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19-06-2016

18:16

Nouakchott : Comment le Ramadan se vit

Le Calame - Juste dix jours que les Mauritaniens ont commencé à observer le jeûne du mois béni du Ramadan. Comme chaque année, les rituels ont été respectés. Parmi ces traditions, le discours du Président n’est certainement pas la moindre.

Dès que la commission chargée de la surveillance du croissant officialise la « vue » du Ramadan, le chef de l’Etat s’adresse à la Nation, via discours neuf/ancien où toutes les bonnes intentions sont déclinées, agrémentées de fortes citations du Saint Coran et hadiths du Prophète (PBL).

Ce n’est pas comme le livre qui recommande l’eau, alors qu’il en a horreur. Partout, dans toutes les régions de notre Mauritanie, c’est quasiment la même chose. Entre l’heure de coupure des gens du Hodh ech-Chargui (19 heures 2 minutes) et celle des gens de Nouadhibou (19 heures 56 minutes), rien d’autre ne fait dissemblance.

Ni sur le plan culinaire. Ni sur le plan comportemental. Les tagines des quartiers chics de Nouakchott se mangent dans les taudis enfouis de Tarhil. Les longues veillées, agrémentées d’interminables verres de thé, y ressemblent, à s’y méprendre, aux nuits ramadanesques des faubourgs environnants Boutilimitt, à quelques encablures de Walata ou de Dafor. En cela, Les Mauritaniens sont les mêmes. Intraitables. Pauvres et riches jeûnent et déjeunent kif-kif.

A vos poches et qu’Allah vous bénisse !

Ce n’est pas que pendant le Ramadan que les mendiants de toutes catégories (éclopés, aveugles, handicapés et autres) infestent les rues et carrefours de Nouakchott. Mais, au cours du mois saint, les complaintes sont ponctuées d’un rappel à la bienfaisance et à la pitié envers les pauvres, en ce temps particulièrement béni. Les implorations varient, selon les implorants.

Mais elles ne font mouche qu’à leur capacité à « briser » le cœur de leurs cibles. Ces quémandeurs sont de tous les âges. De toutes les conditions. De toutes les provenances. Certains, comme ce mendiant du carrefour Zoubeïda, ont en horreur sucre, riz ou toute autre denrée. Avec un argument aussi simple que fallacieux : « Je n’ai pas où mettre cela ».

Visiblement, celui-ci préfère l’espèce à la nature. D’autres attirent par leur look, comme celui qui m’apostropha, au troisième jour du Ramadan. Impeccablement habillé, avec un joli boubou tout blanc et un « hawli » tout aussi immaculé, admirablement noué autour de la tête. En le voyant se diriger vers moi, je pensais, à tort, reconnaître un de mes anciens élèves venu me rendre la politesse et, peut-être, me donner un peu d’argent (providentiel) qui ne serait jamais de trop, en ces tout premiers jours d’un mois béni généralement dévastateur des économies familiales.

Après un bref salamalec, l’homme brandit, à ma figure, une soi-disant ordonnance et m’implore de l’aider à la payer. Mon rêve se brisa. « Loin ça de ça », comme on dit bien chez nous. Devant les épiceries, les boulangeries et autres entrées des banques primaires et des marchés, les petits « almoudos » (élèves coraniques, en milieu négro-africain), escarcelles en main, complètent, avec les vendeuses de menthe et de cure-dents, le décor.

Marchés populaires

Aux environs de quatorze heures, cap sur le marché marocain, à quelques mètres de la SOCIM, en pleine capitale. Circuler en voiture est, tout simplement, impossible, au risque de se faire assommer par un charretier surchauffé. Passer à pied relève d’un véritable parcours de combattant.

Entre les étals de légumes, fruits, viandes et poissons, toutes les senteurs passent. Les clients de tous les goûts et de toutes les couleurs négocient, à des ouguiyettes près, qui un demi-kilo de mouton, qui quelques sardinelles, qui des tas de mandarines ou de mangues. Dans ce marché, les commerçants s’organisent et opèrent par stands spécialisés.

Ici, c’est la place des vendeurs de « guedj » (poisson fumé), là, celle des vendeurs de condiments ; là-bas, on trouve toutes sortes de fruits et légumes et, à l’intérieur, c’est le royaume de la viande et du poisson. Les tarifs y sont uniformément aléatoires.

La vieille règle très connue de : « Ce à quoi se sont mis d’accord les deux » est très usitée. Les quelques rares policiers qui patrouillent, entre les étals, semblent venus fouetter d’autres chats et les redoutables services de contrôles des prix ne sont plus, visiblement, d’actualité. Les bouchers peuvent, donc, « égorger » leurs clients à leur guise.

En ce mois béni, le kilogramme de viande de mouton coûte de 2 500 à 3 000 UM. Celui de poisson-courbine, entre 2 700 et 3 500. Les autres produits (lait Gloria, lait en poudre, condiments en conserve, tomates et autres petits pois, macédoine) à la conservation et date de péremption douteuses, remplissent les rayons et achalandages des centaines de petites boutiques éparpillées, çà et là, à travers le marché de M’Sid El Maghrib.

Longues veillées

Dans toutes les villes de Mauritanie, les nuits du mois béni sont l’occasion de longues veillées qui ne se terminent, habituellement pour certains, qu’au petit matin. Conséquence : interminables ronflements, jusqu’à quelques deux à trois heures avant la rupture.

Recordman du sommeil diurne pendant le Ramadan, A. S., un vieil ami, s’endormit vers trois heures du matin et se fit oublier, dans une chambre écartée, ronflant à tout va, jusqu’au surlendemain neuf heures. Il avait ainsi passé trente heures non-stop, à culbuter, seul, entre quatre matelas !

A Nouakchott, juste après la prière de « Tarawih » (surérogatoires, pour ceux qui s’en soucient), les rues et les trottoirs sont pris d’assaut par des jeuneurs prompts à en découdre, les estomacs pleins d’un véritable cocktail : dattes « nationales et internationales », bissap, zrig, soupe, bouillie, friandises et goinfreries diverses, beignets, tagines à base de viande ou de poisson et autres mets et saveurs des traditions culinaires de Mauritanie.

Plusieurs avenues se disputent la vedette de ces randonnées nocturnes. Les piétons investissent, par dizaines, les trottoirs du goudron menant vers l’ancien aéroport de Nouakchott. Entre quelques enfants à vélo, hommes et femmes, dont certain(e)s égrènent leur chapelet, se baladent posément, en marmonnant des prières.

Ce qui reste des espaces publics des autres quartiers est particulièrement animé. Surtout du côté de la Sebkha, El Mina, Médina 3, Médina R ou autres Arafat, Riyad, Bouhdida et Toujounine. Des séances de thé s’organisent, par petits groupes, ici et là.

D’autres préfèrent aller se la couler douce, après une rude journée de tant de privations, sur les routes Aziz (Dar Naim), Messoud (Secteur 2 de Mellah) ou Soukouk (Tevragh Zeïna) dont l’ambiance rappelle tout, sauf la ferveur et la dévotion qui devraient entourer le mois béni de Ramadan. Sur ces axes suspects, fleurissent de petites tentes réputées servir, en haut en haut, à la vente et à la dégustation d’un lait de chamelle local, et que seul Allah sait, en réalité, à quoi elles servent, en bas en bas.

Aux abords de ces avenues, tout passe : du revendeur des cartes de recharge au vendeur de méchoui, en passant par celui de thé et de zrig. De bout en bout, d’aventuriers petits détaillants proposent leur commerce, à leurs risques et périls, en de petites baraques d’(in)fortune, souvent très mal éclairées par quelques ampoules rebelles, alimentées par une source électrique communément appelée niche, si familière aux habitants des quartiers populaires de Nouakchott.

Les régulières randonnées des patrouilles de gendarmes et de gardes ne semblent pas inquiéter, outre mesure, ces promeneurs peu solitaires dont certains ne se gênent pas à s’afficher publiquement, à bord de leur voiture, parfois en position peu orthodoxe, en galante compagnie. Tout se raconte sur ces axes : du viol le plus abject au crime le plus odieux.

Les passants accourent de tout Nouakchott. Du plus petit délinquant au plus grand « responsable ». Les lieux seraient, même, particulièrement indiqués, dit-on, pour traiter des plus rocambolesques affaires. Loin du tumulte de la ville et des oreilles des murs.

Le sable aidant, facilement, à enfouir, profondément, les secrets des plus interdites alliances et des pires compromissions. Déjà dix jours passés, du mois béni du Ramadan. Reste encore du temps, à poursuivre ces veillées tumultueuses des nuits ramadanesques nouakchottoises, sur fond de prières, randonnées et théières. Ramadan Kérim, incha Allah !

El Kory Sneïba



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