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04-06-2016

05:45

Notes de lecture sur Soufi. Le Mystique qui faisait peur de Brahim-Bakar Ould Sneiba Par Mamadou Kalidou BA

Cridem Culture - Il est difficile de vouloir dégager la quintessence du premier roman de Brahim-Bakar Ould Sneiba en seulement quelques lignes. L’envergure de la problématique (le soufisme) et la profondeur du traitement qui en a été fait par l’auteur, imposent à tout critique sérieux le développement d’une réflexion conséquemment structurée sur au moins une dizaine de pages.

Mais en attendant d’avoir tout le loisir de me livrer à une telle analyse, j’ai pensé qu’il était peut-être utile de partager, avec ses premiers lecteurs, ces quelques pistes d’entrée dans cette œuvre.

Le titre du roman – Soufi. Le mystique qui faisait peur – bien que très pertinent par rapport au contenu de l’œuvre, peut pourtant, par ailleurs, laisser croire au lecteur que ce roman traite d’une problématique ancienne, voire dépassée par les agendas de l’actualité littéraire en ces débuts du troisième millénaire. Le Soufisme relève, en effet, de cette pratique de l’Islam qui privilégie la vie de l’esprit sur celle du corps.

Ainsi, le musulman soufi serait, le plus clair de son temps dans une sorte de retraite spirituelle qui lui permet de tutoyer les cimes de la plénitude de l’esprit. Le narrateur hétérodiégétique et anonyme affirme à ce propos, dès l’entame du chapitre 2 :

« Le mot arabe soufi, viendrait de soufa , qui veut dire coton. Le soufisme serait alors agilité de l’esprit, flexibilité et souplesse dans l’action, en vue de mieux supporter les contraintes de la vie et de s’évader vers les sept cieux, le lieu de prédilection des ascètes, des bonzes, des fakirs et de tous ceux qui se sont plus embarrassés de l’esprit que du corps ».

Cette définition qui sert de toile de fond à la présentation idéologique du héros, plonge en même temps le lecteur au cœur de la trame du récit : l’auteur nous invite à une introspection dans les profondeurs abyssales de la deuxième dimension humaine : sa spiritualité. La question en elle-même n’est pas nouvelle, bien au contraire. En effet, l’opposition du corps à l’esprit est en réalité un sujet privilégié par les savants de l’antiquité grecque ; Socrate et ses disciples, au premier rang desquels Platon – même s’il a construit son propre système philosophique – avaient largement disserté sur ce passionnant sujet.

Depuis ce débat a été constamment remis au goût du jour, par Michel de Montaigne dans ses Essais (1595), mais surtout par son contemporain Rabelais dans Gargantua(1534), personnage éponyme de son œuvre qui a fini par signifier tout ce qui est grand, monumental. Rabelais a d’ailleurs laissé à la postérité cette célèbre phrase : « un esprit saint dans un corps saint ». A cette liste non exhaustive, il faut ajouter, dans une moindre mesure, Descartes dans son Discours de la méthode (1637).

Du côté de la littérature africaine, l’on sait également que les romanciers dits classiques des années 50 (Cheikh Hamidou Kane dans L’Aventure ambiguë) ont essentiellement privilégié des récits plus « spirituels » que « corporels » avant que ceux de la seconde génération (années 70 et 80) ne marquent la rupture thématique en redonnant au corps ses lettres de noblesse. Mais en revisitant cette thématique de la dualité, voire de la dichotomie de l’ontologie humaine dans Soufi, Brahim-Bakar Ould Sneiba la traite suivant une approche novatrice qui sauve d’ailleurs, fort heureusement, son roman de la monotonie des contenus galvaudés.

Pour étayer cette assertion, je me suffirai à mettre en relief deux aspects diégétiques de l’œuvre : l’ambivalence du sacré et du profane d’une part et l’exaltation de la diversité d’autre part.

1-L’ambivalence du sacré et du profane

Je disais plus haut, que le titre du roman de Brahim-Bakar Ould Sneiba pourrait faire croire à nombre de lecteurs que cette œuvre est totalement consacrée au fait religieux. Cependant, la lecture de Soufi nous confronte à un récit captivant et dense, tant par certains suspens subtilement introduits que par la diversité des thèmes corollaires. Soufi est certes un roman historique aux ancrages religieux, mais c’est aussi un beau roman de voyage – celui de Ndey Sokhna, troisième épouse du Cheikh Hamahu Ar-Rahmane – une œuvre épique – l’épopée du brave Emir Boujrana des Maham Znagui sous l’impulsion de son griot Névrou, et, enfin, pour ne citer que ces éléments, un roman de l’amour tout à la fois pur et sensuel.

Si le Cheikh Hamahu Ar-Rahmane est un ascète qui se révèle aux plus hautes marches de l’élévation soufiste, puisqu’il relève avec succès les défis hautement ésotériques de son « examinateur », le Cherif Lakhdar, il est à l’opposé de tout extrémisme religieux. Plus encore qu’une simple tolérance, cette figure religieuse incarne véritablement le respect de la différence. Tout en respectant et faisant respecter les percepts de l’Islam dans sa Zaouia et chez ses disciples, il ne sermonne ni ne condamne personne. Il s’accommode des pratiques culturelles des tribus et ethnies qui l’entourent et réussit presque naturellement à faire le consensus autour de lui.

Lorsque l’Emir Boujrana arriva chez lui avec toute son escorte guerrière, arborant les extravagances des « gentils hommes » du Sahel, il marcha à la rencontre de son hôte, fier et ému. « Ce soir là, ajouta le narrateur, son visage rayonnait de joie. L’arrivée de l’Emir est d’autant plus importante que les tenants du Livre, de l’Etrier, de l’Ongle, de l’Enclume et de la Houe sont venus communier sous le signe des onze grains ».

Nous somme donc ici bien loin de l’extrémisme obscurantiste de certains Islamistes qui pensent que toute pratique de l’Islam qui n’est pas conforme à la leur est une hypocrisie qu’il convient d’éradiquer, comme si le Dieu Un n’était pas lui-même le créateur essentiel de la diversité des hommes, de leurs croyances et de leurs cultures.

Le récit de Hamahu Ar-Rahmane prend également le contre-pied d’un préjugé communément admis selon lequel les Soufi seraient complètement désintéressés de la vie d’ici bas au point qu’ils ne se mettent pas en couple, un peu comme les prêtres catholiques. Ce chef religieux semble apprécier presque autant la méditation que la compagnie de ses épouses ; autant la fascination du Beau divin que la senteur enivrante des fragrances de ses épouses. En proposant à ses lecteurs une figure aussi équilibrée, à travers une narration ponctuée de descriptions savoureuses, l’auteur semble plaider en faveur d’un Islam de tolérance, de respect de la différence.

2- L’exaltation de la diversité

Ce sous-thème est, on l’aura compris, le corollaire du précédent qui suppose un ancrage sur les valeurs de tolérance. Soufi affiche une réelle volonté de mettre en exergue les fondements d’une société où la diversité raciale, ethnique et culturelle n’induit pas un quelconque complexe. Presque à toutes ses pages, le roman exalte la diversité des peuples et des hommes en faisant d’elle le sédiment de la valeur humaine. Le héros, pôle des temps, en est d’ailleurs la parfaite incarnation comme le souligne le narrateur :

« Hamahu Ar-Rahmane est indéniablement un spécimen très rare. Issu de la fine fleur des Maures, mais aussi celles des Noirs, il incarne l’Afrique dans toute sa diversité. Du fait de l’amour sans faille qu’il voue à sa mère peule, il porte dans son cœur et dans ses gènes l’Afrique noire aussi bien que l’Afrique arabe, berbère et arabo-berbère. En lui se rencontrent et communient intimement le Blanc et le noir ».
Aussi, comme pour perpétuer à travers lui cette diversité organique, le nouveau leader de la Tidjania onze grains regroupa sous le saint nœud du mariage quatre épouses issues des communautés ethniques différentes qui composent le Kaarta. Sa première épouse, Aicha Sokhna est bidhani alors que sa quatrième épouse Ndey Sokhna aurait elle-même des ascendants peuls, bambaras et wolofs. C’est d’ailleurs celle-ci qui se portera volontaire pour aller à la poursuite de leur époux, exilé de force, par une administration coloniale frileuse à l’idée de voir le cheikh Hamahu Ar-Rahmane cristalliser une contestation populaire contre elle…

Conclusion

Brahim-Bakar Ould Sneiba offre, aux lecteurs l’exploration subjective d’un pan essentiel de l’histoire religieuse du Sahel au cours du siècle passé, et cette plus value inestimable, résultant de la dépeinture des aspects subtiles de nos cultures. Des cultures et des pratiques de l’Islam diverses qui ont cependant un dénominateur commun : la croyance en un Dieu unique et en Mohammad en tant qu’ultime messager d’Allah.

Le roman se déploie à travers une écriture alerte qu’un lexique recherché et diversifié rend fluide et homogène. Au plan synoptique l’œuvre présente une hyper structure en dix chapitres qui garantit une parfaite homogénéité des achronies. Bien venue à une nouvelle plume bien prometteuse.

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1. Brahim-Bakar Ould Sneiba, Soufi. Le mystique qui faisait peur, Alger, Thala Editions, 2016.

2. C’est l’auteur qui

3. Ibidem, p.21.

4. Op cit, p.55

5. Op cit p.31.





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