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25-09-2017

21:15

Lettre épistolaire à Michel Onfray, philosophe français (1) /Par Ahmedou Ould Moustapha

Le Calame - Monsieur,

Ne pouvant plus résister à la redoutable tentation de vous écrire, j’ai fini par céder en vous adressant la présente, parce que votre pensée critique m’attire naturellement, j’y trouve parfois exprimées le mieux mes propres idées, même s’il m’arrive de ne pas vous approuver sur certains sujets.

En vérité, mes hésitations étaient surtout fondées sur la crainte de ne pas être suffisamment précis dans une langue qui n’est pas celle de ma culture, bien qu’elle ne me soit pas totalement étrangère non plus, car je reste, tout de même, fier de me référer à une grande école de commerce de Paris que j’ai fréquentée il y a un peu plus de trois décennies.

Seulement, aujourd’hui, le désir de surmonter cette peur me déchire si intensément que je me dois de libérer tout de suite mon esprit en vous livrant une partie des réflexions qui taraudent dans un coin de ma tête depuis quelques temps, elles portent sur :

(i) la très forte médiatisation de quelques intellectuels qui ne me semblent pas mériter cette grande audience dans l’espace public, et la place de l’Islam en France ; (ii) la pensée profane qui fait de la raison son unique dieu et l’herméneutique ou la pensée religieuse qui est nécessaire pour répondre aux exigences de la foi ; (iii) la relation pour le moins tumultueuse, dès l’origine, entre l’Occident et le monde arabo-musulman.

Mais comme je ne voudrais pas abuser de votre précieux temps, avec un long texte qui pourrait vous paraître rebutant, il me va falloir procéder par étape. Celle-ci se limitera donc uniquement au premier sujet. Ce faisant, et avant d’aller plus loin, quelques explications s’imposent.

Premièrement, c’est ici l’occasion pour moi de souligner le grand plaisir que j’ai eu à lire quelques-uns de vos ouvrages dont notamment « Cosmos » et celui consacré à Sigmund Freud (« Décadence » est en voie de me parvenir).

Suite à quoi, je voudrais saluer la rigueur de votre démarche et avouer les précieux enseignements que j’en ai tirés, surtout du second dont l’exposé heuristique a magistralement dévoilé la brume qui enveloppait à mes yeux l’édifice de la psychanalyse, je veux parler des concepts freudiens qui forgent son ossature, c’est-à-dire la signification étiologique de la vie ‘’conjugale’’, l’importance des évènements de l’enfance, l’inconscient et le refoulement, etc.

Un projet scientifique inachevé

En d’autres termes, cet ouvrage a non seulement mis en évidence les affabulations et le comportement moral pour le moins répréhensible du maître, mais il a également renforcé l’idée que je me faisais et qui peut se résumer comme suit : toute la théorie de Freud repose sur ce constat que l’individu est habité par une vielle blessure, depuis sa naissance, que la frustration et le mal sont profondément enfouis en lui et que la psychanalyse, selon Freud lui-même, n’a pour but que de « transformer la souffrance névrotique en malheur ordinaire ».

D’aucuns y croient fermement et d’autres – comme moi – pensent que ce n’est qu’un concept intellectuel certes important mais franchement limité sinon inachevé comme projet scientifique…

Par ailleurs, je prends également du plaisir à suivre vos interventions sur les plateaux de télévision qui diffusent leurs émissions jusqu’ici et partout ailleurs en Afrique par le biais du bouquet des chaînes de Canal Plus.

C’est ainsi que j’ai pu suivre le débat que vous avez tenu avec monsieur Finkielkraut en mai dernier sur la chaîne CNEWS et qui m’a laissé un peu sur ma faim, comme sans doute beaucoup de vos admirateurs.

Vous étiez à peu près d’accord avec lui sur tout, alors que vos pensées et discours sont fondamentalement différents de nature et d’orientation : lui est obnubilé par l’identité française qu’il oppose à la culture de la jeunesse des banlieues issue de l’immigration (bien qu’il soit lui-même né étranger – en Pologne – et de parents étrangers) ;

il se voue ensuite corps et âme au sionisme qui véhicule un discours fondé sur la sublimation de la mémoire juive, la stigmatisation de l’Islam et la haine des arabes, il en est tellement conditionné qu’il est allé un jour, dans une station de radio, jusqu’à qualifier d’antisémites les juifs qui ne sont pas sionistes ; tandis que vous êtes, vous, dans une autre dimension, beaucoup plus élevée parce philosophique et donc universelle.

Tout cela pour dire que votre pensée et la qualité de vos ouvrages occupent une place importante dans mes considérations, même si, encore une fois, je ne partage pas toutes vos opinions sur la religion et certains sujets politiques ou figures historiques.

Mais cette divergence autour de telle ou telle question est plutôt enrichissante pour quelqu’un comme moi, un simple lecteur ; elle m’invite à réfléchir, à m’initier davantage à votre tonifiante discipline, la philosophie, et à comprendre qu’elle est multiple parce que rationnellement libre.

C’est ainsi qu’elle conduit d’aucuns à n’avoir pour dieu que la raison et permet à d’autres de concilier les impératifs de celle-ci et les invocations de la foi…

Nous sommes là au cœur de mon deuxième sujet que je voudrais traiter dans une prochaine correspondance. (A suivre)

1. Sigmund Freud : Ma vie et la psychanalyse, Editions Gallimard 1950



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