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26-06-2016

05:00

NE LES OUBLIONS PAS : Jeich Ould Seddoum

Adrar Info - Jeich Ould Seddoum Ould Baddou Ould Abba Ould Jeich Ould Seddoum Ould N’Dartou. Comment marcher sur terre quand on descend de ces géants ? Comment ne pas rester en l’air, suspendu par les belles notes de ces pères ? C’est toute une culture qu’on transporte là, sur le dos, tout un fardeau.

Comment ne pas vouloir y ajouter son propre prénom ? Seulement, le jeune Jeich, aveugle, ayant grandi dans un milieu étranger à la musique de ses pères était peut être destiné à se taire et à ne jamais prendre d’envol.

Mais le sang de sa famille parlait trop en lui, et les notes, il sut d’abord les sentir avant de les rejoindre, là haut et savoir tirer les beaux sons de son extraordinaire tidinitt Jeich est né en 1939, à Yaghraf, à 50 kilomètres de la ville d’Atar.

Son père, Seddoum, avait dans un moment d’humeur quitté son Tagant natal et entrepris dans le grand Nord un séjour qui à l’origine ne devait pas être trop long mais qui dura toute une vie. Sa mère Soukeina mint Ahmed Tolba était une femme pieuse qui lui apprit très tôt le Coran mais qui ne pouvait lui transmettre l’héritage de ses aïeux.

D’ailleurs il devint aveugle à deux ans (la rougeole !) Personne donc ne pouvait lui prédire d’avenir musical. Surtout que son père , connu pour être un génie du T’heidin(apologie des grandes familles) était trop souvent absent :il pérégrinait dans le grand Nord durant une année entière avant de revenir passer quelques semaines seulement auprès de sa famille.

Jeich perdit d’ailleurs ce père très tôt quand il n’avait que quinze ans Il grandit donc , loin de la présence paternelle, dans l’ancienne ksar d’Atar, un milieu fort cosmopolite, où les tribus et les origines s’emmêlaient, où chacun était frère de l’autre, où l’on n’oubliait pas les anciennes coutumes mais où on ne rejetait pas le nouveau. Son infirmité lui interdisant d’aller à l’école, il sut pourtant gagner de l’instruction.

Il apprit simplement auprès de ses compagnons de jeux. Doué d’une extraordinaire mémoire, il devint leur « magasin », ils répétaient devant lui leurs cours, qu’il récitait de mémoire, avant de les leur restituer quand ils le demandaient.

Contre peut être, quelques dattes fraiches… Se basant sur les rudiments que son père avait eu le temps de lui inculquer, il entreprit sa vraie formation musicale, en s’aidant des premiers enregistrements de Sidaty Ould Abba. Il écoutait son illustre cousin et l’accompagnait de sa jeune tidinitt.

A la fin des années 50, il fut emporté par la vague des indépendantistes, et de la « Nahda » dont beaucoup de fervents militants étaient ses amis d’enfance. Il composa sur les paroles de Cheikh Melainine Ould Cheikh Melainine une chanson qui devait faire date et que les « nahdistes » voulaient ériger en hymne national : « Hadha Akhirou Nawmina… »

Voilà la fin de notre sommeil … Dés lors, le jeune Jeich était lancé. Il créa alors sa propre troupe en s’associant avec les plus belles voix et les plus beaux tamtams de l’Adrar : Houriya mint Aebeid, Rabia mint Breika, Zadva Ould Ahmed Lebeid, Mohamed Ould Breika, Chouey mint Semengou.

« La troupe de l’Adrar » devint vite célèbre dans tout le pays. Plein d’imagination, poète lui-même , excellent compositeur, Jeich lança des « tubes » qui devaient marquer son temps et sur lesquels dansèrent plusieurs générations : « Jaguar », « Selame », « Kej Elmabrad ». Jeich lançait là de vraies révolutions dans notre musique, si classique souvent.

Il n’eut pas peur de faire danser sur Lebtteit, le genre « noble » par excellence, et il n’eut pas peur d’apparaître comme un griot engagé. Il ne cacha ni sa sympathie pour les « kadihines », les jeunes maoïstes des années 60, ni les rapports étroits qu’il entretenait avec les mouvements « révolutionnaires » de la région. Cet engagement le poussait d’ailleurs à toujours être du coté des plus humbles.

On raconte qu’invité par une « grande famille », il s’excusa parce qu’il avait déjà promis d’animer une soirée chez d’humbles ouvriers. Il déclara parait t il ensuite que le boubou très modeste que lui avaient offert ces citoyens pauvres, valait bien le gros cachet qu’allaient lui payer les riches.

Il fallait être « Jeich » pour agir ainsi. Jeich était avant tout un homme social. Il parcourait la ville, tenant à la main son compagnon de toujours, Sidi Ould Lemeye, visitait ceux là, rendait visite à des malades, prenait le thé avec des proches ou des amis, donnant son avis sur tout.

Sa démarche assurée et fière, sa poitrine légèrement bombée, ses lunettes noires, son boubou qui traînait un peu, faisaient partie du quotidien. Il reconnaissait les gens à leurs pas, à leurs voix, à leurs odeurs aussi m’assuraient certains. Et il était ami avec tout le monde.

Je me rappelle bien que, jeunes étudiants, nous rentrions souvent avec lui dans des discussions politiques qui duraient longtemps. Il tirait parfois sa « tidinitt », l’égrenait pour nous et nous tançait, en riant : « vous connaissez beaucoup de choses, mes enfants, mais vous ignorez votre musique, le fond de votre culture » Jeich mourut très jeune, à 45 ans, le 3 Aout 1984, à Atar, la ville qu’il avait tant aimé.

A ses proches qui voulaient le transporter , très malade, à Nouakchott, il déclarait : « Non, j’ai trop peur de mourir ailleurs , je veux être enterré ici prés des tombeaux des «Oulad Meija », les saints protecteurs de la ville » La ville d’Atar resta orpheline après lui. La voix de Houriya allait dépérir aussi avant de s’éteindre. Rabia mint Breika, Zdeiva, allaient disparaître, Mohamed Ould Breika oublié. Cette belle génération s’est bien envolée. Et personne, à Atar, ne veut plus, ou ne sait plus, reprendre le flambeau.

M’Bareck Ould Beyrouk



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