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18-08-2017

07:12

L’Université de Nouakchott AL ASSRIYA : critiques et suggestions pour l’améliorer/Pr Mamadou Kalidou BA

Mamadou Kalidou BA - Les propos que je décline ici se veulent une critique constructive destinée à faire de l’université Al Assriya (UNA) le pôle d’un enseignement de qualité et d’une recherche sérieuse et impactante.

Elle découle du constat désolant selon lequel, si le manque de moyen excuse certaines faiblesses, il n’en demeure pas moins que le problème d’organisation ajouté à une léthargie presque générale sont les grandes tares qui plombent le développement de cette institution pourtant névralgique pour notre pays.

Il s’agit donc ici, d’offrir une visibilité permettant une prise de décision afin d’amener l’université à jouer pleinement son rôle de vecteur et producteur du savoir, du savoir-faire et du savoir-être ; dimensions sans lesquelles aucune jeunesse (principale bénéficiaire du service universitaire) ne pourra relever avec succès les défis qui se posent à elle en cette aube du troisième millénaire.

L’élaboration de ce projet passe nécessairement par un état des lieux des différents secteurs de l’institution ; état à partir duquel je formulerai des propositions en vue d’en améliorer le fonctionnement et l’efficience. Pour les besoins d’une meilleure intelligibilité de la présente proposition, j’appréhenderai l’université à travers les trois axes élémentaires que sont : l’activité d’enseignement (1), celle de la recherche (2) et la gestion du personnel (3).

I.L’enseignement

L’enseignement est, avec la recherche, l’un des deux piliers fondamentaux de tout cycle supérieur. Il peut se réaliser en présentiel ou en différé (sur support audio visuel). Le premier se déroule en salle de cours, de TD ou au laboratoire alors que le second fait appel aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC). Les cours à distance permettent de mettre à contribution des ressources humaines, rattachées à d’autres institutions universitaires, situées à l’extérieur de la ville ou du pays. L’Agence universitaire de la francophonie, entre autres, expérimente d’ailleurs avec succès ce type d’enseignement à distance.

Il faut souligner que des efforts du pouvoir publics ont permis de doter l’université de Nouakchott de locaux modernes présentant un espace d’enseignement suffisant. L’immobilier est livré avec un équipement appréciable qui, par rapport à ce que nous connaissions, marque une évolution notoire. La suffisance des locaux permet de mettre au programme un volume horaire d’enseignement plus important et, donc de proposer une offre de formation diversifiée et plus adapté au nouvel environnement de l’emploi.

Pourtant, cette nouvelle infrastructure n’a induit aucun changement, ni dans l’assiette des spécialités proposées aux étudiants, ni dans l’efficience des formations qui, disons-le, auraient pu gagner en qualité. Globalement on s’est contenté de dérouler les mêmes activités, avec tout juste une adaptation des horaires, imposée par la distance entre le nouveau site et la ville où résident les étudiants (le campus social n’étant pas encore livré).

A la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH) comme à la Faculté des Sciences et Techniques (FST) où la réécriture des premières maquettes introduites par l’avènement du système LMD a été réalisée, les directions académiques peinent toujours à passer à l’introduction des nouvelles maquettes. L’invocation de la traine de certains départements pléthoriques est, de mon point vue, révélateur d’un mal bien plus grand qui gangrène notre système universitaire : les lourdeurs administratives de ses instances et le conservatisme très ancré sur une certaine génération d’enseignants qui les rend réfractaires à tout changement.

Or le monde évolue très vite et l’université qui est à la fois la vitrine et l’actrice de ce changement, doit évoluer encore plus vite que les autres secteurs. Dans plusieurs départements, de nombreux enseignants ne sont plus scientifiquement capables de s’acquitter de leurs devoirs, soit parce que les disciplines dont ils étaient spécialistes sont dépassées alors qu’ils n’ont pas pu suivre l’évolution de la recherche, soit parce que les différents recrutements on été faits sans aucun rapport avec les réels besoins en enseignement spécialisé.

Pour impulser et mener à bien les changements dont l’université de Nouakchott a besoin pour jouer pleinement le rôle qu’attend d’elle le pays, il importe d’engager avec la tutelle et toutes les parties prenantes, de larges concertations orientées vers les réformes suivantes :

- Proposer aux effectifs superflus des reversements ailleurs ou des mises à la retraite anticipées avec des mesures incitatives d’accompagnement. Cette mesure concernera tous ceux qui n’ont jamais réussi à soutenir des thèses pour se conformer aux statuts en vigueur depuis 2006. L’objectif est de libérer de nombreux postes pour ensuite procéder à des remplacements rigoureusement effectués sur la base d’une réorientation de l’université dans l’enseignement de disciplines plus modernes qui répondent aux attentes du nouveaux marché de l’emploi.

- Mettre en œuvre les nouvelles maquettes dans les facultés ayant effectué l’expertise de leurs programmes mieux élaborés et adaptés au nouveau marché de l’emploi d’une part et à la formation spécialisée d’autre part.

- Demander aux facultés qui n’ont pas encore procédé à la révision de leurs programmes de le faire conformément aux dispositions du LMD qui exigent une évaluation toutes les quatre années.

- Faire de sorte que, dans les nouveaux programmes qui vont être mis en œuvre, les modules transversaux jouent pleinement leur rôle qui consiste à offrir aux étudiants de nombreuses passerelles entre les spécialités connexes.

- Optimiser l’apport des enseignants en rendant systématique, dans toutes les facultés, le suivi des cours en présentiel, par un logiciels répertoriant tous les cours effectués. Démarrer les cours en mi-septembre, ou au pire des cas le premier octobre au lieu d’attendre décembre, comme c’est toujours le cas, et respecter le volume d’enseignement requis pour une validation du semestre.

- Mettre en place, à l’échelle de l’université, une commission restreinte de contrôle et d’évaluation dans laquelle seront cooptés des enseignants-chercheurs qui font autorité dans leur discipline. Cette commission devra réclamer au début de chaque année tous les emplois de temps délivrés dans toutes les facultés. Ses membres doivent procéder à des contrôles inopinés durant toute l’année pour s’assurer que les cours sont effectivement dispensés, et qu’ils couvrent le temps imparti (1h 30 ou 2h). La commission doit produire un rapport détaillé à la fin de chaque semestre pour souligner les manquements aux obligations de ceux qui auront été épinglés par leur contrôle. Sur la base de ce rapport, le président de l’université devra prendre les mesures idoines, en concertation avec les doyens. Les services administratifs doivent être soumis au même contrôle.

- Le développement d’un enseignement à distance pour toutes les disciplines que la réforme rendra indispensable et pour laquelle l’université ne dispose pas encore de spécialiste.

II. La recherche

Deuxième pilier de l’activité académique, pourtant la recherche peine à prendre son envol à l’université de Nouakchott Al asriya. Il n’y a pas un seul domaine où elle se déploie de manière satisfaisante ; dans une institution où presque tout est encore à construire, il faut souligner que ce paradoxe est déconcertant. L’une des raisons pour lesquelles cette activité reste les parents pauvres de l’université est que les textes statutaires et réglementaires de l’enseignement supérieur eux-mêmes n’accordent pas à la recherche l’importance qu’elle requiert et qui est en vigueur ailleurs.

En effet, mis à part que la recherche permet à un enseignant-chercheur d’évoluer en grade (de A1 à A4), elle n’a plus aucune autre valeur incitative. Ainsi, un enseignant n’a, par exemple, besoin ni de faire de la recherche pour conserver son poste, ni pour accéder à une responsabilité académique. Contrairement à ce qui se passe partout ailleurs, les textes de 2006 et suivants, qui régissent l’enseignement supérieur, n’imposent aucun grade ou une activité de recherche minimale pour être éligible à une responsabilité (chef de département, coordinateur de filière, directeur de centre ou de laboratoire …).

De sorte qu’aujourd’hui encore de nombreux départements sont dirigés par les enseignants les moins gradés – parce que ne pratiquant jamais de recherche – uniquement parce qu’ils ont été en mesure de battre une campagne et de mobiliser autour d’eux le plus grand nombre de leurs collègues qui votent alors en leur faveur. J’ai observé avec effarement l’université de Nouakchott se transformer en un terrain de jeu politique dans lequel l’excellence dans la recherche et l’enseignement n’avaient plus aucune importance. Aussi de nombreux chefs de département sont élus sur la base d’un copinage organisé en lobby ; le groupe majoritaire s’arroge alors tous les droits contre parfois des chercheurs qui n’ont de tord que d’avoir fait de la recherche au moment où les autres transposent la politique extérieure au sein de l’université…

L’Université de Nouakchott Al asriya est la seule au monde, je crois, où l’on n’a pas besoin d’être professeur titulaire des universités pour être éligible aux postes de Doyen de Fac ou de Président. Loin de toute excellence, il suffit juste que les candidats sachent battre campagne et mobilier leurs copains, leur tribu, voire leur race autour d’eux (lorsque les élections étaient en vigueur dans les anciens textes) ou qu’ils soient dans les bonnes grâces du régime actuel (dans les nouveaux textes le Président et les Doyens sont nommés).

C’est d’ailleurs l’occasion de souligner cette énorme incongruité de la réforme qui caractérise les nouveaux textes de l’enseignement supérieur. Le Président de l’université et les Doyens des Fac étaient sous la coupole nocive de certains groupes de professeurs organisés en lobbys majoritaires sur la base de liens tribaux, d’intérêts matériels et autres relations vicieuses, justement parce qu’ils étaient élus par ceux-ci. Les nouveaux textes de l’enseignement supérieur (2016, 2017) abrogent ainsi, fort heureusement, le mode de désignation du Président et des Doyens par élection. Ceux-ci sont désormais nommés au conseil des ministres.

Mais la question très logique que tout le monde se pose est : pourquoi cette mesure n’est pas étendue aux chefs de départements ? Pourquoi ceux-ci ne sont pas aussi nommés conformément à l’esprit de la réforme qui voudrait redonner aux responsables académiques toute leur indépendance vis-à-vis de leurs administrés ? Il n’y a pas l’ombre d’un doute que sur ce point, la tutelle a manqué de courage et de cohérence. Pire encore ; non seulement les départements sont laissés à la merci des groupes organisés en lobby, les nouvelles dispositions font même sauter le verrou de la limitation des mandats des chefs de département qui était d’ « un, mandat de 4 ans renouvelable une seule fois ». En d’autres termes, tant qu’un candidat est soutenu pas la majorité numérique de ses collègues de département, même s’il est le moins gradé et le moins compétent, il peut rester chef de département à vie !

Pour impulser une véritable dynamique de recherche à l’UNA, je pense qu’on ne peut faire l’économie de réformes de plusieurs ordres.

- D’abord modifier les textes de sorte à faire de la pratique de la recherche une condition sine qua non si l’enseignant veut poursuivre une carrière à l’université. La différence entre un enseignant du primaire ou du secondaire et un enseignant du supérieur, c’est la pratique obligatoire par ce dernier, de la recherche, d’où d’ailleurs son appellation d’ « enseignant-chercheur ». Au plan du traitement salarial, il lui est alloué une indemnité à ce titre. Disons-le de manière plus claire : un universitaire qui ne réalise pas un minimum de recherche touche une indemnité de recherche non due.

- Modifier également les textes aux fins de filtrer les membres des conseils scientifiques pour ne laisser y siéger que les enseignants-chercheurs les plus anciens dans les grades les plus élevés. En effet, un conseil scientifique est différent d’un conseil d’administration en ce sens que les décisions du premier doivent incarner une autorité « scientifiquement » incontestable à tous les niveaux de l’institution ; or, pour ce faire, il faut d’abord que ses membres soient, en eux-mêmes, des sommités dans leur spécialité de sorte qu’il ne vienne à l’esprit de personne de remettre en cause le bien fondé de leurs délibérations. C’est aussi cela la valorisation objective de la compétence scientifique et donc de la recherche académique.

- Une fois que les conseils scientifiques seront de véritablement regroupements de sommités de la recherche et non, comme c’est le cas maintenant, d’enseignants élus ou nommés sur des bases ethnicistes ou politiques, la tutelle pourra leur confier la responsabilité d’évaluer tous les deux ans les différentes unités de recherche et les laboratoires pour en faire rapport. Sur la base de ces rapports, le ministère pourra légitimement dissoudre les unités et laboratoires inopérants, et répartir les moyens matériels disponibles entre les structures de recherche ayant produit du résultat. Le financement des structures de recherche sera alors fonction de leur « rentabilité » en termes de production.

- Une fois que la recherche fondamentale sera assainie et opérationnalisée, le ministère devra augmenter le budget de la recherche qui sera consacré par l’Etat en mobilisant des financements extérieurs (secteur privé mauritanien et institutions internationales) pour développer, parallèlement une recherche professionnelle.

III. La gestion du corps professoral

Le corps professoral est, conformément aux statuts de 2006 suivis d’autres textes réglementaires, organisé en 4 grades : les « Maîtres-assistants » (ou A1, non titulaires du doctorat), les « Maîtres de conférences » (ou A2, titulaires de doctorats), les « habilités à diriger des recherches » (ou A3, docteurs ayant publié au moins 3 articles) et enfin les « professeurs des universités » (A4, ayant soutenu une deuxième thèse ou une HDR (le plus haut diplôme délivré à l’université) et publié au moins 4 articles par la suite). Toutefois, dans les nouvelles dispositions, sont également recrutés au grade de Maître-assistant des enseignant-chercheurs titulaires du diplôme de doctorat (thèse nouveau régime ou de troisième cycle). Sur ce point les textes comportent d’énormes confusions voire des contradictions…

Je n’ai pas eu accès aux statistiques de la gestion des ressources humaines à l’échelle de l’université, mais il semble que la moyenne, en valeur relative, du corps professoral de rang magistral (A3 et A4) se situe encore entre 7 et 12% du total des effectifs. Ce qui est extrêmement dérisoire si l’on veut développer un enseignement et surtout un encadrement de qualité dans la recherche. Si l’on considère que selon les normes internationales en vigueur, seuls les professeurs de grade A4 (titulaire d’une deuxième thèse ou de l’HDR) sont véritablement habilités à diriger des thèses, on se rend alors comptes qu’en réalité, le pourcentage des professeurs de rang magistral ne dépasse pas 8%. Ceux de rang A3 – grade intermédiaire n’existant, à ma connaissance qu’en Mauritanie – ne devant conséquemment pouvoir diriger que des mémoires de master.

Pour palier ce déficit en ressource d’encadrement, en plus des mesures d’incitations à la recherche précédemment citées, il importe de proposer l’adoption des dispositions suivantes :

- Que tous les deux ans, pendant les vacances, chaque enseignant-chercheur ait droit à un billet aller et retour dans un pays de son choix, plus une somme forfaitaire pouvant couvrir ses frais d’hébergement, de restauration et d’assurance pour une période de 45 jours, afin de lui permettre d’actualiser ses enseignements et évoluer dans ses recherches. Il devra cependant, au préalable produire un projet de recherche et une lettre d’invitation d’un laboratoire reconnu et, à son retour, justifier la dépense en déposant auprès du conseil scientifique de sa faculté le produit de ses recherches. La non justification du voyage devra exposer automatiquement le concerné au blocage de sa candidature suivante. Un tel dispositif existe déjà dans les universités sénégalaises.

- L’excellence devra être déterminante pour accéder à toute responsabilité au sein de l’université. Ainsi, devront être éligibles, en priorité absolue, aux postes de Président, de Doyen, de Vice-doyen, de Chef du service académique, de Chef du service de la scolarité, de Chef de département, de Coordinateur de master ou de licence, de Chef de centre, de Directeur de laboratoire ou d’unité de cherche, les candidats les plus anciens au grade le plus élevé. Il ne sera recouru au vote des paires que lorsque deux candidats ont le même grade et la même ancienneté ; leurs collègues du département peuvent alors être appelés à les départager par le vote.

Nouakchott, le 12/08/2017



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