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16-10-2017

21:15

Lettre épistolaire à Michel Onfray, philosophe français (Quatrième partie) Par Ahmedou Ould Moustapha

Le Calame - Emile Zola, grand humaniste et esprit fort, l’avait bien dit : « A force de montrer au peuple un épouvantail, on crée le monstre réel ».

Un autre esprit exceptionnel de l’Andalousie du Xème siècle, un monument de la poésie arabe, Al Moutenabi, disait dans l’une de ses lumineuses fulgurances : « le verbe est la seule preuve tangible de notre existence ».

Parce que les mots portent effectivement à l’existence et peuvent, de ce fait, provoquer des phobies et des préjugés ou des idées reçues, comme celles dont parlait Flaubert, c’est-à-dire des idées devenues banales, des lieux communs en somme, puisqu’elles ont été reçues par tout le monde, de sorte qu’elles ne choquent et n’étonnent plus personne.

En revanche, malgré cette lourde médiatisation des cuistres aux idées malsaines et dont le narcissisme ne le cède qu’à leur égo surdimensionné, il existe encore et il y aura toujours des intellectuels de premier plan dont le talent et la probité font aimer la culture française ; ils sont les vrais héritiers des figures exceptionnelles qui furent la grandeur de leur pays.

Ce sont de brillants esprits, certes peu nombreux en ce moment dans ce paysage, qui sont plutôt guidés par la volonté d’exercer pleinement leur liberté de pensée pour garder leur dignité et par une quête d’humanisme qui les porte plus sur ce qui touche à l’universalité de l’homme que sur les tentations cocardières comme moyen principal de se satisfaire ou sur les confrontations identitaires, pour ne pas parler de choc de civilisations.

Leur lucidité est bien supérieure à celle des chantres de ‘’l’identité’’ qui ne reculent devant rien pour imposer, après la pensée unique, une autre dérive se traduisant par l’étrange exigence d’une ‘’majorité compacte’’ devant laquelle une ‘’minorité hétéroclite’’ devrait se sentir inférieure et se contenter d’intégrer l’humiliation quotidienne dont elle est victime dans la rue ou dans sa recherche d’emploi et de logement, parce qu’elle est de confession ou d’origine différente, comme pour lui faire payer les égarements d’une jeunesse abandonnée et sans perspective qui en est issue.

L’identité ne peut se bâtir sur des oublis et des anathèmes contre les minorités.

Il s’agit, d’abord, d’une exigence à la fois indécente et grotesque, parce que l’identité est faite de plusieurs appartenances : communautaire et sociale, religieuse et culturelle, nationale et régionale, politique et idéologique ; et il suffit qu’une seule soit touchée pour que la personne s’en trouve affectée, et l’on a toujours tendance à se reconnaître dans celle qui est la plus attaquée.

Ainsi, chacune de ces appartenances peut prédisposer une personne ou un groupe de personnes à une réaction violente qui peut aller jusqu’au meurtre. Toutes les communautés humaines partagent cette tendance naturelle à produire des terroristes chaque fois qu’elles se sentent humiliées dans leur croyance ou menacées dans leur existence.

Et ces terroristes, qui agissent généralement de leur propre chef ou en organisation très réduite, peuvent commettre d’effroyables atrocités tout en ayant la conviction d’avoir réagi en légitime défense, de mériter le paradis ou l’admiration des leurs. Surtout lorsqu’ils s’imaginent en plus que ces nombreuses guerres, aussi asymétriques qu’injustes, aujourd’hui menées par les pays occidentaux en terre d’Islam, ne sont rien d’autre qu’une nouvelle forme de croisades des temps modernes.

Il s’agit de guerres déclenchées cette fois non par l’Eglise, mais sous l’influence du lobbying des industries d’armements et des banques qui les financent ; les populations musulmanes qui les subissent sans comprendre en ont terriblement souffert et continuent encore d’en souffrir.

Mais les dirigeants occidentaux ont-ils conscience de leur responsabilité dans ces crimes qu’ils commettent et toutes ces souffrances qu’ils provoquent sans aucune raison vraiment valable ? [1]

Les médias occidentaux et leurs intellectuels préférés ont-ils choisi de ne pas les voir? Ou bien leurs nerfs ont lâché pour ne plus y penser et les dénoncer ?

Pourtant, dans son dernier livre, retraçant ses mémoires de 2008 à 2013, intitulé « HARD CHOICES » (Le temps des décisions en français, éd. Fayard), Mme Hillary Clinton, ancienne chef de la diplomatie américaine, a révélé la responsabilité du gouvernement américain, avec la complicité certains pays arabes, dans la création de DAECH (Organisation de l’Etat Islamique).

Voici, entres autres, ce qu’elle déclare dans cet ouvrage : « … Cette organisation a été créée dans le but de procéder à un nouveau partage (territorial) du Proche Orient … une coordination a eu lieu à ce sujet entre Washington et les Frères musulmans pour créer cet Etat… Les pays arabes du Golfe devaient y contribuer… Nous avons infiltré (ou initié) la guerre en Irak, en Lybie et en Syrie, et tout aller pour le mieux et puis tout à coup une révolution eût lieu en Egypte et tout a changé en 72 heures ».

Et elle poursuit son récit : « Nous étions d’accord avec les Frères en Egypte pour annoncer l’Etat Islamique dans le Sinaï et le remettre entre les mains du HAMAS et une partie à Israël pour la protéger, adjoindre Hallayeb et Challatine au Soudan, et ouvrir les frontières Libyennes du côté de Salloum »… Il était même question d’annoncer la naissance de l’Etat Islamique le 5 juillet 2013, et on attendait l’annonce pour reconnaître, nous et l’Europe, ce nouvel Etat ».[2]

C’est donc clair que le gouvernement américain est bel et bien derrière toutes ces guerres civiles qui font rage au Moyen Orient pour le changement des régimes et une nouvelle répartition de la région. C’est un ouvrage qu’il faut absolument lire pour comprendre pourquoi cet objectif n’a pu être réalisé jusqu’à présent comme prévu, en dépit des moyens financiers, matériels et humains mis à la disposition de DAECH, devenue entretemps incontrôlable, ne respectant plus tout le programme initial de ses maîtres, comme naguère Al Qaeda qui s’est retournée contre ces mêmes maîtres…

Il éclaire également sur les raisons de l’engagement très déterminant de la Russie aux côtés du régime de Bachar Al Assad et sur toutes ces intrigues des grandes puissances qui ont fait basculer le Proche et Moyen Orient dans cette nouvelle violence déchainée, et qui ont engendré le terrorisme dit islamiste. (A suivre)

(1)La seule raison est double : vendre de nouvelles armes au bénéfice des fabricants et leurs banques qui les préfinancent, d’une part, diviser les pays concernés en plusieurs petits Etats pour asseoir plus facilement la domination de toute cette région d’importance géostratégique majeure, d’autre part.

(2) Malgré cet aveux public, on trouve encore des hommes politiques, des "spécialistes" et des journalistes, en France et ailleurs, qui diront que tout cela relève de la "théorie du complot".





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