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11-07-2017

12:35

Mossadeck Bally : "Investir dans le tourisme en Afrique est un challenge"

Le Point Afrique - Entretien. Le patron des hôtels Azalaï dévoile sa vision des affaires dans un pays et une sous-région où tout ou presque reste à faire. Il s'est confié au Point Afrique.

Propos recueillis par Viviane Forson

Toujours modeste. Mossadeck Bally, 57 ans, a beau être l'un des hommes les plus puissants du Mali, il n'en garde pas moins les pieds sur terre... et les deux, plutôt. Il continue pourtant de faire la fierté du Mali depuis qu'il a lancé, à la surprise générale, le groupe Azalaï Hotels.

Avec une modique économie de 19 000 francs CFA, l'homme d'affaires, dont l'histoire familiale traverse les siècles, a créé la première chaîne hôtelière du Mali en 1994. Aujourd'hui, il compte plus de dix établissements en Afrique de l'Ouest (Mali, Burkina Faso, Bénin, Guinée-Bissau, Côte d'Ivoire, Niger et Mauritanie).

Malgré le terrorisme qui traverse son pays (où il possède quatre hôtels, dont l'un a été attaqué en 2016), il trace son sillon avec l'objectif de devenir un champion africain. Voici ce qu'il a dit au Point Afrique de ses ambitions à l'heure où le Mali veut se relever économiquement.

Le Point Afrique : votre groupe semble en bonne santé économique. Comment continuer dans ce climat d'insécurité quasi permanent ?

Mossadeck Bally : Je dirais que mon groupe se porte plutôt bien. Dans la mesure où nous avons quand même montré notre résilience. Après les coups d'État au Mali et en Guinée-Bissau en 2012, l'insurrection populaire au Burkina Faso où notre unité a été totalement saccagée, sans oublier l'attaque terroriste sur le Radisson à Bamako en 2015 et notre hôtel Nord Sud le 21 mars 2016.

Malgré tout cela, nous maintenons le cap, notre développement, nos projets, nous ne changerons rien. Ça veut dire que, dans l'ensemble, les fondamentaux sont bons. Nos partenaires financiers continuent de nous faire confiance et de nous accompagner dans notre développement. La fréquentation de nos hôtels, bien sûr, a baissé, notamment au Mali à la suite de cette attaque.

On a perdu quand même du chiffre d'affaires, mais, dans l'ensemble, je dirais que nous sommes très résilients, nos hôtels sont fréquentés, nous continuons à développer nos projets, nous avons même de nouvelles perspectives. J'ai parlé tantôt du Ghana et du Nigeria.

Ça, ce sont les projets à plus long terme, mais, sur le court terme, il y a Abidjian qui s'avère être le fleuron. Pourquoi ?

Oui, c'est vrai. Le fleuron parce que c'est la toute dernière génération des hôtels Azalaï. Abidjan profite de nos vingt et un ans d'expérience, de nos erreurs aussi de conception et de réalisation de projets. Je dirais que ça va être l'hôtel le plus abouti et ça va être l'hôtel qui aura la plus grande capacité. Jusque-là, la plus grosse capacité que nous avons eu à gérer a été celle de Ouagadougou, avec 176 chambres.

Dans une capitale qui s'est retrouvée en pleine expansion, en plein boom, avec une demande très forte. Ensuite, nous avons un emplacement qui est extraordinaire, notamment dans la zone de Marconi qui est la zone des affaires par excellence à Abidjan, à mi-chemin entre l'aéroport et le plateau, où il y a l'administration, dans une zone très achalandée avec en face de nous Cap Sud et à 5 minutes de chez nous le nouveau centre commercial Carrefour à Abidjian.

Avec beaucoup de concurrence aussi, non ?

Oui, mais pas dans cette zone-là. Dans notre zone, il n'y a que l'hôtel Ibis qui est à côté de nous. Mais la concurrence, c'est sûr qu'elle va s'intensifier, on en est conscients. Vous savez, la concurrence pour une entreprise privée, c'est tout à fait normal. Si vous avez peur de la concurrence, vous n'avez rien à faire dans le secteur privé.

Par essence, le secteur privé, c'est la compétition. Bien sûr, il faut faire des choix rationnels, il faut bien choisir ses projets, mais, quand vous décidez de vous lancer dans un secteur d'activité concurrentiel, vous devez faire face à la compétition. Je pense que nous, en tant que chaîne hôtelière, panafricaine, sous-régionale, avec certaines spécificités, nous avons notre place à côté de ces grandes chaînes internationales.

Et justement, quels sont les termes de votre partenariat avec World Hotel ?

World Hotel, c'est ce qu'on appelle un consortium. C'est une organisation qui met à la disposition d'hôteliers indépendants, que ce soit un hôtelier qui a un hôtel ou qui a un petit réseau comme le nôtre, ce qu'ils ne pourraient pas avoir s'ils étaient seuls.

C'est essentiellement de la distribution, donc tous les canaux de distribution possibles et imaginables, que ce soit en ligne, telles les agences en ligne, les hôteliers, comme on nous appelle, les GDS qu'utilisent les agences de voyages, tout ce qui est distribution électronique, du e-commerce. Le fait qu'ils aient 500 hôtels dans leur réseau, ça permet de mutualiser les moyens.

Chaque hôtel paie une cotisation et, avec ces cotisations, ils peuvent effectivement mettre à la disposition des hôtels tout ce réseau de distribution. Ensuite, ils ont 35 bureaux de vente de par le monde. Si on était seuls, on ne pourrait jamais avoir ça, on ne pourrait même pas avoir un bureau de vente à Paris, à plus forte raison avoir 35 bureaux de vente dans le monde entier.

Chacun de ces bureaux de vente pourra vendre les hôtels Azalaï. Ensuite, il y a tout ce qui concerne la gestion de la satisfaction clients, TripAdvisor, TrustYou. Là aussi, ils nous apportent un appui. Et ensuite ils ont des programmes de formation.

Chaque membre de World Hotel dans chacun des 500 hôtels peut envoyer des collaborateurs à ces séances de formation. Puis nous avons aussi ce qu'on appelle la qualité. Ils ont des clients mystères qui résident dans les hôtels et qui font des rapports sur ce qui fonctionne bien ou non. Ça permet aux hôtels d'améliorer la qualité des services.

Pour nous, c'est le grand intérêt d'avoir une meilleure présence à l'international. Tout ce qui est en dehors de l'Afrique, bien sûr, tout ce qui est en Afrique même, notamment en Afrique de l'Ouest où notre présence est assez forte. C'est ça, l'essence de notre collaboration avec World Hotel.

Aujourd'hui, est-ce que vous affirmez toujours que votre groupe a des capitaux 100 % africains? Est-ce toujours le cas ?

Oui, tout à fait. La totalité du capital du groupe Azalaï est détenue par des Africains. Je détiens l'essentiel du capital avec certains partenaires, mais aussi des fonds d'investissement africains.

Notamment le fonds Keolis géré par Keolis Management, qui est une société de capital-investissement africain, et puis le fonds ouest-africain Emerging Markets, un fonds géré par Phoenix Capital Management, qui est aussi une société de capital-investissement totalement africain. Aujourd'hui, tous les actionnaires du groupe sont africains.

Cela n'empêche pas que, si demain nous avons des partenaires non africains qui veulent nous accompagner dans cette aventure entrepreneuriale, nous sommes totalement ouverts, nous n'avons pas de barrières. Il faut comprendre que l'essence du groupe Azalaï, c'est de développer des hôtels sur le continent africain, de créer de la richesse, de la valeur ajoutée et des emplois. Si, pour cela, on doit faire appel à des capitaux autres qu'africains, nous ne sommes pas du tout fermés.

N'avez-vous pas peur d'entrées de fonds un peu « risqués » ?

C'est toujours un dilemme, notamment pour un entrepreneur, comme moi, parti avec trois fois rien. Ce groupe, je l'ai commencé avec 19 000 francs CFA, ce qui était le capital minimum qu'il fallait pour créer ma société en 1994. On peut effectivement se poser des questions.

« Est-ce qu'on a besoin ? » et, notamment avec tous ces fonds qui viennent, « est-ce que vous n'allez pas perdre votre indépendance ? ». Tout est une question de vision. Si votre vision est de faire les choses en fonction de vos moyens, c'est une vision valable, ça prendra du temps.

Si votre vision est d'avoir un programme ambitieux de développement et d'accélérer votre développement parce qu'il y a des opportunités qu'il faut saisir, parce que l'Afrique a besoin de se développer, parce qu'on a besoin de créer des emplois, vous allez chercher d'autres personnes et mutualiser vos moyens.

Le risque, ce n'est pas de perdre le contrôle du groupe, il y a simplement un partage de responsabilités et de pouvoirs, ce qui n'est pas plus mal. Il y a peut-être, en tant que chef d'entreprise, des choses que vous pouvez ne pas voir parce que vous êtes dans l'action quotidienne, mais que vos partenaires peuvent voir et peuvent vous aider à rectifier.

Dans mon cas, j'ai fait le pari d'accélérer le développement du groupe Azalaï et de faire entrer de nouveaux partenaires qui vont nous apporter plus de moyens financiers. Mais le contrôle du groupe restera toujours, je pense, entre les mains d'un noyau de personnes qui portent cette vision-là du groupe Azalaï.

Et la formation, c'est toujours le point noir de l'Afrique. Cela n'évolue-t-il pas ?

Ça n'évolue pas, malheureusement. Depuis septembre (2015, NDLR), notre école hôtelière est ouverte à Bamako. En attendant que les États finalement se réveillent et fassent de la formation dans notre industrie du tourisme, il fallait que nous-mêmes, en tant qu'industriels, nous fassions quelque chose. Donc, avec nos propres moyens, nous avons monté cette école.

Ça a pris beaucoup de temps, mais aujourd'hui, c'est fait. Grâce à la coopération française et notamment France volontaires, nous avons deux professeurs, un professeur en cuisine et un professeur en salle, qui sont là. Nous avons recruté un directeur d'école. Nous avons une cuisine d'application qui est aux normes et un restaurant d'application.

On a beaucoup d'engouement, beaucoup de jeunes qui veulent se former et qui postulent. Par exemple, pour recruter les 20 premiers jeunes, on a eu presque 100 demandes. À ce niveau-là, on sent qu'il y a de l'intérêt. Personnellement, c'est un projet que je suis, qui me tient à cœur, parce que je pense que c'est ça, l'avenir.

Il faut former les jeunes d'abord parce que ça va leur permettre d'avoir un emploi beaucoup plus facilement. Quand ils sont formés, leur employabilité est améliorée.

Deuxièmement, pour nous-mêmes, en tant qu'industriels, c'est une aubaine parce que nous allons recruter des jeunes qui sont déjà formés dans nos hôtels. Quand ils commencent à travailler, ils ont déjà acquis certains mécanismes, certains éléments de langage, donc c'est beaucoup plus professionnel et ça améliore la qualité des services.

Pour nous, c'est un projet structurant. Nous espérons que ça va faire des émules. Et d'ailleurs, pour nous-mêmes, l'idée, une fois qu'on a bien testé cette formule à Bamako, c'est de la dupliquer dans tous les pays où nous sommes présents, monter une petite école hôtelière pour former les jeunes.

Qu'est-ce que l'État n'entend pas dans ce besoin de formation ?

Normalement, l'État a les moyens de le faire puisque, dans tous les pays, nous avons ce qu'on appelle la taxe d'apprentissage. Donc au Mali, au Burkina, partout, quand vous payez 100 francs de salaire, vous avez un pourcentage, ça varie entre 2 et 5 %, suivant les pays, que vous versez à l'État.

L'État gère ce fonds au travers d'un organisme qui est censé justement faire de la formation professionnelle, mais ne nous voyons rien. En fait, pour nous, c'est simplement une taxe qu'on paie ; en retour, nous n'avons rien.

Dans certains pays où la formation professionnelle est vraiment au cœur des préoccupations, vous payez votre taxe professionnelle sur vos salaires, vous montez vos programmes annuels de formation, que vous faites valider par cette agence qui gère cette taxe, et, si l'agence est d'accord, vous avez en retour un crédit.

Ça veut dire que la taxe que vous payez vous revient. Mais, dans la plupart de nos pays, ce n'est pas encore le cas. Le plus gros problème dans nos pays est qu'on forme des jeunes mais qu'ils ne correspondent pas aux besoins des entreprises. Donc il y a un décalage entre les cursus et les besoins pour la simple raison que, peut-être que certains pays le font, d'une façon générale, le monde de l'entreprise et le monde de l'éducation ne se parlent pas.

Comme on le voit dans les grands pays, aux États-Unis, en Allemagne, les universités et les écoles forment les jeunes en fonction des besoins de l'entreprise ; nous, ce n'est pas le cas. On se retrouve avec des jeunes, et c'est même dangereux socialement, qui ont des bacs + 3 ou + 4, mais qui sont au chômage pour la simple raison qu'on les a formés dans des domaines dans lesquels il n'y a pas de création d'emplois.

Par contre, les domaines où il y a de la création d'emplois, il n'y a pas de jeunes formés. Par exemple, si je prends le Mali où, ces dernières années, l'industrie extractive a beaucoup évolué, notamment les mines, il n'y a aucune école de formation aux métiers des mines.

Du coup, toutes les entreprises australiennes, canadiennes qui s'installent et qui ouvrent des mines d'or, la plupart des employés, en tout cas à un certain niveau de technicité, sont importés soit des Philippines, soit d'autres pays. Voilà un peu ce que nous vivons. Dans notre cas, c'est pareil aussi, il n'y a pas réellement de formation aux métiers du tourisme. Mais j'espère que ça va être corrigé très bientôt. En attendant que ce soit corrigé, on va continuer à proposer de la formation.

Toujours optimiste ?

Absolument, il faut rester optimiste. Voyager en Afrique est un challenge pour tout homme et toute femme d'affaires. Pour être sûrs de bien travailler, de conclure des accords et de mener à bien leur mission, les « nomades d'affaires » doivent être au mieux de leur capacité.



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