Cridem

Lancer l'impression
30-09-2016

08:00

Libre Expression | Un « y voit tout » en trouble…Par Abdarahmane NGAIDE

Abderrahmane Ngaide - « Je veux gouverner la France pour mieux comprendre l’Afrique. »

J’aurai, volontiers, mis une série infinie de « poings » d’exclamation après ce « titre », dans la mesure où l’humoriste, « Y Voit Rien », le déclare dans l’ancienne Capitale de l’AOF, avec tout ce que ce statut a toujours voulu exprimer, et continue de symboliser, dans l’écriture et la réécriture des multiples et complexes allégeances, qui nous lient à l’ancienne puissance coloniale. Mais permettons au « présidentiable » ce marquage au point.

Comme pour signifier qu’un humoriste - un artiste africain du XXIe siècle ayant évalué sa responsabilité dans la société - peut bien prétendre faire le point en ce moment mondial, dominé par une image anhistorique : Donal Trump d’un côté, et Nicolas Sarkozy de l’autre.

Il est admis, avec cette sentence, qu’un africain qui souhaite mieux lire la France en Afrique (enfin l’Afrique à partir de la France !), doit d’abord la gouverner ! Les habits neufs, qu’elle porte sur une partie du continent, épousent les lignes de couture de la « comédie politique » globalisée.

En tout cas la présence militaire française s’est fondue en « Eléments Français à…en…au… ». Et la « coopération » s’est métamorphosée en plans, interventions et opérations, qui ne cessent de muter dans les mots qui les expriment, comme dans les figures, auxquelles ces mêmes mots peuvent renvoyer.

L’exemple le plus proche et le plus frais étant le Mali (notons que le père d’Adama Dahico, Dolo de son vrai nom, est originaire du Mali), où nous sommes passés de l’Opération Serval, c’est-à-dire soutien aux « troupes maliennes », à l’Opération Barkhane qui est un « dispositif régional ».

Qui dit « éléments », parle certainement de fragmentations, de dispersion et de véritable dissimulation, jusqu’à l’invisibilité dans toute forme de guerre, surtout celle devenue subitement asymétrique. Parce que cela demande, un certain nouveau type de camouflage, qui cadre non seulement avec les réalités ambiantes locales, mais aussi globales.

Les Chinois sont là. Les Marocains depuis 1591, les Turcs, nous nous habillons comme eux et notre süwer serait leur héritage. Ils sont tous là. C’est comme ça la globalisation…

Il peut aussi s’agir « d’ossements » encore solides, et tout blancs de ce vieux corps déposé, et jamais en putréfaction, que représentait et que représente la Françafrique, en Afrique au XXIe siècle.

Corps en perpétuelle métamorphose et qu’on tente de dissoudre, en vain, dans sa propre équation chimique : la « continuité de l’Etat » ou en « l’état ». C’est bien le caractère stratégico-pratique du contenu de ce concept, qui détermine le degré de résilience des pratiques.

Seul, un humoriste, écrivain, et de surcroit révolutionnaire « engagé », revendiquant la pratique de « la politique comédie » (ou « l’humour sociopolitique »), peut Y VOIR DU TOUT. Parce que Dieu lui a « montré ça » [sans blague, dans un rêve-bouquin, et que nous avons la primeur de lire, « comme le Sénégal est un pays de littérature, je vous donne en exclusivité… » la quintessence] :

« J’ai fait un rêve que je veux partager avec l’Afrique. J’ai vu la France organiser une élection présidentielle pour un pays africain… Les Usa proclament les résultats et l’Union européenne supervise le déroulement du scrutin. L’Union africaine se contente de distribuer des sandwiches et des sachets d’eau dans les bureaux de votes. Je me suis réveillé et je me suis posé la question pourquoi Dieu m’a montré ça ».


Je ne l’accuserai point d’un quelconque messianisme, parce que là, il le dit, vraiment, sur le ton de l’humour et je le lui concède volontiers. J’en ai même ri, parce que décontracté par cette excellente leçon de « politique comédie » ou pour faire savant, de policomédicale.

Cet humoriste, né après les indépendances et fils d’immigrés africains en Afrique, déclare qu’il n’arrêtera « de faire de la politique [que] quand les hommes politiques arrêteront de jouer la comédie ».

Il y a de quoi se pencher sur cette voie qu’il ouvre, lui dont l’histoire retiendra qu’il fut le premier humoriste africain, à assumer pleinement son rôle de comédien, jusqu’à utiliser « l’humour comme un espace de décision du devenir de [ses] concitoyens. Sur scène, [il prend] part aux décisions pour [son] Peuple »
Le message de l’humoriste est à méditer par l’ensemble de la génération actuelle, pour que celle à venir puisse rompre définitivement avec cette historicité négative, qui alimente la motricité de nos rapports avec l’Occident de manière générale.

L’Afrique, comme à-venir, n’a de sens que véritablement indépendante, dans sa mentalité d'abord et avant tout. « Il y a une réflexion à faire » nous dit l’humoriste. Si nous souhaitons prendre le « wagon de l’émergence », il faut bien des rails à écartement adéquat, pour qu’on puisse arriver à la gare du rire et non à celle du « pleurer-rire ».

Notre affiliation semble, malgré toutes les réfutations, être enracinée en nous, au point qu’elle est devenue un réflexe constitutif. Car c’est de lui, que dépend la reconnaissance individuelle internationale de nos chefs et de leur gouvernement. Sans cette caution consacrée, nul d’entre eux, n’est à l’abri des poursuites judiciaires de la CPI (Cadre pratique pour irresponsables). Et pour tirer le rideau, Adama Dahico abandonne sur scène une équation. En affirmant que « les humoristes sénégalais s’expriment en wolof pour le monde entier » s’adresse-t-il aux comédiens de métier ou à ceux qui jouent « la comédie politique » ?

Abdarahmane NGAIDE
Enseignant-chercheur au Dpt d’Histoire (UCAD)
28/09/2016








"Libre Expression" est une rubrique où nos lecteurs peuvent s'exprimer en toute liberté dans le respect de la CHARTE affichée.

Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org