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10-03-2017

21:30

Abitilah : quitter la ville pour les contrées désertiques [Vidéo]

DuneVoices - Une journée pas comme les autres : Abitilah accélère le pas en traversant les dunes de sables de Boulanouar pour arriver jusqu’aux champs agricoles, six kilomètres plus loin. C’est le jour de l’irrigation durant lequel sa plantation est censée bénéficier de sa ration d’eau pendant trois heures, de 8 h jusqu’à 11 h du matin.

Quelques années auparavant, Abitilah a quitté Atar, sa ville d’origine, pour s’installer dans la ville côtière de Nouadhibou, à la recherche d’une vie meilleure. Mais à cause d’une insuffisance respiratoire chronique muée en asthme, doublée d’une déficience auditive, il lui a fallu quitter Nouadhibou aussi, cette fois en direction des faubourgs de Boulanouar.

L’histoire d’Abitilah avec la campagne a démarré il y a sept ans. Alors que la vie citadine était déjà devenue source de soucis et de problèmes de santé pour elle, son mari est décédé, lui laissant des enfants en bas âge qu’elle devait nourrir et élever toute seule, dans des conditions pénibles.

Abitilah raconte : « Je suis venue ici pour fuir le coût élevé du loyer. J’avais aussi peur des répercussions de la vie citadine sur mes enfants, alors j’ai décidé de m’installer dans cette campagne où les conditions de vie sont certes plus difficiles, mais bien différentes de celle de la ville ». Elle poursuit : « Mon état de santé s’est amélioré, la vie est devenue moins stressante et je ne redoute plus les visites inopinées du propriétaire de la maison toutes les fins de mois.

Et la région est bien plus sûre. Ici nous nous couchons à n’importe quelle heure là où bon nous semble et je n’ai plus peur pour les filles… Ce n’était pas le cas quand nous vivions en ville. Je sais que j’ai perdu beaucoup de choses mais j’en ai gagné tant d’autres ».


« La vie citadine, moins sûre et plus dure »

Malgré le confort, la vie en ville est, selon Abitilah, moins sûre et plus dure que celle à la campagne, notamment en l’absence du père de famille. « Ici, la base de notre nourriture est le riz, de lait et les féculents notamment les haricots… Les enfants peuvent même se contenter de biscuits toute la journée.

Ici, c’est aussi la sécurité et la quiétude… Nous dormons profondément, contrairement à la ville où nous étions tout le temps harcelés par l’épicier et autres marchands. Je ne suis plus tentée par la vie en ville ni par le luxe. Ce n’est pas une question d’âge, mais juste une conviction et une nouvelle façon de voir les choses »
estime-t-elle.



Sur le chemin des champs, Abitilah rencontre beaucoup de femmes qui, comme elle, mènent une course contre le temps, et guettent la route dans l’espoir de voir passer une voiture ou une charrette pouvant les transporter. Mais certaines préfèrent faire le trajet entre leur maison et les champs agricoles à pieds, pour lutter contre l’obésité.

Dans ces zones reculées où les centres de soins médicaux sont presque inexistants et où les maladies liées à l’obésité sont devenues de plus en plus répandues, l’engraissement, cette coutume du désert, n’est plus à la mode comme c’était le cas auparavant.

A proximité des champs, les discussions cessent et les pas s’accélèrent… Malgré un soleil de plomb, Abitilah continue d’arpenter les sentiers agricoles jusqu’à atteindre sa petite plantation.

Des problèmes à la pelle

Arrivée à destination, Abitilah évoque les difficultés auxquels elle fait face. « Ces lots de terre sont une allocation de l’Etat dont nous avons bénéficié comme tant d’autres. Mais nous souffrons du manque de semences, d’engrais et d’eau… Nous avons d’ailleurs demandé aux autorités de nous venir en aide pour le transport et l’irrigation » explique-telle. Elle poursuit : « L’Etat a dépêché plusieurs missions constituées entre autres d’ingénieurs agricoles.

Ces derniers nous ont recommandé de recourir à certaines variétés d’engrais pour améliorer la qualité de la récolte. Mais la production est restée faible, couvrant à peine notre propre consommation. Ceci complique notre vie qui demeure quand même plus stable qu’ailleurs ».


Tout en discutant avec ses voisins agriculteurs sur les nouvelles variétés d’engrais et sur les pesticides, Abitilah continue de travailler la terre, consciente que l’eau peut être coupée à tout moment, ce qui équivaut à la perte d’une partie de la récolte. Un travail épuisant qu’elle ne peut accomplir qu’au moment où ses enfants sont à l’école, à Nouadhibou.



« L’année dernière, la récolte était bonne et nous avons vendu de grandes quantités de pommes de terre et d’oignons, ce qui m’a aidé à payer les frais de scolarité de mes enfants. Mais cette année, la récolte est très maigre à cause de la mauvaise qualité des semences, et des basses températures que certaines plantes n’ont pas pu supporter » affirme-t-elle.

Abitilah quitte enfin sa plantation. Elle traverse de nouveau les dunes de sable, direction sa hutte à Boulanouar, avec sa petite récolte du jour qui lui permettra au moins de préparer un repas.

Une vie simple qu’elle apprécie, dans un endroit où beaucoup de femmes refusent de vivre. Quittant le confort de la vie citadine, elle s’est attachée à la région, malgré la sévérité de l’environnement désertique. Et elle a bâti son propre monde, un monde sans superflu, où elle se satisfait de ce que la vie lui a donné.

Ahmed Karkoub







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