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16-09-2017

09:11

Tidjane Bocar Diagana : « La réforme de 1999 a remis en cause les principaux acquis de celle de 1979 qui avait permis la création de l’Institut des Langues Nationales et l’enseignement des langues nationales : Pulaar, Soninké, Wolof et Hassanya à l’école…. »

Les Mauritanies - L’éducation nationale est un service public, dont l’organisation et le fonctionnement sont assurés par l’État. Sa mission est de veiller au contrôle et à l’évaluation des politiques éducatives, en vue d’assurer la cohérence d’ensemble du système éducatif. Il s’agit non seulement de définir et de délivrer des diplômes nationaux mais aussi de rendre la voie professionnelle plus attractive et porteuse d’insertion.

Cependant, plusieurs facteurs handicapent aujourd’hui le système éducatif en Mauritanie. D’où la nécessité de questionner certains citoyens mauritaniens issus du corps enseignant en vue de diagnostiquer ensemble les paramètres de l’éducation nationale.

Interview accordé par Tidjane Bocar Diagana inspecteur de l’enseignement secondaire et ancien professeur de lettres.

LesMauritanies : Quelle évaluation faites-vous aujourd’hui de la qualité de l’éducation en Mauritanie ?

TBD : Toute l’évaluation d’un système éducatif se fonde sur les résultats d’une politique d’enseignement, dans un temps et un espace précis. Avant d’évaluer le système éducatif Mauritanien actuel, il faut d’abord rappeler que la Mauritanie a connu cinq grandes réformes qui sont intervenues en 1959, en 1967, en 1973, en 1979 et en 1999.

Toutes ces réformes prises par les différents pouvoirs politiques Mauritaniens ont contribué à former positivement la jeunesse mauritanienne en participant à son développement moral, intellectuel ainsi qu’à son épanouissement.

Que pouvons-nous dire du système éducatif actuel, 17 ans après la réforme de 1999 ? Le 26 Avril 1999 a vu la promulgation de la loi) n° 99-012 portant réforme du système éducatif national de la République Islamique de Mauritanie.

Cette réforme a engendré inéluctablement de nouveaux programmes pour les classes du primaire, et du secondaire en bouleversant en toutes logiques les habitudes des enseignants et des élèves. Donc à l’amorce de cette réforme nous assistons à un séisme éducatif dans les principes pédagogiques.

Pour comprendre cela, il faudrait s’interroger sur les finalités, les objectifs et les contenus de cette réforme. En effet, un bref aperçu historique nous apprend que la réforme actuelle en est à sa dix-septième année, après avoir succédé à une autre réforme (1979) qui a eu cours pendant vingt ans. Le constat reste assez mitigé.

Les Etats Généraux de l’éducation ont été unanimes ; « la réforme de 1999 a remis en cause les principaux acquis de celle de 1979 qui avait permis la création de l’Institut des Langues Nationales et l’enseignement des langues nationales : Pulaar, Soninké, Wolof et Hassanya à l’école.

Ce recul a provoqué un sentiment d’injustice voire d’exclusion chez une partie des mauritaniens mais aussi a relancé comme par le passé, le débat sur la place et le rôle des langues nationales dans le système éducatif, voire dans la vie du peuple ».

Il y a eu donc aux premières années d’application de la réforme un véritable problème de communication ou une absence totale de communication lorsque deux interlocuteurs ne partagent pas le même code, ou quand le canal ou le code est perturbé.

En d’autres termes l’arabe et le français supposés être des langues d’enseignement ne sont pas très souvent maîtrisés ou même apprises par certains apprenants. Donc l’usage défectueux et lamentable de la langue d’enseignement peut démotiver apprenants et enseignants qui n’auraient pas partagé le même code ; ils auraient en outre contourné toutes les difficultés sans les surmonter par le recours à la langue maternelle des élèves par le biais de la traduction ce qui réduiraient les sphères de l’apprentissage à court et à long terme.

Face à cette difficulté, il serait intéressant de voir comment les décideurs politiques et les acteurs pédagogiques pourraient établir de nouvelles stratégies éducatives. En d’autres termes la revalorisation du système d’enseignement se pose aujourd’hui avec acuité.

Pour ne pas tomber dans le système tant décrié par BOURDIEU : « une école de riches et une école de pauvres issue de fractures sociales inégalitaires … l’école décriée comme creuset des injustices et des inégalités sociales apparaît à travers une élaboration de principes et de concepts d’analyses à travers l’étude de domaines particuliers liant école et culture à travers une théorie de l’espace social et de l’environnement .

C’est en s’intéressant aux apports et aux aspects critiques de la sociologie (appliquée à l’éducation) qu’un programme de reconversion linguistique dénommé FLENS (Français Langue d’Enseignement des Sciences) a été amorcé par le Ministère de l’Education Nationale depuis 2000, une année après la réforme. Les premiers stages ont eu lieu en Décembre 2002. Et plus de six cents (600) professeurs furent concernés par des formations de reconversion et de redéploiement Pédagogiques.

La généralisation de la pratique de l’APC (Approche Par Compétence), se caractérise par une série de ressources mobilisées (savoir, savoir-faire, savoir être) en vue de résoudre des situations problématiques.

C’est une approche qui permettrait de rendre l’élève actif dans son apprentissage, son implication et son auto-évaluation.

La gestion des ressources humaines a été un facteur déterminant dans l’amélioration du système éducatif, qui a été boosté par la création des établissements dits d’excellence, ou privés.

On pourrait dire que la qualité de l’éducation se serait améliorée depuis une décennie. Cela a permis d’énormes acquis institutionnels à travers la création d’établissement dits d’excellence, qui est une idée du chef de l’Etat Mauritanien Mohamed ould Abdel Aziz, ayant pour but de rehausser le niveau de l’enseignement et leur généralisation sur tout le territoire national.

Et pour cela, les pouvoirs publics et les acteurs pédagogiques après avoir fait de l’année scolaire passée 2016-2017, une année de l’éducation, continuent à encourager l’enseignement et son suivi à travers tous les établissements publics et privés sous la tutelle du Ministère de l’Education Nationale.

LesMauritanies : Que proposez-vous afin de rehausser le niveau de l’enseignement en Mauritanie ?

TBD : Ma proposition pour rehausser le niveau de l’enseignement en Mauritanie s’inscrirait et s’incrusterait à travers la série de réformes et propositions amorcées depuis 1959 à nos jours par d’éminents patriotes dont le souci aurait été l’émergence d’une jeunesse mauritanienne engagée dans le développement et la construction du pays.

Aucun Etat ne se développe sans instruction ni éducation. Aucune Nation ne prospère en marge de la culture, des sciences et des techniques qui engendrent un développement économique, social, industriel et spirituel.

N’avons-nous pas depuis plus de 1400 ans le Livre Sacré le plus éloquent ? Le Coran ; dont le premier verset et la première sourate est « Lis ». Cette recommandation à la lecture est primordiale et multidimensionnelle.

La lecture serait la clé du savoir en toutes connaissances et en toutes circonstances.

Nous devrions encourager nos jeunes à maîtriser la lecture à travers les langues d’enseignement que notre système pédagogique national met à la portée de sa jeunesse ; en vue de former des citoyens en phase avec le monde et enraciné dans leur tradition.

D’autre part nous devrions être vigilants, et ouvrir nos cœurs et nos esprits pour ne pas avoir le dos tourné, face à une langue, ou au contact d’une langue. Les langues sont un don d’Allah, donc une création divine en toute logique et en toute complémentarité.

Dans le Coran Sourate Les Romains, verset 22 Allah dit : « Et parmi ses signes, la création des cieux et de la terre, la divergence ou multiplicité de vos langues et de la couleur de vos peaux et ceci sont des signes pour l’humanité ».

Toute langue participerait à un réel, à un univers cosmique et cosmogonique. Donc la volonté de l’Etat de permettre l’accès aux sciences et aux techniques en français ou en anglais ne dévaluerait en rien notre personnalité et notre culture ou vie spirituelle dont l’arabe en tant que langue spirituelle d’enseignement, liturgique, théologique et eschatologique de plus d’un milliard d’individus sur Terre, resterait notre médium initiatique et surtout l’oxygène principale qui rythmeraient notre vie et celle des musulmans du monde à travers tous les continents.

La vivacité de l’Islam dans le champ éducatif et culturel de la tolérance, apparaîtrait dès les premiers versets du coran révélés au prophète Mohamed (paix et salut sur lui) dans la sourate ‘’ le sang coagulé’’ « Lis au nom de Dieu le créateur qui a créé l’Homme de sang coagulé. Lis au nom de Dieu le généreux Celui qui a enseigné par la plume et apprit à l’Homme ce qu’il ne savait pas »

La connaissance serait donc un don de Dieu à la portée de tous. Son acquisition serait perpétuelle et n’ôterait en rien la valeur de la recherche scientifique et de la connaissance.

Elle reste un assaut pour tous les hommes avides de connaissances et de discernement. A l’ère du troisième millénaire, l’heure serait à l’assaut et à l’exploration de toutes les voies relatives à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

– Enseigner et apprendre avec une tablette au collège et au lycée

– Maîtriser une langue à travers un réseau social qui impliquent trois objectifs : dire, lire, écrire grâce à la ‘’littérature numérique’.’ Ces projets pédagogiques sont en vogue en Europe, notamment en France, dans l’Académie d’Orléans. Ils ne doivent pas nous sembler utopiques, ou hors de portée. Nous sommes de ce siècle et nous devrions nous inscrire aux grands projets de développement de notre époque.

Tout plan national de formation (PNF) aurait ce double souci : permettre d’abord d’apporter des éclairages positifs sur les impacts liés à l’introduction de tablettes dans les établissements secondaires ; ensuite il préciserait les orientations et les objectifs pour la formation des cadres pédagogiques et administratifs de l’éducation nationale.

Cela s’inscrirait également dans un mécanisme où une série de stratégies éducatives d’accompagnement qui viserait à former prioritairement des formateurs et des équipes ressources en charges de la mise en œuvre des formations linguistiques, en collaboration avec les Ecoles Normales Supérieures qui forment des professeurs, des conseillers pédagogiques et des inspecteurs spécialisés, tous partenaires pour la bonne réussite de l’éducation.

Il est évident aujourd’hui que les nouvelles technologies de l’informatique de la communication appliquées à l’éducation ont bouleversé la donne dans la mondialisation avec l’apparition d’un nouveau langage de jeunes : Tweeter, bloguer, surfer sont les nouveaux verbes utilisés par les élèves et ce de plus en plus tôt.

Pour que la motivation des jeunes soit conséquente, il faudrait voir en quoi les nouvelles technologies de la communication pourraient-elles libérer : le dire, le lire et l’écrire.

Le développement d’un enseignement de qualité à travers tous les centres éducatifs permettrait de relever le défi du monde moderne tout en sauvegardant les valeurs traditionnelles de notre culture musulmane gage de notre unité nationale.

propos recueillis par Diary Ndiaye



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