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08-01-2016

18:16

Fermeture de Mahadras et d’Instituts islamiques en Mauritanie : Une guerre politique à relent religieux ou une guerre par procuration

L'Authentique - L’actualité de ce début de 2016 est marquée par une guerre politico-religieuse impitoyable, entre les Ulémas jugés proches du pouvoir et les Ulémas supposés opposants. Ces derniers sont accusés de défendre l’idéologie des « Frères Musulmans » en Mauritanie. Cette guerre fait suite à la fermeture administrative d’un groupe de Mahadras et d’instituts islamiques à l’Est du pays.

Il a fallu que le Cheikh Mohamed Hacen Dedew, considéré à tort ou à raison comme le père spirituel des « Frères Musulmans » en Mauritanie s’en mêle, fustigeant la fermeture de ces hauts lieux du savoir islamique, pour que la riposte fusa aussitôt de la part du bras séculier de l’administration publique, la puissante association des Ulémas de Mauritanie.

Mais derrière ce souci des autorités mauritaniennes de contrôler l’enseignement religieux et le financement occulte qui le sous-tend, beaucoup voient la main extérieure d’un Occident de plus en plus méfiant vis-à-vis des mahadras et de leur contenu.

Certains y perçoivent même un règlement de compte personnel entre le Premier ministre, Yahya Ould Hademine et le parti Tawassoul qui lui a arraché une grande partie de son influence dans son fief de Djiguenni. Dans tous les cas, L’Etat mauritanien est accusé de mener une guerre par procuration au nom de la lutte internationale contre le terrorisme.

L’Institut « Warch » de Djiguenni et ses trois antennes à Aïoun, à Ghlig Ehel Boya et à Koubenni, la Mahadra de l’Imam Maleck à Néma, la Mahadra Oum Esfaya, la Mahadra Kerkera I et II, la Mahadra Arakane, la Mahadra El Meksem, la Mahadra Lekhcheïm, la Mahadra Tenterkouj, la Mahadra Iguini Naji, la Mahadra Nezaha d’Aïoun, la Mahadra Haye Salama de Tintane et la Mahadra Abou Houjeïba.

Ce sont au total seize mahadras et instituts, tous situés dans les Wilayas du Hodh Charghi et du Hodh Gharbi, qui auraient été fermés sur ordre administratif. Selon la thèse officielle, ces lieux d’enseignement religieux ne se sont pas conformés à l’obligation d’autorisation préalable, désormais étendus à tous les établissements d’enseignement en Mauritanie.

Une donne que les courants réfractaires à ces fermetures jugent de déplacée dans un pays bâti, selon eux, sur les universités du désert que sont les Mahadras, ces hauts lieux pluri-centenaire de formation dans toutes les sciences théologiques.

Mieux, ils considèrent que la guerre contre les mahadras est une croisade ouverte contre l’Islam, contre l’identité de la Mauritanie, contre Allah.

Deddew contre Ould Tah

Mohamed Hacen Dedew et Hamdan Ould Tah appartiennent à deux générations d’érudits différentes, même s’ils sont moulés aux mêmes enseignements des mahadras. Seul point de divergence, leur attache politique et idéologique.

Le premier est considéré tantôt comme proche du Salafisme wahabite, tantôt porteur de l’idéologie des Frères Musulmans. Son aîné, presque son grand-père, est lui de l’école traditionnaliste, adepte du principe de fidélité absolue « aux tenants du pouvoir » quelque soit « leur tyrannie tant qu’ils ne font pas preuve de mécréance publique ».

Tous les deux développent, selon certains analystes, une ambigüité dans leur défense de l’Islam. Ils rappellent dans ce cadre que Ould Deddew a déjà flirté avec le régime actuel et fut même un temps un de ses conseillers les plus proches, avant que les vicissitudes de la politique ne les jettent dans l’arène en adversaires endurcis.

Il aurait par la suite noué des relations sulfureuses avec quelques pouvoirs au Proche et au Moyen-Orient, notamment en Arabie Saoudite et au Qatar. Il est même soupçonné d’avoir flirté avec certains courants radicaux, d’où ses démêlés avec le régime des Saoud et des Al Thani.

Il se serait même aventuré en Tchétchénie et entretiendrait des relations avec le Hamas. Il serait le principal financier des islamistes de Tawassoul, leur parrain officieux et leur porte d’entrée dans les pétromonarchies du Golfe.

Ould Tah et son association se sont quant à eux toujours distingués comme des soutiens indéfectibles de tous les pouvoirs qui se sont succédé en Mauritanie. D’où les multiples reproches qui leur sont faits par ceux qui les assimilent comme des « Ulémas du pouvoir », les sempiternels dépositaires de l’ordre religieux sous les différents régimes militaires.

Lui et son association sont accusés dans cette guerre ouverte des mahadras, de servir de second couteau au Premier ministre Yahya Ould Hademine qui en veut au parti Tawassoul, pour l’avoir humilié dans ses fiefs à Djiguenni lors des dernières élections législatives et municipales en 2014, notamment à Ghlig Ehel Boya. Pas étonnant que la guerre contre les mahadras ait visé, selon plusieurs observateurs, les terrains de prédilection du parti Tawassoul.

Mais les reproches contre Ould Tah et son association d’Uléma vont plus loin. Il en serait de leur silence coupable lors du génocide des noirs et de leur déportation en plein ramadan entre 1989 et 1992, sous le règne de Ould Taya, de leur fatwa légendaire pour justifier les liens avec Israël, de leur mutisme lors de la tentative de coup d’Etat sanguinaire de Saleh Ould Hanana en 2003, de leur silence sur plus de trente ans de dilapidation et de saccages des ressources nationales, de leur silence sur les répressions massives contre les dockers, les employés de la SNIM, les marcheurs de Zouerate, de Boghé, sur la mort du jeune Mangane, sur le viol suivi de meurtre de Penda Soghé

Mais quand le pouvoir, quel qu’il soit, a eu besoin d’un onguent religieux pour justifier ses actions les plus impopulaires, l’association des Ulémas était toujours présente pour l’en oindre.

Cette ambigüité dans la défense des valeurs islamiques semble ainsi épouser sous nos cieux des positions partisanes qui rendent la lecture de l’Islam mauritanien bien perplexe, pour les étrangers peu avertis.

Telle cette lutte fratricide entre les différents courants religieux divisés entre partisans et opposants et dont le dernier acte se déroule ces jours-ci à la faveur de la fermeture de certains mahadras et instituts islamiques.

Quand Ould Deddew lance, péremptoire, « le Coran et le Sultan se sépareront », il faut lire Sultan sous sa forme moderne. Le Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, considéré comme le principal instigateur de l’avalanche de fermetures qui s’est abattu sur ces centres d’enseignement religieux, est implicitement visé. C’était lors d’un prêche religieux, prononcé jeudi 31 décembre dernier à la mosquée Talha à Nouakchott.

Cette démarche, qui consiste selon lui, « à interdire l’enseignement libre du Coran et de la Shari’a », est comparable à ses yeux à une malédiction divine que l’on se précipite à embrasser.

Dans un appel à la résistance, le Cheikh dira que « la seule obéissance qui vaille est l’obéissance divine » et non celle dévolue à « un mortel » dont « le pouvoir est passager », contrairement au « Royaume d’Allah qui est éternel ». Un appel outrancièrement rebelle contre le président Aziz et son système politique, qui sera même repris par le président du parti islamiste Tawassoul, Mohamed Jemil Mansour selon qui « la disparition des mahadras et des instituts religieux sonnera la fin de la Mauritanie ».

Affolé par un tel prêche qui risque de faire des vagues, le pouvoir appela à la rescousse l’Association des Ulémas de Mauritanie qui émit un communiqué dans lequel il mit en garde ceux « qui incitent à la division et à la révolte ». Le communiqué de fustiger dans un langage sévère « ceux qui mêlent religion et politique ».
Le grand toupet, trouvent certains observateurs, qui trouvent que l’association des Ulémas de Mauritanie serait la dernière à s’ériger en donneurs de leçons sur ce plan. N’empêche, l’association a défendu la position officielle qui rend obligatoire la déclaration d’autorisation pour tout mahadra qui se transforme en institut.

L’objectif serait d’homologuer les diplômes dispensés par ces centres d’enseignement, de contrôler la conformité de leur programme didactique par rapport aux normes édictées par l’Etat, de dresser l’identité civile des apprenants ainsi que le profil du corps enseignant, mais surtout de contrôler leur comptabilité et leurs sources de financement.

Un souci qui répondrait, selon les détracteurs, à des agendas dictés de l’extérieur par un Occident persuadé ces dernières années que les mahadras mauritaniens ne sont en réalité que des fabriques de djihadistes et de radicaux en puissance dont il faut contrôler dorénavant les programmes d’enseignement et les sources de financement.

Dedew et les Ulémas diabolisés

Face à cette guéguerre ouverte entre les tenants de l’ordre religieux, les réactions ne tardèrent pas. L’occasion pour les uns de s’en prendre avec une virulence inégalable à ces « islamistes suppôts des Frères Musulmans » qui osent donner des leçons alors même que leur parcours politique est jonché de trahisons et de calculs mesquins et leur idéologie branchée sur la bourse des valeurs marchandes.

Le vice-président de Ould Dedew en réponse au communiqué de l’association des Ulémas dira que ceux qui « incitent à la division et à la rébellion » sont ceux-là qui avalisent la croisade contre l’enseignement du Coran et la science divine.

Un autre regrettera d’avoir échoué à intégrer l’association des Ulémas, soulignant avec un humour trempé au vitriol qu’il reste cependant subjugué par le respect strict de cette association aux missions qui lui sont confiées par les autorités administratives et militaires, leurs réponses abruptes à tous ceux qui n’appartiennent pas à leur chapelle, et leur promptitude à sanctifier les régimes militaires chaque fois que leur image est dénaturée.

En définitive, il pense avoir correctement lu le message de l’association des Ulémas. Il signifierait selon lui, que la poursuite de l’enseignement dans les mahadras et les instituts islamiques en Mauritanie non autorisés par les autorités administratives et militaires du pays entraînera la division, l’insécurité et la pagaille.

Ou encore, pour préserver la quiétude des citoyens, leur vie et leur honneur, il faut fermer les mahadras et les instituts islamiques non autorisés par les autorités administratives et militaires…

Cheikh Aïdara



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