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20-12-2017

10:33

Les harratines de Keur Macène, une fierté en bandoulière entre une pauvreté endémique et des terres luxuriantes

L'Authentique - Keur Macène ! Un melting-pot civilisationnel où cohabitent depuis des siècles maures, peulhs et wolofs dans une totale symbiose, même si ici, on trouve un exemple exceptionnel d’intégration et de décomplexion des Harratines, qui continuent cependant, dans certains aspects, à être encore pénalisés, comme les négro-africains, par l’immuable stratification sociale et une implacable hégémonie raciale sur les rouages politiques, économiques et administratives.

Tapi dans une harmonie de dunes à la robe immaculée, d’étangs exotiques avec leur faune bigarrée et leurs forêts denses, « Meussène », comme l’appellent ses habitants, est bercé par le Fleuve Sénégal et l’Océan Atlantique.

Une zone riche où se pratiquent l’élevage sous pluie, la pêche à pied dans les étangs et la pêche continentale, mais aussi la cueillette et l’artisanat, avec son parc naturel, celui de Diawling, qui aurait pu développer une économie touristique naturaliste si les infrastructures nécessaires étaient mises en place.

Pour le moment, seul le campement de chasse attire encore quelques amateurs de randonnées. On y poursuit le sanglier et quelques oiseaux de prestige. Le département est constitué de trois grandes communes, Keur Macène, NDiago et MBallal. Sa population est de 39.441 habitants selon le dernier recensement général de la population en 2013.

Mais malgré toutes ces richesses, Keur Macène reste profondément rural, avec une multitude de villages éparpillés où l’Etat mauritanien a peu investi. Les populations sont pauvres et manquent souvent de tout. Les écoles sont sans enseignants et les rares postes de santé fonctionnent sans matériels ni médicaments ni personnel.

Une économie rurale et naturelle

Les paysans à Keur Macène cultivent la terre avec des moyens rudimentaires et ne profitent que pendant trois mois de la pluie, entre juillet et septembre. En matière de santé, le département ne compte qu’un centre de santé à Keur Macène, le chef-lieu du département, avec un laboratoire peu équipé, une maternité et un service nutrition presque déserté.

Les postes de santé ne dépassent pas 19 unités et sont mal équipés et sans personnel suffisant et de qualité. En matière d’éducation, Keur Macène compte 59 écoles fondamentales, 4 collèges et 1 lycée.

Le taux de couverture des besoins en eau potable est de 40%, avec deux châteaux d’eau à Keur Macène et à Boneinadji alimentés par l’Aftout-Essahili, et un ouvrage pour le traitement de l’eau du Fleuve à Birette.

NDiago, la sirène du Delta

NDiago est la plus grande commune de Keur Macène, avec sa quarantaine de villages. Elle abrite l’essentiel de l’économie du département, avec des localités denses comme Zira, Birette et Bden, le parc de DIawling, les installations de Diama qui régule l’eau du Fleuve, empêchant la remontée saline, et alimente la ville de Nouakchott en eau potable à travers l’Aftout-Essahili.

NDiago c’est surtout un panorama d’îles exotiques, d’étangs, de dunes blanches, à quelques jetées de Saint-Louis du Sénégal. Ici, vivent en symbiose populations wolofs, peuls et maures. L’esclavage n’est qu’un lointain souvenir dans cette commune où ses séquelles se confondent avec la misère vécue par les autres communautés.

Les Harratines de NDiago ont une mentalité totalement différente de celle de leurs frères des autres contrées mauritaniennes. Ici, ils sont fiers, hautains. Ils ne subissent aucun complexe dans leur rapport avec les autres et ne se connaissent pas de maîtres.

Situé à 65 kilomètres de Keur Macène, l’arrondissement est une cité moderne, avec ses habitats en dur, son collège, sa préfecture, sa base marine, sa brigade de gendarmerie et son commissariat de police.

NDIago est choyé par la Nature, baigné par les eaux du Fleuve et l’Océan Atlantique dont la façade en marée basse offre un beau raccourci pour relier Nouakchott au Nord ou Saint –Louis du Sénégal au Sud. Ses habitants sont en majorité pêcheurs. Ils pratiquent la pêche fluviale et la pêche maritime, mais aussi le transport fluvial.

La commune est enclavée, sans route bitumée et sans pont entre les villages dont certains sont situés sur des îles. Le commerce y est florissant avec des échanges fructueux avec le Sénégal.

Le Port militaire et de pêche dont les travaux ont débuté, ainsi que ceux de l’exploitation du gaz, constituent des opportunités économiques importantes pour les habitants dont les conditions économiques se seraient beaucoup dégradées ces dernières années.

Le Port de NDiago va en effet favoriser la possibilité d’ouvrir une ligne pour le transport fluvial sur le Fleuve Sénégal sur une distance de 15 kilomètres et approvisionner les villes côtières jusqu’au Mali.

Outre la crise de l’école publique, devenue un phénomène généralisé en Mauritanie, la commune de NDiago souffre de manques d’infrastructures sanitaires. La commune compte 12 écoles fondamentales et un collège.

Mais la majorité de ces établissements sont soit fermés ou fonctionnent avec un ou deux enseignants en cycle complet. Sur le plan médical, la couverture sanitaire est assurée par trois postes de santé et un centre de protection maternelle rurale pour une population de 20.000 habitants.

Le maire de la commune, Boidiel Ould Houmeid, crédité d’un bon mandat, aurait beaucoup contribué à l’amélioration de la vie sociale. NDiago est en effet desservi en électricité et en eau courante, mais aussi en réseau de communication.

MBoyo, entre les bras du Fleuve et le soupir de l’Atlantique.

Séparés par un bras du fleuve, les deux MBoyo (1 et 2) se dévisagent. Un précédent conflit entre les deux villages frères empêcherait les élèves de MBoyo 2, sans enseignant depuis deux ans, de rejoindre la modeste école de MBoyo 1 et son unique enseignant, Ici, le défi premier des habitants est lié au manque d’eau.

Ils s’alimentent à partir de Saint-Louis, par pirogue, à raison de 150 ouguiyas par bidon de 20 litres. « Tous les hommes sont partis, la pêche qui est leur principale activité n’étant plus rentable. Les poissons sont devenus rares à cause du gaz » déclare Rama Gaye, responsable de coopérative.

Seules les femmes sont restées et tentent de survivre en s’adonnant sans moyen au maraîchage et à un maigre commerce de poissons séchés qui se meurt à cause de la situation de la mer, affirment-elles en substance.

Les femmes accusent les travaux en haute mer de Kinros Energy qui aurait commencé ses installations pour l’exploitation du gaz pour le compte du Sénégal et de la Mauritanie. Même pour le maraîchage, les femmes déclarent se heurter au manque d’eau.

Face aux plants qu’elles arrosent à l’eau et chèrement achetés à Saint-Louis, les femmes de MBoyo se rabattent de plus en plus vers d’autres économies de substitution, comme le commerce de volailles. Elles ont ainsi mis en place, avec leurs propres moyens, un poulailler avec une pouponnière de 300 poussins.

Pour les nourrir, elles leur achètent des aliments à raison de 11.000 UM le gros sachet, de l’Amprolium 20% et de l’Aminisotel, en particulier. « L’eau pour les poussins et leur nourriture coûtent chers, mais nous espérons qu’avec ce commerce, nous pourrons tirer des revenus dans l’avenir » poursuit Rama Gaye.

Dans le bâtiment où est logé le poulailler, les femmes ont aussi installé de l’éclairage alimenté par le solaire. « C’est pour garder les poussins au chaud » explique la présidente de la coopérative.

Plus loin, à quelques pas du poulailler, face à la mer, des rangées de tables à l’état piteux, surmontées de filets où sèche une maigre provision de poissons. « C’est notre troisième activité, le poisson séché » détaille Rama, les yeux tristes tournés vers les troncs rabougris de quelques filaos, au pied desquels elles triment depuis des années. « Les filaos sont en train de mourir petit à petit et pourtant, c’est eux qui fixent le sol.

S’ils disparaissent, nous risquons de connaître des inondations »
soupire-t-elle. Selon elle, « quelques mètres de grillage leur permettrait de les faire régénérer, sans ça, nous ne pourrons rien faire contre les chèvres qui dévastent les troncs ».
Bden, le silence de la cloche

L’école de Bden, constituée de six classes, est tristement vide. Les portes sont fermées et les 400 élèves de l’établissement se sont rabattus soit sur les écoles coraniques, soit sur les autres écoles de la commune. Le silence de la cloche fend le cœur des habitants, restés sans enseignant cette année.

Cette bourgade de quelques centaines d’habitants est peuplée par une population essentiellement harratine, ou plutôt de « maures noirs », selon l’expression consacrée par sa première personnalité, le maire de la commune dont la demeure est le fleuron du département. Ici, on ne parle ni d’esclavage ni de ses vestiges.

Ce phénomène qui assombrit le reste de la Mauritanie, ne serait qu’un lointain souvenir, selon ses habitants qui n’ont connu que la liberté et la suffisance de soi.

N’empêche, l’Agence de Tadamoun, plus connue pour ses interventions dans les localités souffrant des séquelles de l’esclavage, est en train de construire, à 5 kilomètres de là, dans la localité de NDiago, une superbe école presqu’en finition.

L’île de Djawoss, l’oubliée

Peu de Mauritaniens connaissent l’île de Djawoss. Certains se demandent même si ce bout de terre complètement oublié fait partie de la Mauritanie. Cette île que l’on peut relier à partir de NDiago ou de MBoyo par pirogue, en logeant le petit village côtier de Lorma, est pourtant composé de plusieurs petits villages, certains habités par des Wolofs et d’autres par des pasteurs Harratines.

Un poste de santé et une école fondamentale sont construits à mi-chemin entre les deux Djawoss. Ils seraient environ 140 familles à vivre dans cette partie de l’île, soit 700 personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants. D’autres villages leur partage cette zone.

L’ïle a son infirmier d’état diplômé. Presque un miracle, car dans ce genre d’endroit, le personnel le plus gradé est en général une matrone ou une fille de salle. Mais Yarg Ould Houmeid, originaire de l’île, a choisi de venir servir les siens, après avoir été dans plusieurs autres villes du pays, dont un dernier poste à Walata.

C’est le seul chauffeur aussi dans l’ïle. Il possède un tricycle tiré par une moto et fait le tour des malades à bord de son véhicule, s’il ne transporte à sa descente, quelques habitants ou des élèves de l’établissement contigu au poste de santé qu’il anime.

« Je suis là depuis deux ans. Je suis chez moi » déclare-t-il, assis derrière une table où traîne un stéthoscope. Une étagère contenant quelques médicaments complètent le décor. « Depuis 2015, je n’ai relevé aucune maladie grave chez les habitants, pas même un palu » souligne-t-il.

Yarg est secondé par une accoucheuse, Marième Mint Yatma, conseillère municipale, et une bénévole. Selon l’infirmier, les cas les plus fréquents qu’il rencontre, ce sont les hypertensions, les diarrhées, les insuffisances respiratoires aigües, les otites et les IST (infection sexuellement transmissible).

Les femmes de Djawoss suivent aussi, selon lui, le Planning familial régulièrement. Entre janvier et octobre 2017, il a ainsi administré des contraceptifs, pilule et injectable, mais aussi condom féminin, à 62 femmes de l’île.

Le poste de santé s’occupe aussi des accouchements. « En cas de complication, nous référons directement à Saint-Louis. Les patientes sont transportées à bord de mon tricycle et une fois sur la berge, par pirogue » explique-t-il. La dernière est décédée à Saint-Louis suite à une crise d’éclampsie, se rappelle-t-il. C’était la fille de l’accoucheuse.

Le poste de santé cohabite avec l’école primaire avec ses deux enseignants, tous originaires de l’ïle. Selon le directeur, Jidou Ould Mohameden, l’école compte deux classes, la 1ère année et la 4ème année, avec une 6ème année en chute d’effectifs.

« En 2016, nous avions obtenu pourtant 4 admis au concours d’entrée au collège » fait-il remarquer avec regret, ajoutant que cette année, ils ont enregistré 3 abandons. « Les élèves sont partis à Nouakchott et à Nouadhibou avec leurs parents ».

Pour le moment, l’école de Djawoss compte un effectif de 85 élèves, 53 pour la 1ère année et 32 pour la 4ème année. Selon Jidou, une mission de l’Inspection départementale est venue leur rendre visite en janvier 2017.

« Nous manquons de tout ici, pas de livres scolaires, surtout pour la 1ère année, ainsi que des livres pour la 4ème année, notamment des livres d’Instruction morale et religieuse, de mathématique, d’histoire et de géographie, des livre arabes et français ».

De l’avis des habitants, la qualité des enseignants, sortant tous les deux de l’ENI (école nationale des instituteurs), fait que des élèves viennent d’autres villages pour s’inscrire ici. « Ces enfants, issus de milieux pauvres, sont pris en charge par les populations. Ils devaient normalement bénéficier d’une bourse d’études ou d’une cantine scolaire » se plaint-il.

Djawoss Wolof, où le minimum vital manquant

« Ici, nous manquons de tout et nous avons besoin de tout, y compris le minimum vital » témoigne Fally Oumar Guèye, chef de village de Djawoss Wolof et ancien représentant de la Qadarya à Nouadhibou. « Nous avons même des problèmes pour faire évacuer nos malades car nous sommes dans une île complètement enclavée » se lamente-t-il, demandant à l’Etat mauritanien de les aider en mettant à leur disposition une « Pirogue ambulance ».

Prenant à témoin l’infirmier Yarg Ould Houmeid, il ajoute « notre poste de santé manque de médicament et ne possède même pas le minimum nécessaire pour soulager les malades. Aussi, nous nous rendons souvent à Saint-Louis pour acheter des médicaments ». Même pour boire, les habitants sont obligés selon lui d’aller au Sénégal. « Neuf mois sur douze nous buvons grâce à Saint-Louis, et pendant le reste de l’année, nous consommons l’eau des marigots » relève-t-il.

Avec la sècheresse qui frappe le pays en cette année, les habitants de Djawoss ne savent même pas quoi faire, selon Fally. « Les services de l’Hydraulique n’ont jamais posé leur pied ici à l’ïle.

Je pense qu’ils ignorent même notre existence »
plaide-t-il. Idem pour les services de l’électricité. « Nous nous alimentons à partir de panneaux solaires pour les usages courants et la conservation des médicaments et des produits alimentaires » dit-il.

Les habitants de Djawoss sont agriculteurs et pêcheurs. « Nous n’avons jamais bénéficié d’aide de la part de l’Etat dans le domaine de l’agriculture, ni semences, ni grillages et nos champs sont souvent dévastés par les animaux » complète-t-il.

La seule aide qu’ils ont eu, selon lui, c’est en 2009-2010, par le biais d’une ONG. Les femmes aussi sont confrontées selon lui au manque d’eau pour développer un projet de maraîchage.

Djawoss Haratine, vie pastorale menacée

Les populations harratines de Djawoss souffrent des mêmes insuffisances que leurs voisins Wolofs avec lesquels ils cohabitent dans une symbiose parfaite. Les deux villages entretiennent des relations fraternelles vieilles de plusieurs siècles et partagent tout, y compris l’école et le poste de santé.

Selon Tenwaza Mint Houmeid, deuxième femme responsable de la localité, « nous avons posé nos problèmes aux autorités, mais sans réponse ». Selon elle, leur île manque surtout de moyens de transport. « Nous avons bénéficié une seule fois d’un projet AGR (activité génératrice de revenu) d’un montant de 200.000 UM pour ouvrir une boutique communautaire, mais nous avons été bloqués par les procédures administratives pour créer une coopérative ».

Même pour monter un projet de maraîchage, les populations se sont heurtées à un problème d’approvisionnement en eau. « Pour boire, nous sommes obligés d’enjamber le Fleuve pour nous ravitailler au Sénégal » lance-t-elle. La plupart des hommes sont partis de l’autre côté pour sauver le bétail d’une mort consécutive à la sécheresse, ajoute-t-elle en substance.

Mais l’ïle de Djawoss est en train de vivre une expérience inédite et pourrait dire adieu au problème de l’eau dans un proche avenir. Un haut cadre de l’UNICEF, ressortissant de la localité, a construit un énorme bassin de retenue d’eau avec un système de pompage, de filtrage de l’eau du Fleuve et de distribution à partir d’un petit château d’eau construit sur le toit d’un bel immeuble de deux étages. Il a importé un mini-tracteur de Chine qui a contribué à creuser une tranchée de 2 à 3 kilomètres pour amener l’eau ainsi que des motopompes.

Ghahra où les efforts d’une bénévole

Vice-présidente de la commune de NDiago, Mah Mint Alioune fait figure de notable emblématique dans la localité de Ghahra, un petit village situé à quelques 10 kilomètres de NDiago sur la piste menant vers Keur Macène.

Cette ancienne infirmière qui a choisi de vivre parmi les siens, loin d’une vie facile qu’elle aurait pu avoir à Nouakchott ou ailleurs, fait de l’action sociale son sacerdoce.

Grâce à une ONG française, elle est parvenue à se construire un petit poste de santé, mais totalement abandonné faute de matériels de bureau et d’outils de travail. Pour le moment, elle opère chez elle où des patients venus des villages voisins, surtout les femmes, viennent profiter de ses prestations gratuites.

Le village de Ghahra n’est jamais parvenu à se soustraire de la pauvreté, malgré plusieurs expériences qui auraient pu changer la donne, mais qui n’ont pas connu de succès. L’une d’elle est une expérience miroitée par une ancienne ministre aujourd’hui versée dans l’action sociale. Elle aurait entraîné Mah Mint Alioune plus l’administration du Parc de Diawling dans un projet de plantation de mangrove initié par l’Unesco et qui se serait achevé sur un micmac.

Ce projet devait bénéficier à 3 villages harratines, Dar-Salam, Dar-Rahma et Ghahra et aboutir à des emplois rémunérés pour plusieurs femmes et des hommes. Puis, un investisseur marocain se serait présenté pour le même projet.

Seulement, son initiative tombera à l’eau quand il décida de se greffer sur la première expérience alors que les habitants pensaient qu’il voulait lancer un nouveau projet indépendant de celui d’où ils n’avaient tiré que frustration.

« Ce projet de mangrove ne nous a finalement apporté que des malheurs, les moustiques, le paludisme et la détérioration de notre environnement » témoigne Mah. Pour tout, les villageois n’en auraient tiré selon elle que la modique somme de 45.000 ouguiyas. Autre déception des habitants de Ghahra, l’état lamentable de leur école, construite en 1984 grâce à l’effort des habitants.

Selon Alioune Ould Abdi, jeune enseignant originaire de NDiago et directeur de l’établissement, « nous avons besoin d’un cycle complet, car jusque-là nous ne disposons que de trois classes, la 6ème, la 5ème et la 1ère année pour un effectif de 92 élèves, 47 garçons et 45 filles » lance-t-il en guise de préambule.

Ils seraient deux à assurer l’enseignement, lui et son collègue francisant. Mais ils manquent de manuels scolaires et d’outils didactiques. « L’école ne dispose pas de cantine, même si tous les élèves sont issus de familles déshéritées » tient-il à préciser, pour expliquer certaines absences assidues.

Il faut dire que la localité de Ghahra est peuplée de 500 familles et beaucoup d’enfants. La planification familiale y est faiblement suivie. « Avant ma retraite, je disposais de produits contraceptifs. Maintenant je n’en reçois plus malgré mes demandes répétées car les besoins non satisfaits en matière de planning familial sont important s » conclut-elle.

Moydina, les vaines promesses électorales

« Lors des élections de 2006, nous avons été submergés par des promesses mirobolantes de la part de politiciens venus de Nouakchott et le résultat est là, un poste de santé construit à la hâte pour capter nos voix, puis la décrépitude » raconte Moya Mint Moussa Ould Sneiba.

Le bâtiment en question est là, abandonné aux caprices du vent. Des portes défoncées, des écriteaux encore visibles, indiquant le bureau de l’infirmier, la maternité, la salle de pansement.

« Une brave infirmière y a travaillé pendant deux années, de 2010 à 2012, mais faute d’avoir obtenu le matériel promis et les médicaments, elle est partie. Mais déjà le bâtiment menaçait de s’écrouler et elle a continué à travailler pendant longtemps dans une maison que les habitants lui avaient aménagé » poursuit-elle. Aujourd’hui, les femmes se soignent à Saint-Louis, quand leur cas dépasse les modestes moyens de Mah Mint Alioune de Ghahra, complète-t-elle.

L’école de Moydina n’est pas dans une situation meilleure. Une simple bâtisse de deux salles jetée dans un no man’s land et un drapeau râpé, seul signe de sa présence. Certains habitants disposent de l’eau courante, mais la plupart achète l’eau des fûts. La seule activité maraîchère qui occupait les femmes s’est arrêtée, « faute d’eau, le puits du village ayant tari » explique encore Moya. Selon elle, elles exportaient des légumes jusqu’à Nouakchott.

Face au manque de débouché, « tous les hommes sont partis à Nouakchott pour trouver du travail, et les jeunes diplômés du village sont sans emploi » maugréa-t-elle, assise à même le sol, au milieu d’une dizaine d’autres femmes.

Elle exhiba des nattes en lianes tissées et des sacoches en cuir, échantillon d’un maigre projet artisanal auquel s’adonnent les membres de la coopérative qu’elle préside. « On veut travailler, mais on est sans moyens » explique-t-elle. Selon Moya Mint Moussa, le village compte cinq coopératives féminines, deux dans le commerce et deux dans l’artisanat, trois dans le domaine agricole.

Elle se rappelle encore du passage du président Mohamed Abdel Aziz, lorsqu’il longea leur village pour aller poser la première pierre du Port de NDiago. « Nous étions massés le long de la piste pour l’accueillir. Nous aurions bien aimé qu’il s’arrête pour écouter nos souffrances » regrette-t-elle, promettant qu’à la prochaine occasion, elle se jettera sur le convoi pour l’arrêter.

Ce qui provoqua le rire de ses congénères. Moya se félicite cependant de l’ouverture dans leur localité d’une boutique EMEL et ses produits subventionnés. « Nous souhaitons que cette boutique continue à fonctionner et qu’elle soit régulièrement approvisionnée » souligne-t-elle.

Zira Taghridient, les vestiges d’un passé glorieux

Les Taghridient de Zira vivent les vestiges d’un passé émiral que la naissance de l’Etat mauritanien a sérieusement compromis. Issus d’une tribu guerrière d’origine Sanhaja, Ils sont reconnus par les organisations internationales et l’Etat mauritanien comme interlocuteurs incontournables des administrateurs du parc de Diawling installé sur leurs terres dont la propriété est attestée par un document qui leur a été délivré en 1957 par l’autorité coloniale.

Ce rôle tient également à leur longue expérience et leur connaissance parfaite du delta du Fleuve, ce qui en fait d’admirables experts. Les Taghridient vivent de pêche, de la récolte du Djaccar (nymphéa) et de la Selaha (gousse de l’acacia nilotica).

Ils pratiquent aussi la chasse aux phacochères et aux petits gibiers dans un environnement panoramique dominé par la beauté des étangs, la violence de la mer et le vol majestueux de millions d’oiseaux venus d’Occident, fuyant la rudesse de l’hiver.

Cette petite économie naturelle génère plusieurs millions d’ouguiyas par an avec l’exploitation des ressources du parc. Cependant, 73% de la population de Zira, estimée à 540 habitants, est pauvre.

Les pêcheurs Taghridient exploitent aujourd’hui les ouvrages de Cheyal, Lemer, Lekseir, Gambar et Bel, alors que les Tendgha et les Bouhoubeïny, s’orientent vers Thiallakh. Mais, une nouvelle génération moyennement riche grâce au commerce ou à des fonctions administratives, se développe de plus en plus. Cela se voit, à travers le standing d’habitat qui commence à changer, avec l’émergence de belles demeures en durs, à la place des huttes en banco des parents.

Pauvres mais fiers, les Taghridient restent profondément attachés à leur terre. Même les Moussafirines Taghridient, expulsés du Sénégal à la faveur des tristes évènements de 1989, sont revenus au bercail. Ils se sont installés près de Zira, créant un village du nom de Bounayatt.

Sur le plan social, les Taghridient se distinguent des autres populations mauritaniennes. Ils sont les seuls à revendiquer leur double identité, arabe et berbère. Leur histoire est surtout le symbole d’une interaction sociale réussie entre les populations locales, d’origine souvent noire, et les tribus arabes installées ultérieurement.

Les Harratines constituent la majorité d’une communauté dont la classe nobiliaire est aujourd’hui estimée à une centaine d’individus.

Ici encore, le contraste est saisissant, car les Harratines Taghridient, contrairement aux autres Harratines, sont parfaitement intégrés dans l’architecture sociale tribale. Ils sont d’une fierté qui tranche avec la psychologie du dominé qui caractérise les autres Harratines.

Excellents pêcheurs, les Taghridient se confondent presque à leur activité et le Guedj (poisson séché) qu’ils fabriquent est très apprécié au Sénégal.

Leurs femmes sont particulièrement actives. « En l’absence des hommes, nous nous adonnons à la cueillette et à l’artisanat » explique Tacha Mint Mahmoud, une femme d’une cinquantaine d’année. « Elles ont une grande capacité historique d’autosuffisance vivrière due à une longue connaissance du delta et de ses richesses », explique un cadre du Parc de Diawling.

Les Taghridient sont aussi reconnus comme la communauté la plus importante pratiquant le maraîchage dans le bas delta. Ils cultivent 35% des terres de la commune de NDiago.

MBallal où la vie au bord de la Nationale

La commune de MBallal est constituée d’une succession de petits hameaux dont l’essentiel vit au bord de la Nationale reliant Nouakchott à Rosso. Ntaba, Nwelky, Bavradchya, Mighve, Tewgui, Ntarche, Lebeired, Leweigue, Haci Barka

Autant de noms de villages qui se suivent à la queue leu leu, presque à deux ou trois kilomètres de distance. Le symbole de l’anarchie auquel l’Etat mauritanien tente de mettre fin en lançant un programme de regroupement communautaire.

A Ouweyvya, une bourgade située sur la bifurcation menant à Keur Macène, à la limite de la commune de NDiago, Hindou Mint Hmeyed se plaint du puits asséché de la coopérative qu’elle préside et qui regroupe une vingtaine de femmes. « Notre projet agricole est sérieusement compromis et pour amener l’eau, nous payons chaque jour 1.000 UM » se lamente-t-elle.

Pour avoir l’électricité, indispensable à l’ère du numérique, le solaire fait floraison dans ce hameau qui plonge pourtant dans le noir dès la nuit tombée. « Mais les familles ont de quoi alimenter leurs portables » susurre-t-elle. Ce qui semble être suffisant. Pour se soigner, les femmes se rendent au poste de santé de Bombry.

Quant à l’école, seuls deux classes sont fonctionnels pour accueillir la centaine d’élèves du village, la troisième s’étant effondrée. *

Ici, les lamentations sont florès. Bezeid Ould Ahmed, propriétaire d’un projet maraîcher de 400 mètres carrés se plaint d’avoir été omis lors d’une distribution de grillages. « Mon nom était sur la liste, et ils ont profité de mon absence pour des soins, pour m’oublier.

J’ai protesté auprès du maire sans succès »
déclame-t-il. Créée en 1957, l’école primaire de MBallal, chef-lieu de la commune, est l’une des plus anciennes du pays. Elle compte un cycle complet, de la 1ère année à la 6ème année avec trois enseignants dont une institutrice en français.

Mais faute de classes, l’école fonctionne en multigrades. Pour le directeur de l’école, « nous avons 130 élèves et des classes à réfectionner mais le conseil municipal semble ignorer l’état piteux de l’établissement » déclare-t-il.

A MBallal, comme dans la plupart des villages, les hommes sont partis dans les grandes villes, laissant aux femmes le soin de s’occuper du quotidien et de l’éducation des enfants. Pour faire face à toutes ces contraintes, les femmes de MBallal se sont aussi regroupées en coopératives.

Principale activité, la vente de poisson ou du couscous. Pour Soukeina Mint Ahmed, « nous manquons profondément de moyens pour fructifier notre commerce ; nous avons besoin de frigos pour la conservation du produit et de l’électricité » confie-t-elle.

Même son de cloche de la part de NDèye Mint Oubeid qui préside une coopérative de 20 femmes. « Nous nous heurtons à des difficultés de transport et d’accès aux marchés pour écouler nos produits » déclare-t-elle.

Tous n’attendent pas l’aide de l’Etat. « S’il fallait attendre que les pouvoirs publics nous appuient, nous et nos enfants seraient morts de faim depuis longtemps » soutient Soukeina, qui souligne que les maigres revenus de leurs activités sont cependant complétés par les envois de leurs maris ou frères qui travaillent à Nouakchott, à Rosso ou à Nouadhibou.

Au fil des ans, les Harratines se soustraient ainsi peu à peu de l’esprit de domination qui caractérisait les rapports entre leurs parents et leurs anciens maîtres. Le département de Keur Macène en offre une parfaite illustration.

Cheikh Aïdara

Enquête réalisée dans le cadre du Projet « Liberté, Droits et Justice : combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie » exécuté par SOS Esclaves sur financement du Département d’Etat des Etats-Unis



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