre les groupes en présence et toujours par rapport aux Idawbja, le groupe d’origine de Lemrâbot Sîdi Mahmûd.
(2) Deuxièmement, la constitution du noyau tribal des Ahl Sîdi Mahmûd est marquée par un processus d’affiliation tribale filiative (au niveau des Idawbja et des Lutaydat), mais aussi par une affiliation égalitaire entre groupes proches généalogiquement et qui se reconnaissaient une position de rang comparable (les familles issues des Awlâd el-Hajj Uthman et des Idayaqub).

(3) L’émergence du noyau tribal Idawbja représente ainsi, avant tout, la formation d’une nouvelle fraction des Idawalhâjj al-Hajj Ali installée dans le Tagânet. Au sein de cette fraction les groupes n’ont pas cependant le même rang, ils sont classés selon leurs origines généalogiques et la distance relative entre eux est aussi exprimée en termes politiques.

— Les Idawbja ont un rang supérieur à celui des autres groupes Idawalhâjj.

— A l’intérieur des Idawbja la hiérarchie s’organise autour de Lemrâbot Sîdi Mahmûd, père de la tente de chefferie (haymit shyakha), qui, en vertu de ses origines et de sa place au sein du pouvoir politique, a un rang supérieur global.

— Les groupes Idawâlhajj ainsi que les familles collatérales des Idawbja sont exclus du pouvoir politique confédéral.

— Les groupes rattachés, venant surtout des Idawish, classés sous la dénomination muhajriyyin, se placent à la périphérie de la confédération.

Cette structure politique hautement hiérarchisée s’affirmera historiquement jusqu’à nos jours, où l’on compte onze groupes de parenté attachés à la tente de chefferie [on y reviendra plus loin].

(4) La naissance des Ahl Sîdi Mahmûd peut être comparée à celle des Kunta. Les deux groupes présentent des similitudes importantes : dans les deux cas, l’expansion du noyau tribal s’est opéré par le biais du rattachement des groupes extérieurs comme élèves et protégés autour d’un shaykh prestigieux.

Il en va de même pour ce qui est de la structure confédérale qui se construisit progressivement au sein des deux groupes. Mais on peut relever des différences importantes. Chez les Ahl Sîdi Mahmûd, les clients n’étaient pas soumis au payement des redevances ; et, d’autre part, contrairement aux Kunta, qui ne conservèrent pas de structure confédérale sinon pendant une cinquantaine d’années, celle-ci fut maintenue au sein des Ahl Sîdi Mahmûd tout au long de leur histoire et jusqu’à nos jours.

Les Ahl Sîdi Mahmûd se sont constitués et élargis dans un cadre confédérale qui faisait coexister, sans aucun problème, l’asabiyya restreinte de chaque groupe de parenté rattaché, avec l’asabiyya globale des ASM incarnée par la chefferie dirigeante.

En fin de comptes, la solidarité confédérale jouait et joue encore le rôle d’élément identitaire global, fondé sur la mémoire du passé et sur les sentiments d’affection qui lient les parents par filiation et par alliance.

IV. Expansion politique au Taganet et en Assaba

(1) La structure confédérale s’affirma grâce à la volonté politique des successeurs de Lemrâbot Sîdi Mahmûd. D’abord avec Abdellahi ould Lemrâbot Sidi Mahmud (m. 1839), véritable organisateur politique de la confédération, puis avec Muhammad Mahmud ould Abdellahi (m. 1882) qui porta encore plus loin les aspirations politiques de son père, réussissant à imposer son autorité militaire sur les hommes et sur le territoire de l’ar-Rgayba, raison pour laquelle il reçut le titre d’amir des Ahl Sîdi Mahmûd.

Ce qui montre bien les limites des hypothèses érigées en vérités historiques par les auteurs coloniaux, par des nombreux lettrés mauritaniens et par des chercheurs étrangers. J’ai tenté de montrer dans ma thèse que les « quatre émirats » sont le résultat d’une construction coloniale a posteriori, qui arrangeait l’administration française, et que les puissantes chefferies de l’est du pays (dont les Awlâd Mbarek, les Ahl Sîdi Mahmûd, les Meshduf et les Awlâd Naser) pouvaient avoir autant sinon plus de pouvoir que les « familles émirales » de la gibla et de l’Adrar.

Du reste, les Idawish eux mêmes se divisèrent durablement en 1830, ce qu’on oublie souvent par la brève période de réunification déclenché au début du XXe siècle pour lutter contre la présence des Français.

Durant tout le XIXème siècle, les Ahl Sîdi Mahmûd se sont éloignés des valeurs et des coutumes du statut religieux pour adopter de manière prioritaire, grâce à l’action des chefs confédéraux, le statut guerrier (arab). Sous la chefferie d’Abdellahi ould Lemrâbot Sidi Mahmud, la confédération s’est élargie avec des groupes qui étaient jusque là dans la sphère des Idawish (notamment les Teqda et les Sara), ce qui impliqua une interrelation très forte entre les deux groupes.

Les Idawish se sont divisés en 1830 en deux factions qui devinrent deux groupes de parenté, les Shratit alliés aux Ahl Sidi Mahmûd et les Abakak alliés aux Kunta.

(2) La place politique de la confédération s’affirma avec Muhammad Mahmud ould Abdellahi, qui réussit à développer la puissance militaire des groupes anciennement rattachés aux Idawish et à d’autres groupes guerriers de l’est du pays (sharg).

A la mort de Muhammad Mahmud, ses deux fils, Sidi al-Mukhtar et Sidi Muhammad, s’affrontèrent pour le pouvoir, comme dans d’autres groupes guerriers. Les luttes divisèrent les ASM entre 1882 et 1903.

L’avancée de l’occupation coloniale de la future Mauritanie provoqua l’union des factions en conflit, et sous la direction de Sidi al-Mukhtar ould Muhammad Mahmud, la confédération participa activement dans la résistance anticoloniale, aux côtés de Bakkar ould Swayd Ahmed, des Abakak-Idawish.

En 1907, après la défaite militaire, les ASM amorcent une restructuration sous la conduite du nouveau chef, Muhammad Mahmûd ould Sidi al-Mukhtar (m. 1942). Le retour vers la combinaison des référents guerriers et religieux s’amorça avec la colonisation pour s’approfondir de nos jours.

Les Ahl Sîdi Mahmûd sous la colonisation

L’administration coloniale française en Mauritanie fut relativement brève et elle ne put jamais contrôler réellement l’immense territoire défini comme la « Mauritanie », ni les sociétés qui l’habitaient. Cependant, les structures politiques des groupes locaux durent s’adapter à la présence d’une entité centrale de pouvoir politique qui n’hésitait pas à brandir la menace de la violence légitime pour se faire obéir.

L’administration coloniale s’installa seulement après 1945, l’année précédente le Hodh avait été rattaché au territoire mauritanien et détaché du Soudan français (Mali).

Les colonisateurs avaient renoncé à transformer le mode de vie des nouveaux « Mauritaniens », notamment les hiérarchies statutaires et l’esclavage, et se bornaient à gérer les programmes de développement et l’éducation française pour les élites.

Comme dans toutes les colonies européennes en Afrique, les Français gouvernaient par l’intermédiaire des chefs traditionnels. Cela impliquait qu’ils participaient aussi activement dans les nominations aux postes de chefferie, en essayant toujours de favoriser ceux qui se montraient « loyaux ». En général, les choix de populations étaient respectés, mais parfois l’administration intervenait directement dans les nominations.

(1) Chefs charismatiques des ASM

Muhammad Mahmûd ould Sidi al-Mukhtar avait assumé la chefferie des ASM en 1907, mais l’un de ses frères, Ahmed Taleb, tenta pendant quelques années de se poser en candidat au poste. Finalement, en 1910, Muhammad Mahmûd s’affirma avec le soutien des colonisateurs.

Segmentation de groupes de parenté des Ahl Sîdi Mahmûd en 1907

• Les administrateurs français favorisaient les divisions de groupes importants, ainsi les ASL furent divisés d’abord en deux : les ASM du nord, dépendants de la chefferie dirigeante, en Rgayba, Assaba, Haut-Sénégal et Niger) et les ASM du sud, dans la région de Kayes et Gidimakha (Soudan), sans chefferie unique.

Puis, en 1950, deux groupes enregistrés à Kayes revinrent dans leurs anciens territoires de nomadisation dans l’Affollé et dépendent de Kiffa, ce sont les ASM de l’est (Ahl Muhammad Radhy et Hellet Ahmed Taleb).

• Les traditions orales des ASM soulignent le rôle fédérateur joué par Muhammad Mahmûd ould Sidi al-Mukhtar qui, malgré sa jeunesse, parvint à maintenir l’unité confédérale et à imposer son autorité dans toute la région de l’Assaba. Cette perspective est corroborée par les fiches des renseignements coloniaux.

Cela étant, cette nouvelle période qui commence avec le XXe siècle, impliqua une plus grande autonomie politique aux groupes rattachés dans l’alliance confédérale. L’unité politique ne fut cependant jamais remise en question, fait remarquable dans l’histoire des Bidân.

• A partir de cette époque, la chefferie devint plus collégiale, Muhammad Mahmûd consultait souvent les autres chefs des fractions associées, et il favorisa les activités de commerce, d’élevage et d’agriculture, comme les autres groupes religieux.

Une autre tradition souligne son rôle de protecteur des hrâtîn qui voulaient quitter leurs maîtres, et qui venaient alimenter les rangs des ASM de manière régulière. Le premier village de liberté fut fondé à Kiffa en 1907, et les esclaves protégés s’installèrent dans le quartier de Kadima, où leurs descendants sont restés jusqu’à présent.

• En outre, Muhammad Mahmûd déléguait son pouvoir politique à ses fils, issus de ses nombreuses alliances matrimoniales, qu’il envoyait en sa représentation régler des conflits et autres problèmes de la vie ordinaire. Enfin, les traditions affirment que « Muhammad Mahmûd était un ami des Français », il avait mesuré les avantages d’avoir des bonnes relations avec les administrateurs au profit des groupes de la confédération.

Muhammad Mahmûd développa un rôle d’arbitrage important dans les affaires litigieuses de l’Assaba, et pour contrer son influence l’administration le désigna comme Conseiller au tribunal du Cercle. Il faut noter en effet que depuis la période coloniale, les qualités des chefs étaient fondées sur leurs capacités à régler des conflits de tout ordre (domestiques, fonciers, de criminalité ordinaire) et d’imposer la paix sociale.

— Entre 1909-1940, la période du mouvement religieux anti-colonial dirigé par Ahmedu ould Shaykh Hamahullah des Shorfa de Tichitt, la chefferie des ASM ne participa pas directement dans la révolte anti-française centrée dans la région de Kayes. Seuls certains groupes rattachés adhéra au « hamallisme », une branche de la confrérie Tijaniyya (Ahl Khama Khattar de Kayes, Hellet Ahmed Taleb de Nioro-Kayes, certains groupes des Swaker), et quelques notables des Idawalhajj.

Dans certaines zones de l’Assaba et du Hawd, les litiges politiques anciens vinrent se greffer aux oppositions politico-religieuses représentés par le clivage Qadiriyya/Tijaniyya et par le clivage entre la Tijaniyya « douze grains « et les « onze grains » du hamallisme. Ainsi, plusieurs groupes unis par la parenté entrèrent en conflit. (les Laglal et les Tinwajiw, les Swaker et les Laglal).

En 1941, l’administration décida de réprimer dans le sang ces mouvements qui étaient associés, avant tout, au changement de l’ordre politique dans un territoire immense. Shaykh Hamahullah fut capturé et déporté en Algérie, et 33 hommes furent condamnés à mort à Yelimané (Soudan), 542 furent condamnés à dix ans de prison, nombreux furent ceux qui trouvèrent la mort. Parmi les hommes exécutés se trouvaient deux fils de Shaykh Hamahullah, cinq membres des ASM, des nombreux Laglal, des Shorfa de Tichitt et des Ladem.

— Entre 1938-1940, une période de sécheresse, l’administration française tenta d’imposer son candidat à la succession de Muhammad Mahmûd, son fils Mohamedou. Or, ces agissements se soldèrent par un échec, Muhammad Radhy fut désigné par son père pour assumer la chefferie, et ce choix fut entériné par les autres chefs.

Muhammad Radhy ould Muhammad Mahmud était très jeune lorsqu’il assuma la chefferie des ASM (15 ans environ, son fils Muhammad Mahmud venait de naître) et il dut affronter d’abord les réticences des colonisateurs, puis les luttes factionnelles au sein de la confédération, avant d’imposer son autorité.

• Dans les années 1940, l’administration coloniale française s’affirme considérablement, et elle tenta d’imposer ses vues aux chefs et aux notables traditionnels. Cependant, après une période d’opposition, Mohamedou décida de partir s’installer à Mekke et son petit frère Muhammad Radhy renforça son pouvoir en suivant la ligne politique adoptée par son père. Il fut nommé Officier de la Police judiciaire, ce qui lui permettait de régler des conflits et remettre à l’administration les coupables de délits et de crimes.

• Cependant, entre 1952-1953, il dut affronter un commandant de cercle, Gabriel Féral, qui établit une alliance avec des opposants à Muhammad Radhy dans le but de le destituer de son poste. « L’affaire Féral » représente un tournant important dans l’histoire des ASM car pour la première fois, les colonisateurs tentaient de se mêler des luttes factionnelles internes.

• Dans un entretien que j’ai eu avec Muhammad Radhy en mars 1988, il me disait que son inimitié avec Féral était liée au choix des candidats aux élections des représentants mauritaniens auprès des Français. D’abord, Féral soutint la candidature de Mamadou Touré contre le candidat de Muhammad Radhy qui était Mukhtar ould Ahmed ould Utman, des Shratit.

Ensuite, lors des élections législatives mauritaniennes de 1951 pour élire, pour la seconde fois, un député pour la Mauritanie auprès de l’Assemblée nationale française, Féral soutint Horma ould Babana, des Idawali [Entente], et Muhammad Radhy soutint Mukhtar N’Diaye [Union progressiste mauritanienne].

Féral porta des graves accusations contre Muhammad Radhy [perception abusive de droits coutumiers, vols de troupeaux, meurtres de hrâtîn] et il y eut trois procès (St Louis, Dakar et Aioun), qui se soldèrent par le blanchiment du chef des ASM, et par le départ du pays de Féral. Il a donné sa version des faits dans son livre « Le tambour des sables » (1983), réédité plus tard (« Ma demeure fut l’horizon », 1995).

• Le contexte de ces oppositions était marqué par la restructuration administrative des colonies françaises. Les élections législatives de 1951 furent remportées par Mukhtar N’Diaye (de père wolof et de mère Awlâd Busba), qui devint le second député pour la Mauritanie jusqu’en 1956.

En 1957, Mukhtar ould Daddah, membre fondateur de l’UPM fut élu vice-président au Conseil du gouvernement des Territoires d’Outre-Mer, et devint le premier président mauritanien en 1959.

A suivre…./

Dr Mariella Villasante Cervello IDEHPUCP (Lima), Centre Jacques Berque (Rabat)

Séminaire organisé par le Centre universitaire d’études sahariennes de l’Université de Nouakchott, dirigé par le Dr Ahmed Maouloud ould El Eydda Musée nationale de Mauritanie, Nouakchott, le 15 décembre 2015

[academia.edu, Rabat le 28 décembre 2015]

[1]Ainsi par exemple, G. Poulet (1904 : 93), Ould Aly (Une nouvelle approche de l’histoire de l’émirat du Tagant, 1983 : 30), Ould Ahmed Taleb (Quelques aspects de l’histoire de Kiffa, 1984 : 36), Ould Brahim (L’émirat du Tagant, 1990 : 20) et Ould Khalifa (1991 : 115).

[2] Sur l’histoire initiale des Ahl Sîdi Mahmud voir Villasante 1996b, 1997b, 1998c, 2000e, 2002a.



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