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19-06-2017

08:00

Il faut braver le déni de l’esclavage en Mauritanie

L'Humanité - Tribune libre de Marie Foray, juriste de terrain.

Avec Tiphaine Gosse, journaliste, et moi-même, Marie Foray, nous avons été déclarées « persona non grata » par les autorités mauritaniennes alors que nous effectuions des recherches sur l’esclavage et le racisme en Mauritanie.

Lors de notre convocation à la DGSN le vendredi 28 avril 2017, le général Mohamed Ould Meguett nous a déclaré : « Il n’y a pas d’esclavage en Mauritanie. » Ce dernier a exigé que nous quittions le pays sous un délai de cinq jours afin de nous empêcher de poursuivre nos investigations.

Les photos des victimes de l’esclavage ainsi que les interviews réalisées auprès de celles ayant accepté de parler, les rencontres effectuées auprès de jeunes soucieux de dénoncer l’injustice dont ils s’estiment victimes au sein de leur propre pays, les entretiens menés auprès d’anciens prisonniers injustement incriminés en raison de leur combat contre l’esclavage et contre toutes formes de discriminations en raison de leur appartenance ethnique ou à une caste constituent les véritables raisons ayant conduit les autorités mauritaniennes à nous chasser du pays.

« Esclavage héréditaire », « esclavage traditionnel », « esclavage moderne », « séquelles de l’esclavage », autant d’expressions qui recouvrent une réalité complexe : la traite des êtres humains en Mauritanie.

Aboli en 1981, l’esclavage en Mauritanie a été érigé en infraction pénale en 2007 et désigné comme un crime contre l’humanité en vertu de la réforme constitutionnelle en 2012. En août 2015, une nouvelle loi antiesclavagiste est adoptée, la peine d’emprisonnement maximale pour le crime d’esclavage passe de dix à vingt ans.

Malgré ces avancées législatives, les principales organisations des droits humains connues pour leur lutte contre l’esclavage en Mauritanie, telles que SOS Esclaves, l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH) et le mouvement Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), dénoncent une absence de volonté de la part des autorités pour lutter contre l’esclavage, une absence de justice réelle et même des intimidations sur les personnes voulant porter plainte.

Cet échec dans l’application des lois, jugé délibéré et systématique, entraîne un fort sentiment d’injustice et permet à des familles mauritaniennes de continuer d’exploiter d’autres Mauritaniens. Depuis son abolition et malgré des lois renforcées, il n’existe que deux procès ayant pu aboutir à une condamnation pour crime d’esclavage ; celui des enfants, nés esclaves de par leur mère, Yarg, 13 ans, et Said, 17 ans, en 2011, confirmé en appel en 2016, et le procès dit de « Nema » en 2015, chacun étant suivi de peines très inférieures à celles prévues par les textes.

En dépit de ces condamnations, de nombreuses plaintes n’ont jamais pu aboutir et de nombreuses victimes ont renoncé à poursuivre en justice leurs anciens maîtres.

La détermination des autorités mauritaniennes à entraver notre travail, notre départ forcé et précipité suivi, le même jour, par l’arrestation de militants de l’IRA, Balla Touré, Samba Diagana, Hanana Mboirick, Kaw Lo et de Meimoune Bougah à Sélibaby montre à quel point ce sujet reste extrêmement sensible et tabou en Mauritanie.



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